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Cette augmentation dans les exportations eft une preu ve inconteflable que les richeffes, par quelques canaux qu'elles aient pu couler dans les colonies, font toujours rentrées dans la métropole, & y ont augmenté l'induftrie, excité l'émulation, & employé des milliers de familles de la maniere la plus falutaire & la plus profitable à l'état. Le défrichement de nouvelles terres dans les ifles, & l'amélioration des anciennes au moyen de l'argent que la guerre y avoit laiffé & du crédit que les colons trouverent dans leur métropole, étendirent tellement la confommation des marchandifes angloifes dans ce pays & en Afrique, que depuis la paix de Verfailles jufqu'au commencement de 1774, l'importation du fucre en Angleterre feulement, qui, fans fes ifles, feroit obligée de tirer cet article confiderable de l'étranger, eft montée jufqu'à 170,000 barriques; augmentation en valeur de 800, 000 liv. ferl. La dépenfe publique ayant été beaucoup plus confidérable fur le continent feptentrional, la confommation des marchandifes européennes y augmenta a proportion. Cet argent étoit tout-à-fait rentré dans la métropole en 1764, ou 1765 au plus tard; mais comme les iffes avoient fuppléé à fa perte par leurs fucres & autres productions, l'Amérique feptentrionale fe le procure de nouveau par fes grains. L'Angleterre, par des raifons qu'il eft affez difficile d'affigner, fe voit obligée, depuis plus de 10 ans, d'acheter ce article qu'elle exportoit autrefois en abondance chez l'étranger. L'impoffibilité de continuer cette branche de commerce faifoit une réduction annuelle de 600, 000 liv. fierl. dans fes exportations. Les colons feptentrionaux remplacerent les Anglois dans les marchés qu'ils ne pouvoient plus appro vifionner ils étendirent leur vente de faifon en faifon, de port en port; & par la circulation des nouveaux fonds qu'ils s'étoient procurés, ils encouragerent, multiplierent, & perfectionnerent les manufactures de la mere commune, & augmenterent de beaucoup les rentes de lears propres terres. Enfin les exportations de la métropole durant les trois dernieres années fe portent à plus de 10 millions & demi fterl.; ce qui fait 3 millions & demi pour chaque année. Si nous ajoutons à cette fomme, celle de 1,300,000 liv. fterl., à laquelle fe monte l'exportation annuelle des ifles durant les trois dernieres années, & 700, 000 liv. fterl. pour l'Afrique, nous verrons que la valeur totale des exportarions de la métropole dans fes colonies a été annuellement de 5 millions & demi pendant les trois dernieres années, & que

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les trois quarts de ces articles ont été fournis par la nation même, & l'autre quart feulement par l'étranger.

Comparons, maintenant cet objet avec les exportations de l'Angleterre dans toutes les parties du monde. Ces exportations en ne remontant qu'à 12 ans, fe portent annuellement à 15 millions; mais comme nous nous fommes bornés au trois dernieres années à l'égard du commerce colonique, nous ne confidérerons l'exportation gé nérale que durant cette période : elle va annuellement à 16 millions. Il eft donc évident que les 5 millions & demi, que produit l'exportation des colonies, font plus d'un tiers des exportations générales de la nation. D'ailleurs, c'en avec les productions des colonies, le tabac, le riz, le fucre, &c. que les Anglois forment une grande partie de leurs cargaifons pour l'étranger on peut citimer cet objet à un million au plus bas; ajoutons-y deux autres millions exportés d'Angleterre dans fa principale colonie l'Irlande; & pour lors, faifant un total de ces fommes & des 5 millions & demi, on trouvera que le commerce colonique eft au commerce général comme 8 & demi eft à 16: objet important, qui méritoit, fans doute, plus de confidération, de la part d'un peuple qui, environné de rivauv, ne fçauroit faire de fautes impuné

ment.

