rompre. Nous avions donné un apperçu de ce disDours (1). Cette manoeuvre nous force d'y revenir. . Les aristocrates ont intitulé ce pamphlet: «Discours de M. Burke sur la situation actuelle de la France, prononcé par ce célèbre orateur, et un des chefs de l'opposition ». L'introduction fait parfaitement sentir l'objet de cette petite ruse typographique. « M. Burke, disent-ils, est un de ces hommes privilégiés (l'heureux mot!) dans qui l'âge a respecté toutes les facultés de l'ame; il joint à la mémoire la plus féconde, le don de l'application la plus heureuse; à la science la plus profonde, l'éloquence la plus maitrisante; il a ce que Bossuet appeloit l'illumina-· tion» Ce portrait de M. Burke tend à prévenir les esprits en faveur du jugement qu'il a porté sur la révolution. Mais c'est à un mot près que nous voudrions conserver celui d'illuminé, l'opposé de M. Burke. Les Anglais patriotes, auxquels M. Burke a paru long- temps dévoué, admirent beaucoup plus sa facilité que son talent, son zèle que son utilité; ils le trouvent loquace et non pas éloquent. Comme sa mémoire lui tient lieu de logique, ses discours sont d'une longueur qui l'ont rendu, malgré son age, un objet de ridicule; et ce qui a beaucoup contribué à le rendre le détracteur de notre révolution, c'est une plaisanterie qui a eu beaucoup de succès en Angleterre. On a supposé qu'en France, lorsqu'un orateur étoit trop long, on crioit dans l'assemblée nationale : Point de Burke, point de Burke. S'il falloit opposer personnes à personnes, autorité à autorité, nous opposerions à la lâche diatribe de l'illuminé Burke, les discours non pas do l'illustre Fox (nos aristocrates ont pris soin de lo calomnier, en le présentant comme un homme (1) Vide No. 33, page 55. 1 équivoque en morale), mais celle des Sheridan, des Flood, celle enfin de Pitt lui-même, si dans la cause de la liberté il est permis de citer l'opinion d'un tyran. Une déclamation n'est guère susceptible d'analyse; cependant nous tâcherons de faire saisir l'esprit du discours de M. Burke. « La France, selon lui, est rayée du système de l'Europe, et il est difficile de décider si jamais elle y sera replacée. Ce n'est plus la France, c'est le royaume des Français. Ils ont sapé jusqu'aux fondemens de leur antique monarchie. Vingt batailles de Ramilies ou de Blenheim n'auroient pu donner sur eux les ayant tages dont ils viennent de se dépouiller.... Je ne connois qu'une régénération, celle qui nous rend à l'innocence; et ce n'est certainement pas celle dont on s'occupe en France. Ces soldats qu'on a décorés de médailles civiques, pour s'être laissés corrompre, c'étoient des déserteurs qui se réunissoient à une vile et licencieuse populace, pour faire la guerre, non à la servitude, mais à la société. L'armée municipale n'a-t-elle pas traîné son commandant en chef à une atroce expédition dont le seul récit glace d'effroi ? Sont - ce là des armées ? sont-ce des citoyens? Ce qui, sous le nom de révolution, jette les Français dans l'extase, n'est point comparable à notre glorieuse révolution. Le prince d'Orange fut appelé chez nous par la fleur de l'aristocratie anglaise, pour défendre notre constitution. Chez nous, c'étoit un monarque légitime, qui cherchoit à usurper un pouvoir arbitraire. En France, c'est un monarque absolu, qui ne vouloit plus qu'un pouvoir légitime. Chez nous, la nation conserva les mêmes rangs, les mêmes ordres, les mêmes priviléges; au lieu de nous exposer comme des convulsionnaires à la pitié ou à la risée des autres nations, et de nous rendre méprisables par des excès qui feroient rougir des sauvages, et après lesquels il ne reste plus qu'à se briser la téte contre les pavés, nous entràmes dans l'âge d'une pros périté périté nouvelle, que le temps, qui détruit tout, semble améliorer chaque jour. Tels sont mes sentimens sur ce que les Français appellent leur révolution: je ne dissimule pas que j'ai senti une joie secrète à trouver l'occasion de les faire connoître ». Telle est en substance l'opinion d'un homme, qui toute sa vie a vu en noir les événemens; qui ne doit sa réputation qu'à des écarts atrabilaires sur les personnes et sur les choses dont il a parlé. Peu prisé, à cause de sa fougue inconséquente, par le parti ministériel, qui n'a pas autrefois daigné l'acheter, il n'étoit qu'en sous-ordre dans le parti de l'opposition. Loin d'en être un des chefs, il en étoit l'aboyeur. S'agissoit-il, ou de couvrir d'un torrent d'injures un homme qu'il falloit rendre odieux, ou bien falloit-il esquiver une décision dans une séance, en faisant durer la discussion? C'étoit aux poumons de Burke qu'on avoit recours. Est-il d'un homme