Le JOURNAL DU PALAIS est rédigé, sous la direction de M. TR. GELLE, ancien Magistrat, Avocat à la Cour impériale de Paris, RÉDACTEUR EN CHEF, PAR MM. F. NOBLET, avocat à la Cour impériale de Paris; AM. BOULLANGER, juge de paix à Paris, ancien avocat à la Cour impériale; P. PONT (*), docteur en droit, conseiller à la Cour impériale de Paris, auteur du Commentaire-Traité des priviléges et hypothèques, l'un des auteurs du Traité du contrat de mariage, du Supplément au Traité des droits d'enregistrement de MM. Rigaud et Championnière, etc., etc.; A. GAUTHIER (*), avocat à Paris, membre honoraire de la Chambre des avoués près le Tri bunal de la Seine, auteur du Traité de la subrogation, etc.; L. CABANTOUS, professeur à la Faculté de droit d'Aix, auteur des Répétitions écrites sur le droit administratif, etc.; A. RODIÈRE, professeur à la Faculté de droit de Toulouse, auteur de l'Exposition raisonnée des lois de la compétence et de la procédure; de la Solidarité et de l'Indivisibilité ; l'un des auteurs du Traité du contrat de mariage, etc.; J.-E. LABBÉ, professeur agrégé à la Faculté de droit de Paris; G. DEMANTE, professeur à la Faculté de droit de Toulouse, auteur de l'Exposition raisonnée des principes de l'enregistrement. Avec le concours de Messieurs Stéph. CUENOT, docteur en droit, ancien avocat au | P. GRAND (), conseiller à la Cour impériale de Metz ; conseil d'État et à la Cour de cassation; I. ALAUZET (), chef de bureau au Ministère de la jus- GALAVIELLE, conseiller à la Cour impériale de Montpellier; NEVEU-LEMAIRE (*), procureur général à la Cour im- O. HOUDAILLE, conseiller à la Cour impériale de TEISSONNIÈRE, conseiller à la Cour impériale de Nî- impériale d'Orléans, auteur du Dictionnaire raisonné de la taxe en matière civile; GOUJET, conseiller à la Cour impériale de Paris, au- BOUCHER D'ARGIS (), conseiller honoraire à la Cour teur du Dictionnaire de droit commercial; MONGIS (0.), conseiller à la Cour impériale de Paris; DE MOUGINS-ROQUEFORT, conseiller à la Cour impériale d'Aix ; DE GRATTIER (), conseiller honoraire à la Cour im- E. LACHÈZE, Conseiller à la Cour impériale d'Angers; FIÉVET, conseiller à la Cour impériale de Douai; moges; DE CHARRITTE, conseiller à la Cour impériale de Pau; MANIEZ (), conseiller à la Cour impériale de Poiliers; MASSABIAU (), président de chambre à la Cour impériale de Rennes, auteur du Manuel du ministère public; JOUAUST (*), président du Tribunal civil de Rennes ; TIXIER DE LA CHAPELLE, conseiller à la Cour impériale d'Alger; MOURIER (*), procureur impérial près le Tribunal civil de Marseille; Et de plusieurs autres magistrats et jurisconsultes. Paris, imprimerie de Cosse et J. DUMAINE, rue Christine, 2. DES DÉCISIONS EN MATIÈRES D'ENREGISTREMENT, DE TIMBRE, GREFFE, HYPOTHÈQUE ET DE CONTRAVENTIONS NOTARIALES. TOME 74 1863 PARIS, BUREAUX DE L'ADMINISTRATION, RUE CHRISTINE, 3. - 1863 JURISPRUDENCE FRANÇAISE 1863. CASSATION (REQ.) 29 janvier 1862. PARIS 25 novembre 1862. SUCCESSION, PÉTITION D'HÉRÉDITÉ, PRESCRIPTION, LIGNES PATERNELLE ET MATERNELLE, ACCROISSEMENT. L'héritier qui a gardé le silence pendant plus de trente ans, à partir de l'ouverture de la succession, est déchu de l'action en pétition d'hérédité, lorsque ses cohéritiers se sont mis, en temps utile, en possession de la succession entière, et cela encore bien que cette possession n'ait pas encore, de fait, une durée de trente ans. 1re espèce (1). (Cod. Nap., 777 et 789.) (1-2) Les deux arrêts que nous publions, l'un de la chambre des requêtes de la Cour de cassation, l'autre de la Cour de Paris, confirment une jurisprudence antérieure déjà imposante. Nous en citerons tout à l'heure les monuments. Constatons, dès à présent, que la