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-grandeur d'ame, cet amour de fes peuples, cet affemblage en un mot de vertus, toujours rare, mais plus rare encore fur le trône, qui perpétueront à jamais fa mémoire avec celle des Trajans, des Titus & des Antonins. Après de fi grands exemples domeftiques, je ne crains point, Monfeigneur, de vous en propofer d'autres, qui agiffent déja puiflamment fur vous, & qui ont fait naître

V. A. Imp. le defir de vifiter ces contrées pour confdérer de près un roi dont l'éloge feroit fuperflu, puif que yous l'avez vu, & que vous avez reçu dans fes bras, les témoignages de la plus vive tendrelle. Je me per. fuade que jufqu'à la fin de fa carriere, V. A. Imp. fe felicitera de pouvoir dire: J'ai contemple Frederic; je cons Serve dans mon fein l'effufion de fa grande ame; j'ai fais fi l'empreinte de fon caradere plus qu'humain, & je fais gloire d'en offrir Pexpreffion....

Déjà, Menfeigneur, vous aviez tiré les plus précieux avantages de vos liaifons intimes avec le magnanime Henri. Et jamais en effet V. A. Imp. ne pouvoit puifer dans un plus riche tréfor, aller plus droit à la fource du beau & du grand. Quelle union, Meffeigneurs, que la vôtre ! Quelle eft délicieufe pour des ames d'une trempe auffi épurée! Quels gages certains de la félicité da ces peuples dont les noms ont la plus grande confor mité, & dont les fentimens en auront déformais, encore plus ! O la raviffante perfpective pour nos neveux que celle des glorieux regnes de Paul & de Frederic Guil laume, tous deux nés pour le bonheur de la génération prochaine, tous deux unis par les liens qu'ils forment & qu'ils ferrent fi étroitement dans ces mémorables conjonctures, & entre lefquels il n'y aura jamais d'autre rivalité que celle de fe furpaffer en bienfaifance, & de ramener à l'envi le beau fiecle d'Afrée! Puiffe, &fonfeigneur, le grand & floriffant empire qui vous eft ré fervé, repofer toujours fur des colonnes auf folides que le font celles qui le foutiennent aujourd'hui ! Puif hez vous voir toujours à la tête de vos confeils des miniftres, à la tête de vos armées des généraux également favorifés de Minerve & de Mars Puiffe (car enfin je cede à l'enthoufiafme où me jette la vue du grand Romanzow), puiffe ce héros être longtems encore l ange tatélaire de la Ruffie! Après avoir porté la terreur de fes armes au-delà du Danube, il fait briller far les rives de la Sprée les attraits non moins victorieux de ces qualités qui le rendent encore plus aimable que ref pectable. Il faudroit évoquer les mànes d'Homere & de

Virgile pour célébrer celui qui a la valeur d'Achille affocie les vertus d'Enée,

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De tous les fentimens de l'ame, la pitié eft celui qui porte avec plus de violence, l'homme au foulagement de fon' femblable. Mais ce doux intérêt pour les malheureux ne fe trouve ordinairement que dans ceux qui ont eux-mêmes éprouvé les traits de l'infortune. L'homme en général ne juge que par comparaifon le riche n'eft dur & infolent que lorfqu'il eft né dans Populence, & qu'il n'a jamais vu de près le Ipectacle de la mifere: la commifération & la bienfaifance n'habitent gueres dans fon cœur; c'eft parmi le commun des hommes qu'il faut chercher ces vertus fi confolantes. Peut-on n'être pas fenfible à des malheurs dont on a foi même été affailli, ou dont on peut à chaque inflant devenir le jouet? Le trait que nous al lons rapporter d'un grenadier allemand, en faifant honneur à l'humanité de fon auteur, viendra à l'appui de l'opinion que nous avons établie. Les déferteurs françois qui ont pris parti dans les troupes allemandes font pour l'ordinaire traités avec la plus grande rigueur. On connoît la répugnance invincible qu'ils ont pour les coups de canne, & c'eft cependant la punition qu'on leur inflige pour la moindre faute. Un dé ces malheureux étoit condamné à pafler par les baguettes; le major qui préfidoit à l'exécution portoit un de ces coeurs bas & fanguinaires qui aiment à fe repaître de fupplices & de tortures: il couroit de rang en rang, excitant fes foldats à frapper, & maltraitant ceux à qui la pitié rete noit le bras. Chaque cri que pouffoit le patient, chaque contorfion que la douleur lui arrachoit loin d'attendrir l'impitoyable major, excitoient fes rires cruels, & fembloient l'encourager à la