de bien de b'âmer une nation qui ne veut plus vivre sous un monarque absolu? Est-il d'un homme de bonne foi de dire que Louis XVI ne vouloit plus qu'un pouvoir légitime, lorsque la séance du 23 juin fut uniquement consacrée à l'acte le plus révoltant et le plus despotique, par lequel on put outrager et avilir une nation dans la personne de ses représentans? Estil d'un homme de bon sens de dire que ce n'est pas de l'intolérance que la France donne l'exemple, mais de l'athéisme? Est-il d'un homme libre de se servir, pour exprimer notre amour patriotique, du mot de mal français, mot inventé par les plus lâches esclaves, ou par les plus cruels tyrans de l'Europe? Est-il d'un politique de dire, que nous avions une bonne constitution par les états généraux, en trois ordres, comme si le clergé, par exemple, pouvoit jamais être un pouvoir civil dans un état bien organisé? Est-il d'un homme conséquent de blåmer l'organisation de notre armée, avant que les bases mêmes de l'organiNo. 40. R sation de l'armée soient connues? Est-il enfin d'un bon citoyen, de rompre avec ses amis, c'est-àdire, avec le parti de l'opposition, avec les défenseurs du peuple, pour se réunir à ses plus grands ennemis; c'est-à-dire, au parti ministériel, pour s'opposer à des innovations, dont tout le peuple anglais sent la nécessité? Qu'importe donc que Burke extravague sur notre compte, qu'il compile les relations des Lally et des Mounier, pour assommer la chambre des communes d'un discours sans objet, pourvu que le peuple anglais continue à nous admirer, à nous estimer; pourvu qu'il nous conserve ce sentiment qui lui échappe, malgré l'ancienne antipathie nationale, lorsqu'à la représentation de la prise de la Bastille, il se leve, en voyant le pavillon civique arboré sur les tours, et qu'il s'écrie, les larmes aux yeux: Braves Français! braves Français! Que nous importe l'opinion politique d'un parleur, qui a combattu l'égalité de la représentation nationale et l'admission des non-conformistes aux fonctions civiles? C'est pourtant parce que ces deux questions devoient être débattues dans cette session, que Burke a fait une diatribe sur la France. Telle étoit la force de l'opinion publique sur ces deux points, que le ministère a senti qu'il falloit diviser les orateurs de l'opposition. Burke s'est vendu; et comme il lui falloit un prétexte pour rompre avec ses amis, avec ces hommes d'état quiadmiroient la révolution de la France, et qui en ont été les apologistes dans la même séance, Burke a blané cette révolution, afin que sa division avec eux parût moins choquante que si elle eût éclaté lors de l'affaire des dissidens ou de l'égalité de la représentation. Laissons donc les aristocrates colporter en paix la diatribe de Burke, la lire avec effort, appuyer ridiculement sur les mots qui renferment les sarcasmes les plus amers. Nous avons, nous, bons citoyens, à leur répondre ce mot accablant : que nous importe l'opinion d'un homme qui a désho noré la fi de sa carrière, en trahissant la cause du peuple, ses principes et ses amis (1)? Encore un mot au ministre adoré. Je ne vous parlerai pas, ô ministre adoré! des 17 tonnes d'espèces arrêtées lundi soir à la porte du trésor public par la garde nationale, et pour lesquelles le voiturier n'avoit point de lettre de voiture; je ne vous parlerai pas des charges de pareille quantité qui sortent, dit-on, depuis quinze jours du trésor royal; ce n'est pas sur des bruits populaires que je douterai de votre civisme; ce sont toujours vos propres actions qui me décident à croire que vous n'êtes point un Dieu, mais un mortel assez foible pour ne pas remplir vos devoirs les plus essentiels. Je crois avoir prouvé que vous n'aviez point mis au jour l'état de nos finances, et que c'étoit mauvaise foi de votre part de dire à toute la France que vous aviez fait ce qui étoit en votre pouvoir, quand vous n'avez pas même rendu vos comptes, les comptes effectifs de la recette et de la dépense passées. Cependant, & ministre adoré! vous ne tenez aucun compte d'un avis que je vous avois donné, un peu par intérêt pour votre gloire, et de plus pour le bien public. Sans établir que vous avez employé la recette par la dépense, seul moyen de prouver que le trésor royal est à sec ou qu'il est embarrassé, vous voulez que sur un simple billet de (1) On pourroit aussi opposer au discours de M. Burke, l'adresse du club de la révolution d'Angleterre, toute composée d'hommes d'état ou de philosophes. On assure que lord Stanhope a pris la peine de le réfuter. C'est assurément beaucoup d'honneur qu'il lui a fait, car on n'est jamais tenu de réfuter ni des injures, ni des déclamations. |