Cour de cassation n'a jamais varié. Cependant la résistance se prolonge, surtout dans la doctrine, et le plus récent interprète du Code Napoléon, l'un des plus éminents, M. Demolombe, a vigoureusement combattu le système consacré par la Cour régulatrice. D'où vient cette divergence? S'il nous est permis d'exprimer un sentiment qui paraîtra peut-être téméraire, mais qui est le résultat d'une conviction profonde et mûrement réfléchie, la controverse se prolonge parce que les décisions de la Cour de cassation, excellentes en réalité, s'appuient sur des raisons contestables; et le savant professeur de Caen nous paraît avoir argumenté avec une grande puissance de logique contre les motifs énoncés dans les arrêts, mais avoir conclu en faveur d'une thèse susceptible elle-même de réfutation. Ce que nous nous proposons dans cette note, c'est de motiver et de justifier d'une façon différente des conclusions identiques à celles de la jurisprudence de la Cour suprême. Nous n'avons pas à énumérer minutieusement ici tous les avis émis sur la question et les autorités qui les entourent. Ce travail a été parfaitement exécuté dans une note insérée, au Journal du Palais, sous un arrêt de la Cour de cassation du 13 juin 1855 (t. 2 1856, p. 564). Nous prenons la lutte dans sa dernière forme, et nous allons exposer successivement: 1° la théorie qui découle des arrêts de la Cour suprême; 2° la théorie embrassée par M. Demolombe; 3° celle qui nous semble préférable; 4° après avoir discuté la question dans ses termes généraux, nous examinerons ce qu'offrait de spécial l'espèce sur la Au cas où, dans une succession dévolue à des collatéraux, un héritier de la ligne maternelle a pris possession de tous les biens, et où, après trente ans, un héritier de la ligne paternelle, vis-à-vis duquel la prescription a été suspendue pendant sa minorité, vient à réclamer sa part dans la succession, ce dernier a droit de profiter seul, par accroissement, des parts des autres successibles de la ligne paternelle contre lesquels la prescription s'est accomplie. 2o espèce (2). (C. Nap., 786.) 1re Espèce.-(Morillon C. Kervéguen.) Le sieur Pierre Legrand est décédé en 1803, Saint-Louis (île de la Réunion), laissant de nombreux héritiers collatéraux, parmi lesquels à quelle a été rendu notre arrêt de la Cour de Paris. 1.- Le système qui prévaut dans la jurisprudence se résume ainsi un héritier, après trente ans de silence et d'inaction, n'est plus recevable à réclamer la succession, lorsque celle-ci a été appréhendée de fait par ceux à qui elle eût été légalement dévolue si cet héritier avait renoncé, soit donc par son cohéritier, et telle était l'hypothèse d'un arrêt de la Cour de cassation du 14 juill. 1840 (t. 2 1840, p. 325), et de notre arrêt du 29 janv. 1862, soit par l'héritier du degré subséquent (V. Paris, 12 déc. 1851 [t. 1 1852, p. 372]).-Si le successible entre les mains duquel se trouve l'hérédité est un successeur irrégu lier, la décision est la même, pourvu qu'il se soit fait envoyer judiciairement en possession des biens du défunt. Telle était l'hypothèse de l'arrêt précité du 13 juin 1855. En vertu de quel principe l'hérédité est-elle enlevée à l'héritier qui a gardé le silence, et attribuée à l'héritier ou au successeur entré en possession? en vertu d'une prescription acquisitive de l'hérédité au profit de ce dernier.