DE LA VALEUR PROGRESSIVE DU SOL, PAR M. DE JOTEMPS. (Lu à la Société d'Emulation de l'Ain.) M. Philibert Le Duc publia l'année dernière quelques notes que j'avais écrites sous le titre d'Etude comparative de la richesse réelle et de la richesse de convention (1), et il disait, dans un court exposé de ce petit travail : « Tandis que la propriété « territoriale (richesse réelle) acquiert plus de valeur avec <<< l'accroissement de la population, l'or et l'argent (richesse « de convention) subissent une double dépréciation produite,' « d'une part, par l'affaiblissement du poids et du titre, et, « de l'autre, par l'abondance des métaux précieux. >> Cette proposition, il me semble, a été incontestablement démontrée : incontestablement, sans doute, en ce qui concerne l'un des éléments de mes calculs, l'affaiblissement des monnaies, puisque les mesures en sont parfaitement connues. Quant à l'autre élément, l'abondance, j'ai expliqué et pris des précautions (1) Cette Etude a été publiée à la suite de la nouvelle édition de l'Antidémon de Mascon. Un vol. in-12; Bourg, 1853. telles pour rester dans les plus étroites limites de la modération que je pense avoir réussi, et cependant je suis arrivé à cet étonnant résultat, par exemple, qu'une somme de mille francs en l'an 780, équivaut à plus de douze cent mille francs aujourd'hui. La discussion des bases de la double dépréciation des métaux précieux m'avait conduit à l'établissement de tables qui montrent, pour chaque époque, les chiffres dont on peut user pour multiplier les valeurs anciennes, afin de les convertir en valeurs actuelles. Je me servais ensuite de ces tables pour exprimer en monnaies d'aujourd'hui les prix d'une centaine d'objets qu'indique l'ouvrage de M. de Lateyssonnière, et j'arrivais assez approximativement, en général, aux cours actuels. Ce résultat tendrait à confirmer la remarque de Ph. Collet, appuyant à ce sujet le Mémoire du sieur de Malestroit à Charles IX: que le prix des denrées (il dit plus loin des choses) est assez communément le même en tous les temps. Les citations de M. de Lateyssonnière ne portaient, à très-peu d'exceptions près, que sur les produits du sol, les animaux et les objets fabriqués; toutes ces choses se trouvaient justifier assez bien, je le répète, la règle de communauté de prix en tous les temps. Je crus donc facilement que cette autre chose, le sol lui-même, serait soumis à la même règle, et, frappé déjà de l'avantage immense qu'avait la propriété territoriale de rester à l'abri des énormes dépréciations de l'or et de l'argent, je n'eus pas l'idée de vérifier si, pour plus grand avantage encore, elle ne faisait point exception. Mais, tout récemment, en cherchant quelques repseignements sur la position d'anciennes limites, j'ouvris un dossier contenant environ soixante-et-dix contrats, et je fus étonné au plus haut point du prix d'une pièce de terre qu'énonçait le premier de ces documents qui me tomba sous la main. Dès-lors je voulus les explorer tous et me rendre bon compte de la question qui me parut des plus intéressantes. Je vais dire sommairement comment elle se résout pour moi (sans sortir, il est vrai, de mon cabinet et n'étudiant que des faits relatifs au pays de Gex); ce sera peut-être assez, je l'espère, pour porter quelque curieux investigateur à faire des recherches plus étendues en diverses localités. f Mais d'abord posons-la nettement, cette question : - Par exemple, pour l'époque de 1541, M. de Lateyssonnière nous donne le prix d'une jument; ce prix se traduit, en valeur du temps, par fr. 30.78 qu'il faut multiplier, disent mes tables, par 14.51 pour arriver à la valeur d'aujourd'hui, laquelle serait de fr. 446.62. En effet, cette même chose coûterait actuellement à peu près le même prix, et il en serait encore assez approximativement de même pour tous les autres objets. Mais en sera-t-il ainsi pour la valeur du sol? Non, car si je prends dans mon dossier un acte de 1541, je vois que l'hectare de terre coûtait fr. 17.54, somme qui, multipliée par 14.51, ne donnerait que fr. 254.51 pour la valeur actuelle de l'hectare, tandis que cette même pièce de terre coûterait aujourd'hui environ onze fois ce prix, c'est-à-dire environ 2,800 francs l'hectare. Tel est le fait, et, dans des proportions variables mais toujours très-considérables, il se répète partout, d'après les actes que j'ai sous les yeux. De ce fait, il résulte que non seulement la valeur du sol s'élève toujours et sans cesse au niveau du cours des monnaies, par exemple, dans le cas cité ci-dessus, à fr. 254.51 quand les 17 fr. 54 des temps anciens sont arrivés à ce degré; mais que, par d'autres causes, il acquiert une valeur étonnamment grande au-dessus de ce niveau. Quelles sont ces causes? Il serait plus facile de les apercevoir |