Tous les états de l'Europe, également occupés de tra fic, également adonnés fingulierement aux manufactures font toujours difpofés à profiter des moindres avantages qui fe préfenteront, & arracher d'une puiffance rivale tout ce qui fera en leur pouvoir, L'Angleterre a déjà éprouvé dans certaines occafions les dangereux effets de cette concurrence; & elle doit s'attendre à les éprouver de nouveau. Jufqu'à préfent elle avoit de quoi fe confoler de la perte de quelques parties de fon négoce, par le commerce colonique qu'elle s'étoit toujours confervé par d'anciens & de falutaires réglemens; elle l'avoit vu s'augmenter de période en période, de maniere qu'aujourd'hui il conftituoit plus de la moitié de tout fon com avec une perfpective d'agrandiffement & d'amélioration plutôt que de diminution; mais fi, par un excès de folie & d'injufice, elle venoit à s'en priver, rien ne pourroit réparer une telle perte. En fuppofant même que la partie affectée par l'affociation des colonies feptentrionales ne foit que le tiers du total, & n'ait aucune relation immédiate avec les autres branches, l'Angleterre, en s'expofant à le perdre, hazarde non-feulcment un profit pécuniaire, mais encore fon boulevard de

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défenfe, fon pouvoir d'attaquer, fes arts & fon indul. trie. Ce tiers de tout fon commerce, la feule bafe de fon empire, ce tiers le meilleur en lui-même une fois perdu, entraîne néceffairement la ruine d'une partie des facultés & du tréfor de la nation, la diminution du revenu public & de la valeur des terres, la multiplication des taxes, fardeau qui s'accroît toujours dans un état menacé d'une décadence prochaine, & enfin la diminution de fa marine & de fa population, occafionnée par les fréquentes émigrations d'utiles citoyens qui deviendront le foutien & la force de ce pays qu'elle veut affervir, & qui décéleront fa foibleffe aux yeux des puiffances rivales qui ne cherchent qu'à l'humilier.

L'Angleterre, après la perte des colonies feptentrionales, & même tandis qu'elle s'occupera de les foumettre, n'éprouvera que pertes & calamités dans les Antilles. Le fort de ces ifles fera même le pire dans cette conjoncture; plus de 400,000 efclaves & leurs maitres qui les habitent, ne pouvant fubfifter fans les denrées des colonies feptentrionales, fe verront réduits aux dernieres extrémités, fi leur communication eft interrompue: 100, 000 Negres, par exemple, dans les ifles du Vent, évalués à 4 millions fterlings au moins, feront expofés à mourir de faim. Ceux de ce troupeau qui échapperont au péril imminent, ne s'occuperont uniquement que du foin de pourvoir à leur fubfiftance; ils feront forcés d'abandonner la culture des terres; & la GrandeBretagne fe verra néceffairement privée de leurs riches productions, ou forcée de fe les procurer par des mains étrangeres. L'importation annuelle de ces ifles fe monte en gros à plus de 4 millions fterlings, 190, oco, barriques de fucre, de Rum & plufieurs autres articles, dont le transport occupe une multitude confidérable de vaiffeaux. Le commerce que l'Ecoffe fait avec les colonies eft à-peu près dans la même proportion que celui d'Angleterre à l'égard de fon commerce général; la perte, par conféquent, doit être à proportion la même. On peut en dire autant de l'Irlande. Ce royaume tire annuellement pour 2, 400, 000 liv. fter. de marchandifes tant d'Angleterre que d'Ecoffe; il en paie une partie avec fes toiles & fes filaffes de laine, & le refte en efpeces acquifes par fon négoce étranger. Suivant les regiftres du comité, il paroit qu'en 1771, la toile fabriquée & expofée en vente dans ce royaume, fe montoit -à , 150, 000 liv. fterl., & la filaffe de laine exportée à 200 000 liv. fter. Cet objet immenfe, qui four hit de

l'occupation à tant de citoyens, a fa fource dans l'Amé rique feptentrionale. Le lin, qui ne vaut pas plus de 40, ooo liv. fterl. à ce continent, forme la bafe des manu factures d'Irlande.

A l'égard des taxes & autres droits perçus fur les pro ductions importées des ifles & du continent feptentrional, le total, fuivant les reçus de l'échiquier, fe monte toutes déductions faites, à près d'un million & demi ft. ce qui forme une diminution de la même fomme, c'eftà-dire, d'un dixieme & demi dans le revenu public C'eft ici que le fage Locke pourroit obferver au proprié taire de terres, que fa propriété doit remplir le vuide du revenu public; qu'il doit fournir à la fubfiftance & a l'entretien d'une foule d'indigens, ou tomber dans une entiere débilité.

