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M. le comte de Montcabrié se rendit aussitôt à Fréjus. Il vit le grand-maréchal Bertrand, à qui il fit part de sa mission. Il vit ensuite Napoléon lui-même pour le même objet. Différentes versions transpirèrent dans le public sur ce qui s'étoit passé dans cette double entrevue, et sur son résultat.

Les uns prétendirent que Napoléon, ignorant ou feignant d'ignorer qu'il dût être transporté sur un bâtiment français, avoit d'avance pris des arrangemens pour passer sur un bâtiment anglais: arrangemens qu'il n'étoit plus en son pouvoir de changer. Suivant d'autres, le choix de la frégate n'avoit pas été laissé à Napoléon, mais avoit été fait par les commissaires. D'autres enfin ajoutèrent que Napoléon (engagé soit par son propre choix, soit par celui des commissaires, avec l'Undaunted), avoit proposé à M. de Montcabrié de l'accompagner avec sa frégate, mais que ce commandant étant seul chargé de le conduire, ne s'étoit pas cru autorisé à partager cette "mission, surtout pour n'y prendre qu'une part secondaire, et qui eût, en quelque sorte, subordonné le pavillon français au pavillon anglais, ce à quoi M. le comte de Montcabrié ne pouvoit cunsentir.

Quoi qu'il en soit de ces différentes versions,

il est certain que M. de Montcabrié, après avoir vú Napoléon et le grand-maréchal Bertrand, s'empressa de remettre à la voile pour Toulon où il étoit de retour le 29. Il étoit rendu à Paris lé 5 mai. Il paroît que sa conduite fut approuvée par le gouvernement, puisqu'il fut chargé d'une nouvelle mission pour l'île d'Elbe, celle de conduire dans cette île le brick l'Inconstant, et d'en ramener la garnison.

Mais revenons à Buonaparte, que nous avons laissé au Bouillidou. Il en partit le 27 de grand matin, et arriva de bonne heure à Fréjus.

Le préfet du Var (M. Leroi ) vint l'y trouver. Il en fut accueilli par ce reproche : « Est-ce là » la levée en masse que vous m'aviez annoncée? »

On prétend que le maire lui dit que ses deux plus grands ennemis avoient été la conscription et les droits-réunis.

On ajoute que Napoléon lui ayant demandé quel étoit l'esprit public de Fréjus, le maire lui répondit qu'il étoit dans son sens, et qu'il n'avoit rien à craindre. Oui, dit alors Buonaparte, j'ai été content de la réception; mais cette nuit....? Le maire lui réitéra les assurances qu'il lui avoit données. Alors Buonaparte répartit: « Je suis » fâché que Fréjus soit en Provence, et de n'avoir » encore rien fait pour vous; mais j'espère que

» que dans quelques mois je pourrai vous dédommager.

Pendant qu'il étoit seul dans son appartement, il se promenoit avec vivacité. Il paroissoit de temps en temps à la fenêtre pour voir la marche des frégates qui arrivoient à la rade de Fréjus. Il ne se montra jamais à la fenêtre qui donne sur la grande rue.

Le lendemain matin 28, tout le cortège se disposa au départ pour Saint-Raphaeau. Une partie des commissaires et des hussards s'y rendit. On embarqua des effets. Cependant Buonaparte n'arrivoit point. A neuf heures on annonça qu'il avoit eu une indigestion de langoustes.

Soit que cette indigestion fût réelle, soit qu'elle fût feinte (1), elle retarda l'embarquement, qui n'eut lieu qu'à onze heures du soir. Au moment où il se fit, le commissaire russe dit : Adieu, César et sa fortune. Les Anglais tirèrent vingt-un coups de canon contre l'usage.

Pendant que Buonaparte naviguera paisiblement vers son nouvel empire, nous allons faire

(1) Six mille hommes de l'armée d'Italie étoient en route. Ils avoient brûlé quatorze étapes pour arriver plus tôt. Peut-être Buonaparte en espérait-il quelque mouvement en sa faveur, et cherchoit-il des prétextes pour retarder son embarquement.

connoître les dispositions des esprits et les événemens qui s'y étoient passés depuis le 20 avril.

Le 21 avril, la garnison de Porto-Longono, composée en grande partie d'Italiens, se révolta, et après avoir cassé un bras au commandant d'armes, et tué ou blessé plusieurs officiers, elle se dirigea sur Rio, où elle s'embarqua pour le

continent.

Le lendemain 22, dans la crainte qu'il en arrivât autant à Porto-Ferrajo, on fit assembler toutes les troupes, et on leur proposa de rester fidèles au gouvernement français, ou de rentrer dans leurs foyers. Le plus grand nombre (composé d'Italiens) prit ce dernier parti, et sè rendit à Piombino.

Le 27, il y eut une insurrection à Porto-Ferrajo, occasionnée par quelques habitans qui vouloient recevoir les Anglais. Ces derniers, profitant des circonstances, envoyèrent un parlementaire pour sommer le général Dalesme, commandant de l'ile, de rendre la place, en donnant pour motifs la chute de Napoléon, qu'ils faisoient connoître par des journaux joints à leur paquet. Le conseil de défense répondit qu'il alloit envoyer un officier français à Paris, pour connoître ce qui s'étoit passé, et il prioit M. le commandant anglais Montresor de lui

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accorder un sauf-conduit. Mais ce commandant ne voulut rien accorder, et renouvela ses sommations, Cet événement occasionna des murmures dans l'ile. Les habitans de Porto-Ferrajo furent contenus par le canon des forteresses, dont les Français étoient maîtres; mais le mécontentement éclata dans quelques villages, notamment à Marciana où Napoléon fut brûlé en effigie.

"

Le 28 avril, à neuf heures du matin, un parlementaire anglais débarqua, à Porto-Ferrajo, un aide-de-camp du ministre de la guerre, porteur de dépêches de S. Exc. pour le général Dalesme, annonçant la nouvelle de la déchéance de Napoléon, et celle de sa prochaine arrivée à l'île d'Elbe. Cette nouvelle fut pour ce général un sujet d'étonnement d'autant plus grand qu'il n'en avoit reçu aucune depuis deux mois; qu'à cette époque Napoléon étoit triomphant, et qu'il ne lui paroissoit guère probable qu'une si grande révolution se fût opérée en si peu de temps. Le porteur de la nouvelle n'étoit connu d'aucun des militaires de la garnison. A tous ces motifs de doute se joignoient les tentatives continuelles des Anglais pour s'emparer de l'île. La défiance du général ne fit que s'accroître, et son doute fut presque changé en certitude, lorsqu'un quart d'heure après l'arrivée de l'aide-de-camp et pen

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