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Par J. B. JALBERT, ancien Jurisconsulte, Greffier EN CHEF
de la Cour de Cassation, Membre de la Légion-d'Honneur.

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ANNÉE 1817.

A PARIS,

DE L'IMPRIMERIE DE J. SMITH, RUE MONTMORENCY, N.o 16.

DES

ARRETS DE LA COUR DE CASSATION

EN MATIÈRE CIVILE ET CRIMINELLE.

VENTE.-TRANSCRIPTION.-RÉSERVE D'USUFRUIT. TRADITION.

Sous l'empire de la loi du 9 messidor an 3, la transcription d'une vente était-elle nécessaire pour qu'à l'égard des tiers, la propriété de la chose vendue fút acquise à l'acquéreur? Rés. nég.

La loi du 11 brumaire an 7, qui a prescrit cette formalité, y a-t-elle soumis les ventes antérieures à sa promulgation? Rés. nég.

D'après les lois romaines, une vente faite avec réserve d'usufruit transférait-elle à l'acquéreur la propriété de la chose vendue, et lui assuraitelle la préférence sur un second acquéreur, lors méme que ce second acquéreur aurait été mis en possession réelle de la chose? Rés. aff.

AR acte notarié du 1.er floréal an 4, la dame Lagravère vendit au sieur Bousquet un petit domaine situé dans la commune de Fulgairac, avec réserve d'usufruit pendant sa vie.

Cette vente n'a jamais été transcrite.

Par un second acte notarié du 20 frimaire an 11, la dame Lagravère vendit le même domaine au sieur Lefer-Dugué qui, le 23 du même mois, fit transcrire son contrat d'acquisition.

Lefer-Dugué prit possession du domaine, et y fit même des changemens importans.

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Après la mort de la dame agravère, arrivée le 24 décembre 1809, le sieur Bousquet assigna Lefer-Dugué en délaissement du domaine, avec restitution des fruits perçus depuis la mort de la dame Lagravère.

Lefer-Dugué opposa la vente qui lui avait été faite, et soutint qu'il devait obtenir la préférence sur Bousquet, attendu que son contrat d'acquisition avait été transcrit au bureau des hypothèques, et que, d'un autre côté, il avait été mis en possession réelle de la chose vendue.

Le 25 août 1812, jugement du tribunal de première instance de Toulouse qui, adoptant ces moyens de défense, déclare Bousquet mal fondé dans sa demande.

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Sur l'appel, arrêt de la Cour royale de Toulouse, du 14 décembre 1813, qui infirme la décision des premiers juges, et condamne Lefer-Dugué à délaisser le domaine litigieux. Les motifs de cet arrêt sont, en substance, que la transcription dout se prévaut le dernier acquéreur ne peut être d'aucune considération dans la cause, parce que cette formalité nécessaire pour opérer la tradition aux termes de la loi du 11 brumaire an 7, sous l'empire de laquelle son acquisition a eu lieu, n'était nullement exigée par la législation antérieure sous laquelle Bousquet a fait son acquisition; que la seule condition nécessaire pour que la propriété du domaine lui eût été transmise, est la tradition; que cette condition se trouve pleinement accomplie par la réserve d'usufruit que la dame Lagravère a stipulée dans le contrat d'aliénation; qu'il est de principe que res sua nemini servit qu'ainsi la réserve d'usufruit dépouille irrévocablement de la propriété, et doit être assimilée à une tradition réelle, ainsi que le décide Cujas, dans ses Observations, liv. 9, chap. 8; que la loi 28 C. de donat. porte expressément qu'en fait de vente, la rétention d'usufruit a le même effet que la tradition réelle; idem sit, dit cette loi, usumfructum retinere quod tradere; que l'on trouve la même décision dans la loi 35, §. 5, Cod., même titre; que Furgole, dans sa question 39 sur les donations, atteste aussi que la rétention d'usufruit a le même effet que la tradition réelle; que la doctrine de cet auteur est fondée sur un arrêt du parlement de Toulouse, du 28 jaillet 1727, et qu'elle est enfin conforme à celle de Pothier, dans son Traité du contrat de vente, n.o 321.

Lefer-Dugue s'est pourvu en cassation contre cet arrêt, pour violation des articles 105 et 106 de la loi du 9 messidor an 3, pour violation de l'article 26 de la loi du 11 brumaire an 7, et pour contravention à la loi Quoties, titre 15, Cod. de rei vindicatione.