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Tels font les avantages réels & ineftimables que le parlement hazarde, & qu'il fera peut-être perdre a la nation en s'obftinant à vouloir foumettre à fes injuftes loix & priver de leur liberté des concitoyens, aux ancêtres defquels il eft redevable de la fienne, & en expofant au fort des armes l'efpoir fi flatteur d'une profpérité future. Envain une cour auffi ignorante qu'artificieufe & corrompue, s'étoit-elle flattée d'un prompt fuccès dans cette entreprife : en vain a-t-on fuppofe tour à tour, que tout dépendoit des mesures que l'on prendroit contre ces colonies, & que la capitale d'une province declarée rebelle, fe foumettroit à l'abord de quelques régimens ; ce moyen manquant de fuccès les autres provinces, par une ancienne jaloufie au lieu de fe mêler de la difpute, chercheroient, au contraire, à tourner à leur avantage la calamité de cette ville; ceci ne réuffiffant point encore elles ne parviendroient jamais à éta◄ blir parmi elles une affemblée générale pour ftatuer fur les affaires de la communauté ; l'événement ayant enco re contredit cette affertion, que les membres d'une tel le affemblée ne s'accorderoient point entr'eux, & ne formeroient jamais une feule réfolution: ces part fans de la tyrannie, de nouveau trompés dans leur attente, maginerent que la nouvelle feule de mefures coërcitives, ou le fimple commencement de leur exécution, en impoferoit aux plus hardis, & calmeroit les plus turbubulens & les plus animés. La conduite ferme, invariable & courageufe des Américains a toujours démenti ces vagues fuppofitions. Cette nation commerçante a cru naturellement qu'elle n'auroit à faire en Amérique qu'à des marchands, & qu'une interruption de commerce durant

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quelques mois feroit une correction fuffifante pour ramener tout le monde à fon devoir. En effet, le fond d'un négociant, foit qu'il lui appartienne en tout ou en partie, eft perfonnel, logé dans un magasin, & expofé dans des tems de trouble à une dévaftation prochaine ; la circonftance d'une propriété, les confidérations fuggérées par la prudence, & l'envie de remplir les vues de ceux qui lui ont confié leurs biens, laiffent rarement place à cette intrépidité néceffaire pour repouffer la force par la force; d'ailleurs une paffion différente poffede fon ame. Il s'enfuit de-là que les fimples négocians fe feroient d'abord foumis, & fe foumettroient encore s'ils l'ofoient. Mais on a trouvé d'autres hommes. l'yeomannerie d'Angleterre cet ancien ordre de citoyens qui, fatisfaits d'un héritage paternel cultivé par leurs foins, vivoient indépendans, & goûtoient les douceurs de la liberté au milieu d'une campagne, ignorant également le fafte & la molleffe efféminée, cette race d'hommes, difons-nous, aujourd'hui éteinte dans ce pays-ci, femble s'être reproduite dans l'Amérique feptentrionale: elle l'emporté même de beaucoup fur le nombre des autres habitans; & c'eft en elle que réfide la principale force de ce continent. Eux feuls, allarmés à l'abord effrayant de la tyrannie, arrêterent les négocians, & les empê chent de regarder la liberté comme un objet de commerce. Des citoyens raffemblés par milliers, l'enthoufiafme dans le cœur, tenant en ma:n la Pétition, le Bill & les Ades d'établissemens hors de mode & prefqu'ignorés dans leur ancienne patrie, mais parlant & nouveaux parmi eux comme s'ils ne venoient que de paroitre, des hommes animés du même efprit que leurs ancêtres, ces fléa x enthoufiaftes dans un tems, & ces terribles deftructeurs de la tyrannie dans un autre; des hommes ignorant également la diflipation frivole & la profufion ruineufe, demeurant armés. fur un terrein tranfmis par leur peres, inamovible, non expofé à une, deftruction totale, & excitant, par conféquent, le propriétaire à une défenfe courageufe; des hommes que tout concourt à rendre intrépides, à qui leurs gens de loi & leur clergé échauffent continuellement l'imagination, & répetent, fans ceffe, les doux noms de liberté, de patrie & d'indépendance: fels font les adverfaires contre lefquels le Fouvoir exécuteur de la Grande-Bretagne a envoyé audelà des mers une poignée d'efclaves. Ces braves défenfeurs de leurs foyers, femblables aux valeureux habitans des marais bataves, au fort de leur oppression, se

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