-Gardons-nous de croire, cependant, qu'il faille que l'héritier invoquant cette prescription ait possédé trente ans. Non; il suffit qu'il soit en possession au moment où il se prévaut de la prescription. Pourquoi? Parce que la saisine et l'acceptation de l'hérédité rétroagissent au jour de l'ouverture de la succession (art. 777, C. Nap.). -La même rétroactivité s'opère au profit du successeur irrégulier, parce que, pour lui, l'envoi en possession par la justice équivaut à la saisine. Tel est, réduit à ses données les plus simples, le système de la Cour régulatrice. L'arrêt de la chambre des requêtes que nous annotons est relatif à une succession ouverte avant la promulgation du Code Napoléon, sous l'empire de la Coutume de Paris. Mais la question y est posée et se trouvaient les sieurs Denis, Jean-Louis_et | rement, en 1850, et lorsque plus de trente Julien Legrand, et le sieur Morillon. En 1828, par conséquent moins de trente ans depuis l'ouverture de la succession, les consorts Legrand cédèrent leurs droits successifs au sieur Gon, qui, plus tard, les céda à son tour au sieur de Kervéguen. Mais ultérieu résolue exactement dans les mêmes termes, et cette circonstance n'introduit aucun changement réel dans le problème. ans s'étaient écoulés depuis l'ouverture de la succession, le sieur Morillon, qui jusque-là n'avait fait aucun acte d'héritier, a formé contre le sieur de Kervéguen ou contre ses représentants une demande en retrait successoral, offrant de leur rembourser ce qui avait du droit; elle enlève les facultés dont on n'a pas joui pendant un long espace de temps. Successible saisi, vous aviez le droit de vous emparer de la succession; vous êtes resté trente ans en dehors de l'hérédité, étranger aux avantages qu'elle vous offrait : voilà le fait. Trente ans expirent; vous avez perdu la faculté que vous n'avez pas exercée. C'est ainsi que le créancier qui, pendant trente ans, s'est abstenu d'agir contre son prétendu débiteur, est déchu de l'action qu'il n'a pas intentée. C'est ainsi qu'une personne qui réclame une servitude personnelle ou prédiale, après avoir négligé, pendant trente ans, d'en user, est déchue de son droit.-Si, par impossible, un héritier s'était mis en possession, n'avait pourtant fait aucun acte d'acceptation, et qu'après trente ans il voulût répudier, il ne le pourrait pas; car il se trouverait nanti des avantages attachés au titre d'héritier. L'expiration des trente ans confirme la situation de fait dans laquelle on se trouve; elle termine toute incertitude et met le droit d'accord avec le fait. II.-M. Demolombe démolit pièce à pièce l'édifice que nous venons de construire. Cet auteur concède seulement que l'hérédité peut s'acquérir par une prescription trentenaire ; mais il soutient que cette prescription acquisitive exige, aussi impérieusement que toute autre, une possession effective et réelle de 30 ans. Le principe d'après lequel la possession est l'élément essentiel, la condition primordiale et permanente, de la prescription à l'effet d'acquérir est incontestable. La prescription acquisitive correspond à l'ancienne usucapion, et mérite comme elle cette définition: Dominii adeptio per continuationem possessionis; V. Ulp., reg., tit. XIX, § 8. Nul article n'y fait exception pour l'hérédité; se contenter d'une possession rétroactive et fictive, c'est altérer l'essence de la prescription à l'effet d'acquérir, dont la principale raison d'être se trouve dans la possession prolongée. Quant à l'art. 777, C. Nap., où l'on prétend puiser cette rétroactivité anomale, l'invoquer est un abus manifeste. L'acceptation qui, d'après cct article, retroagit, c'est l'acceptation du véritable héritier, l'adhésion à l'offre de la loi, c'est un acte émané de celui qui a en sa faveur la vocation héréditaire: « C'est, dit notre auteur (Success., t. 2, n. 312), mettre l'effet avant la cause que d'invoquer la rétroactivité de l'acceptation, quand precisement celui qui a accepté ne pouvait acquérir l'hérédité par son acceptation, mais seulement par sa posses-les. D'abord, elle éteint