Page images
PDF
EPUB

Mais ces lois mêmes qu'il faut respecter, comme le bien commun de tous les citoyens, ouvrent encore à l'esprit humain une source profonde de doctrine et d'éloquence : car il faut creuser ce fonds de vérités anciennes, pour en sentir la beauté, pour en développer les avantages, pour enrichir de plus en plus le trésor de ses preuves et de ses monumens; enfin, pour accroître, de siècle en siècle, l'amour et la vénération des peuples. Ecrivains modernes, vous plaindrezvous de ces limites, comme si votre esprit étoit sans bornes? aurez-vous peur de manquer de génie, quand vous n'insulterez plus aux fondemens de la société ? n'y a-t-il donc de génie que dans la contradiction? et la vérité vous sera-t-elle moins aimable, parce qu'elle sera plus respectée ? Ennemie des entraves, votre raison libre et fière craint de ne pouvoir respirer à l'aise dans ce champ si fertile et si spacieux. Ah! soyez aussi vastes que lui, c'est assez. Ayez seulement du génie comme Bossuet; ne soyez pas plus profonds que Pascal, ni plus éloquens que Fénélon. Ecrivez comme la Bruyère; intéressez, touchez, remuez les cœurs, comme Massillon; raisonnez comme Bourdaloue;

et, si vous l'aimez mieux, soyez poètes, comme l'auteur de Polyeucte ou celui d'Athalie. Votre siècle et la postérité ne vous en demanderont pas davantage.

On pourroit appliquer à une foule d'autres points en contestation cette doctrine du droit commun que les antiquités de notre monarchie fortifient d'une si grande autorité. Mais les circonstances sont aussi délicates que pressantes; et je me hâte de revenir à nos questions principales d'où il faut déduire deux conséquences d'une application indispensable. L'une, que les corps délibérans ne doivent pas être en permanence, et l'autre, qu'au Roi seul appartient l'initiative des lois.

Tous les hommes sages comprennent, depuis long-temps, la nécessité de prévenir ce débordement de motions populaires qui, dans les temps de calamités, devient l'auxiliaire le plus dangereux de l'ambition et de l'intrigue. Qui est-ce, en effet, qui remue dans les cœurs ce fond d'inquiétude et de chagrin, source féconde de révoltes? D'où partent ces foudres et ces tempêtes qui ébranlent les Etats? Quels en sont les artisans? Ce n'est pas, sans doute, dans les classes mo

destes et laborieuses qu'il faut les chercher, et le peuple dont la longue patience a lassé sous nos yeux jusqu'à l'orgueil du tyran, peut apprendre au Roi légitime combien il a d'empire sur le cœur d'une nation qu'il rend heureuse. Il est vrai qu'il ne faut pas laisser agiter par l'erreur ce limon des passions populaires qu'on ne remue jamais impunément. Mais n'est-ce pas dans les assemblées que naissent et fermentent ces principes de discorde? n'est-ce pas parmi ces têtes inquiètes et ardentes, qui ne rêvent que des nouveautés dangereuses à l'Etat, parmi ces vains discoureurs, follement épris des charmes grossiers d'une éloquence tribunitienne? n'est-ce pas, enfin, parmi les conseillers même du prince, et, s'il faut le dire, parmi ses favoris, que la multitude des grâces et des honneurs ne rend que plus jaloux et plus insatiables du pouvoir? Qui de nous ne trembleroit encore à l'idée de voir renaître des assemblées perpétuellement délibérantes, des assemblées investies et armées de cette faculté incendiaire, de ce pouvoir des motions, emprunté des Anglais, et qui fut pour nous ce cheval de bois, cet instrument de ruine, introduit

avec tant d'empressement dans la malheureuse Ilion?

Illa subit, mediaque minans illabitur urbi,
O patria!

Il n'y a pas une des feuilles sanglantes de nos annales révolutionnaires qui ne réclame contre une pareille institution. Mais je consens à prendre plus haut des exemples aussi touchans et peut-être plus instructifs.

Si ce fatal principe ne fut pas la première cause, il fut du moins l'instrument le plus actif de cette révolution de 1688, qui acheva de précipiter du trône d'Angleterre l'ancienne, maison des Stuart. Cette leçon est frappante et digne d'une éternelle mémoire.

Après la violente oppression de Cromwel et la courte anarchie de son successeur, il sembloit que l'Angleterre, lassée de tant d'erreurs, alloit se reposer dans les bras de son roi. Charles II avoit été reçu avec tant de marques d'amour et d'empressement par toute la nation, qu'on ne pouvoit douter que ce sentiment ne fût sincère et général. Mais ce malheureux prince se laissa dicter

des

des lois par ceux que la reconnaissance devoit mettre à ses pieds. Le parlement qui paroissoit applaudir avec tout le peuple à son retour, mais plein, au fond, de ses ennemis secrets, et tout infecté du venin des anciennes factions, ne tarda pas à faire avorter de si belles espérances. On vit alors commencer la lutte la plus odieuse entre l'ingratitude et la bonté, toutes deux également extrêmes. On vit des flatteurs de Cromwel, souples reptiles que la crainte avoit fait ramper aux pieds d'un tyran, se redresser fièrement à la promesse de l'impunité, outrager le roi qui leur pardonnoit en père, et forger insolemment des entraves à la majesté royale. Des insensés, qui, tout récemment, avoient vu l'Etat renversé par les passions de la multitude, ne parloient que d'affoiblir la digue qui pouvoit contenir ce torrent. Aucune concession du monarque, aucune condescendance ne put arrêter dans leurs complots, deux chambres presqu'également factieuses, qui sembloient n'avoir offert la royauté à Charles II, qu'à condition qu'il ne régneroit pas. Qui le croiroit, si l'histoire n'en rendoit témoignage? Ces corps délibérans, devenus le centre de toutes les ambitions, le foyer

« PreviousContinue »