Le demandeur soutient, pour premier moyen de cassation, que la vente consentie à Bousquet était sujette à la transcription, et que n'ayant pas rempli cette formalité, la propriété du domaine ne lui avait point été transmise.

Il fonde d'abord cette prétention sur l'article 105 de la loi du 9 messidor an 3, dont voici les termes : « En tou expropriation volontaire » onéreuse, ou à titre gratuit, celui au profit duquel elle est consentie »> ne peut devenir propriétaire incommutable des biens territoriaux qui en » sont l'objet que sous les deux conditions suivantes :-la première, de » notifier et déposer expédition de son contrat, dans le mois de sa date, à >> chaque bureau de la conservation des hypothèques dans l'arrondissement » duquel les biens sont situés. »

Suivant le demandeur, cette obligation de déposer expédition de son contrat à chaque bureau de la conservation des hypothèques n'est pas autre chose que la transcription du titre d'acquisition; et cette condition étant nécessaire pour que l'acquéreur ou le donateur devienne propriétaire

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incommutable, il en conclut que, tant qu'elle n'est pas remplie, l'acquéreur n'est pas saisi de la propriété des biens, et que cette propriété peut être transmise à un second acquéreur qui satisfait à la loi.

Il prétend prouver ensuite que les différens décrets qui ont sursis à l'exécution de la loi du 9 messidor an 3, ne concernaient point les dispositions de l'article 105 relatives à la transcription des ventes volontaires.

Il invoque enfin l'article 26 de la loi du 11 brumaire an 7, qui décide positivement que les contrats de vente qui n'ont pas été transcrits, ne peuvent être opposés aux tiers qui ont rempli cette formalité. Il prétend que cette disposition est applicable, en vertu de l'article 44 de la même loi, aux contrats de vente passés sous l'empire de la loi du 9 messidor au 3. Cet article 44, dit-il, dispose que « les possesseurs d'immeubles qui » n'avaient pas accompli toutes les formalités prescrites par les iois et » usages antérieurs pour consolider leurs propriétés, consolider leurs propriétés,. . . . y suppléeront par » la transcription de l'acte de mutation. Or, sans revenir sur la question de savoir si la transcription exigée par la loi de messidor an 3 était la même que celle prescrite par la loi de brumaire, il est certain du moins que, sous la première de ces lois, une transcription était nécessaire pour que l'acquéreur d'un immeuble en devint propriétaire incommutable. Si donc cette formalité n'a pas été remplie pendant que la loi de messidor était en vigueur, il a fallu y suppléer, sous la loi de brumaire, par la transcription différente, si l'on veut, que cette loi prescrivait. Ainsi, arrivé sous la loi de l'an 7, un acquéreur, en l'an 3, qui n'avait pas encore transcrit son titre d'acquisition, s'est vu forcé de remplir cette formalité sous toutes les peines portées par la loi nouvelle (1).

Le demandeur soutenait ensuite, pour second moyen de cassation, que, dans le cas même où la simple tradition aurait suffi pour rendre Bousquet propriétaire du domaine vendu, cette propriété ne lui aurait pas été transmise, parce que la tradition dont il se prévalait n'était pas celle exigée par les lois romaines.

Il est inutile de se jeter ici, disait le demandeur en cassation, dans toutes les subtilités du droit romain et de ses interprètes sur la distinction. de la tradition feinte d'avec la tradition réelle et sur les effets différens de l'une et de l'autre. Abordons franchement la difficulté, et voyons si l'espèce de tradition qui résulte de la réserve d'usufruit sur une chose vendue peut, comme la tradition réelle, transférer la propriété même à l'égard des tiers. D'abord, si l'on consulte l'équité qui doit être la première règle dans

(1) Ce raisonnement forme, avec le premier argument tiré de la loi de messidor an 3, une pétition de principes. L'art. 44 de la loi de brumaire n'exige la transcription des ventes anciennes que pour suppléer aux formalités nécessaires pour consolider la propriété. Si donc la transcription dont parle la loi de l'an 3, n'était pas exigée pour consolider la propriété, c'est-à-dire si la simple tradition suffisait alors pour rendre une vente parfaite, même à l'égard des tiers, il est évident qu'un acquéreur en l'an 3, qui avait été mis en possession de la chose vendue, n'a pas eu besoin de faire transcrire son contrat sous la loi de l'an 7, puisqu'il avait alors rempli toutes les formalités prescrites par les lois antérieures pour consolider sa propriété.

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