les actions personnelles... sion. D La réfutation n'est-elle pas péremptoire? Nous le croyons. Mais à quel système le savant professeur s'arrête-t-il? Au suivant: l'héritier saisi qui reste trente ans sans prendre parti sur l'hérédité, sans même l'appréhender, n'est pas renonçant, car la renonciation ne se présume pas (art. 784, C. Nap.); il est donc acceptant; il est définitivement héritier. Il intentera avec succès la pétition d'hérédité contre tout possesseur, à moins que celui-ci ne lui démontre qu'il a usucapé l'hérédité par une possession trentenaire. III.-Admettons que l'hérédité en masse, la qualité d'héritier, le droit à l'universalité des biens du défunt, choses abstraites et incorporelles, puissent s'acquérir par prescription; admettons-le, car nous n'avons aucun intérêt actuel à le contester. Ce qui est certain, ce qui est du moins avoué par M. Demolombe, c'est que l'art. 789, qui limite à trente ans la faculté d'accepter ou de répudier une succession, parle d'une prescription extinctive; cet article, par le seul laps du temps, éteint une faculté. Maintenant quelle est la position du successible qui est resté trente ans sans se prononcer, sans même avoir pris possession ? --- M, Demolombe répond: il est acceptant, parce que la renonciation ne se présume pas. Nous croyons, nous, qu'il est, sinon renonçant, du moins déchu de l'hérédité, dépouillé de la qualité d'héritier; cela nous paraît plus conforme à la nature de la prescription. La prescription a toujours pour but de prendre l'état de fait qui a duré et de le consacrer, de le rendre irrévocable au point de vue Cela est plus conforme à cette idée romaine, recueillie par notre ancienne jurisprudence, que la pétition d'hérédité se prescrit, comme les actions per sonnelles, par trente ans d'inaction; L. 3, C. 7, 39, De præscript. XXX vel XL ann.-Le Répertoire de Guyot, vo Prescription, $ 19, nous enseigne que, a dans le droit romain, la prescription de trente ans a deux effets, l'un par rapport aux actions personnelles et l'autre par rapport aux actions réel Il en est de même des actions mixtes, c'est-à-dire de la pétition d'hérédité... C'est parce que cette action est mixte que les lois romaines fixent sa durée à trente ans. Notre jurisprudence est, sur ce point, conforme à leur disposition. » — Pocquet de Livonière, sur l'art. 434 de la cout. d'Anjou, décide que la pétition d'hérédité qui tend à avoir une portion indivise d'une chose possédée par un autre se prescrit par trente ans du jour de la succession ouverte, en sorte que le cohéritier qui n'a joui, ni par indivis, ni autrement, ne peut, après trente ans de l'échéance de la succession, en demander sa part: l'action en est prescrite par sa négligence.-V. Olivier de Saint-Vast, sur l'art. 449 de la cout. du Maine.-On lit encore dans Auroux des Pommiers, le judicieux commentateur de la coutume de Bourbonnais (art. 26, n. 4): « La demande à fin de partage se prescrit, non point contre ceux qui ont fait acte d'héritier et qui ont joui par indivis, car ils sont toujours reçus à demander partage; mais contre celui qui a gardé le silence, n'a fait aucun acte d'héritier, et n'a point du tout joui, ni par indivis, ni autrement : lequel n'est plus recevable après ce temps-là à se porter héritier et à former sa demande à fin de partage, parce que, autrement, la prescription de la pétition d'hérédité serait abolie. »-Sic, Furgole, des Test., ch. X, sect. 1, n. 159; Claude Ferrières, Dictionn., vo Pétition d'hérédité; Lebrun, Success., liv. 3, ch. 1, n. 41; Pothier, Cout. d'Orléans, Intr., tit. XVII, n. 72.-Sous le Code Napoléon, V. Aubry et Rau, d'après Zachariæ, t. 5, § 616-4°. La décision que nous adoptons est plus conforme |