perte de fa victime. Le foldat excédé tombe; mais fon bourreau fait défiler fur fon corps toute la troupe qu'il commandoit; & après avoir terminé la barbare exécution, il le laiffe demi-mort par terre. Un grenadier qui avoit été témoin de cette fcene fangiante, court chez un apothicaire, lui donne deux kreutzers; c'étoit tout ce qu'il poifédoit, lui raconte l'aventure du François infortuné, & lui demande dès rémedes: Je vendrai mon pain, lui dit-il, je vou. donnerdi ma folde jufqu'à ce que mon camarade foit gué ri; je le connois à peine; mais il fouffre, je fouffre dvec lui, en terminant fes maux, je met trai fin aux miens. L'apothicaire, touché jufqu'au fond du cœur, fut auffi généreux que le gre nadier: il donna fes remedes pour rien, & s'u nit avec lui pour fecourir l'infortuné. Il étoit tems, un inftant plus tard c'en étoit fait. En racontant ce trait fingulier, nous ne pouvons nous refufer de faire part à nos lecteurs du defir qu'il fait naître en notre ame. François légers & inconftans, que n'avez-vous pu être témoins & de la cruauté du major, indigne de commander à des hommes, & du fupplice de votre compa triote ! Vous fentiriez le prix de la grace que le meilleur des rois vient de vous accorder. Vous fuyez la patrie, vous croyez être mieux; apprenez le fort qui vous attend dans une terre étrangere. Un feul inftant de réflexion pourroit encore arrêter les déferteurs; pourquoi s'ima→ ginent-ils être plus heureux en Allemagne? Ne. voient-ils pas les troupes françoises inondées de déferteurs allemands? Nous avons vu quatrefoldats francois défertér de Grenoble pour aller en Piémont. A quelques lieux de teur garnifon, ils rencontrent des foldats piémontis qui ve noient à eux. Où allez-vous, demandent les François ? Nous allons en France: la mifere

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& les coups de bâtons nous forcent à déferter. Le Francis fe regardent entre eux : nous formes des fous fe dirent-ils; nous allons chercher : le bonheur à Chambery; ces gens-c font une preuve que nous ne 'y trouverions -pas. Ils rentrerent dans la ville avec les foldats piémontois.

Le 20 de Mai dernier, une troupe d'artisans des environs de Vienne, encore échauffés de la débauche de la veille, & fêtant le lundi, déjeu nerent fi copieufement que leur gaîté dégénér en brutalité. Ils s'étoient amufés en buvant, à former chacun des vœux, tous différens fans doure, fuivant la pente des paffions, l'âge & le caractere de ceux qui les formoient. Le vœu du plus jeune fut de goûter les joies de ce mande, dont il n'avoit, diloit-il, aucune idée ce font fes termes; væn trop naturel, que l'âge même ne peut emp cher de former, quoiqu'il empêche de l'accomplir. L'effervescence du defir & la chaleur du vin animerent tellement ce jeune hom> me que bientôt fa paffion ne connut plus de frein. Ses compagnons de débauche, dont la raifon n'étoit pas plus faine, loin de le contenir, vous lurent l'aider à s'acquitter de fon vou; après avoir paffé en revue toutes les filles qui fe pré fentoient à leurs yeux, n'en trouvant point qui n'évitât leur approche, ils s'écartérent dans fa campagne, déterminés à faire violence à la premiere femme qu'ils rencontreroient. Comme ils fuivoient d'un pas chancelant, une route écar tée, ils y rencontrerent une fille de 50 ans, laide & vierge, à ce que l'on dita Nida laideur, ni l'âge de cette fille ne purent éteindre la concupifcence du jeune homme; mais la virginité de la vieille, qui avoit réfifté, fans doute, à plus d'un affaut, fit une fi vigoureufe défense, que

ee malheureux, désespéré de ne pouvoir affouvir fa paffion, perça dans fon délire la vieille infortunée de plufieurs coups de couteau. Que n'étoit-il dans nos capitales, fi bien policées, fi fertiles en jeunes & faciles beautés! Il n'eût pas été réduit à employer la violence contre une fille qui s'obftinoit à garder fa virginite au péril de fa vie! Cette malheureufe femme eft morte le lendemain, mais fans colere contre fon meurtrier; elle a employé fes derniers momens à adreffer à l'impératrice - reine un placet dans lequel elle fupplie S. M. de faire grace au cou pable, qu'elle tâche d'excufer fur l'aveuglement produit par l'ivreffe; mais fes fupplications ont été inutiles; le criminel a été jugé & puni comme s'il eût confommé le crime qu'il méditoit, & comme affaffin, Cet exemple effrayant doit faire trembler ceux qui ont le honteux penchant de fe livrer à l'excès du vin; ni le délire. du coupable, ni fa jeuneffe, ni les inftances de fa victime mourante, ni la bonté naturelle d'une grande reine n'ont pu le fouftraire au fupplice que les loix exigent pour la fureté des citoyens.

Parmi les captifs rachetés en Barbarie & arrivés depuis peu à Vienne étoit un Espagnol dont l'air vénérable, & des cheveux blanchis dans l'esclavage émurent la fenfibilité du major de la garnison, Cet officier étoit d'origine efpagnole, & marié à Vienne, où il étoit monté de grade en grade à la majorité Son époufe, belle & vertueufe, d'une famille honnête, mais peu fortunée, lui avoit donné un fils & deux filles, dont elle foignoit l'éducation. L'une de ces aimables fœurs étoit promife à un jeune officier. Tout convenoit, le rang, l'âge & le goûts on étoit loin de penfer qu'un changement fubit de fortune pût renyerfer les projets des amans, &

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