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de fureur, écarter avec fa trompe tous ceux qui vouloient l'approcher; fon conducteur ordinaire n'étoit point là; il brifa la chaîne à laquelle il étoit attaché, fortit de fon écurie, & prit le chemin de la fontaine où on l'avoit conduit la veille. Son conducteur, qu'on avoit fait avertir, alla le chercher, & ne parvint pas à le ramener fans peine; l'animal fembloit le reconnoitre, & le méconnoitre par intervalle. Ce jour-là & le jour fuivant, il ne voulut point fe laiffer montrer, & ne fit aucun de fes exercices. Le peuple n'a pas manqué d'en conclure que c'étoit l'effet de l'eau de la fontaine, & cet événement ne l'encourage pas à en goûter de nouveau.

On vient de voir dans une grande ville d'Italie, un nouvel exemple de l'adreffe & de l'impudence d'un filou; il y avoit longtems qu'il n'avoit trouvé le moyen d'exercer fes talens; la défiance qu'il remarquoit partout, l'obligeoit à la plus grande circonfpection; après avoir bien rêvé, il a imaginé ce tour, qui n'eft pas bien merveilleux, & qui ne lui auroit pas réuffi dans tous les pays; it fe munit d'un habit religieux; & après s'en être affublé du mieux qu'il put, il fe préfenta à la porte de la maifon d'une dame, déjà d'un certain age, qu'il fçavoit riche, indifpofée, & qui pouvoit avoir befoin de confeffeur; il avoit eu foin de s'inftruire du nom du directeur de la bonne dame, & l'habit qu'il avoit choifi, étoit précisément celui de fon ordre. Il fe fait annoncer hardiment de la part du révérend pere, qu'il fçavoit n'être point à la ville ce jour-là; on l'introduit; il ne manque pas de lui dire que fon directeur ayant appris qu'elle n'étoit pas bien, & fe trouvant dans l'impoffibilité de la voir auffitôt qu'il le defireroit, l'avoir chargé de venir s'informer lui-même de l'état de fa fanté, & lui offri

fes fecours, fi elle en avoit befoin. La dame fut très-fenfible à l'attention de fon confeffeur; le fi lou enfroqué avoit bonne mine, parloit bien, & elle ne put s'empêcher de fe féliciter de ce qu'il avoit été choisi pour la confoler. Une dévote, même fans être furannée, voit toujours avec plaifir un jeune directeur; la dame voulut eflayer de celui-ci; il lui prit envie de fe confeffer; elle conduifit le filou, qui ne fit aucune façon, dans fon cabinet, pour y être plus tranquille; il y avoit entre autres meubles une trèsbelle commode & un prie-dieu, entre lefquels fe trouvoit un fauteuil, où le prétendu moine prit place. Sur la commode, qui étoit à côté de lui, il apperçut un écrain ouvert, & dont la richeffe frappa fes yeux; ceux de la dame, en lui confiant fes petits fecrets, étoient malheureusement tournés de ce côté; fa pofition ne lui permettoit pas de les porter d'un autre; & le filou, tout en feignant de l'écouter, étoit fortement occupé des moyens de s'emparer des diamans, fans qu'elle s'en apperçût. Il imagina, lorfqu'elle eut fini, de li donner pour pénitence de fe profterner le front contre terre, & de inéditer dans cette attitude pendant une heure entiere. Il voulut qu'elle commencât fur le champ cette méditation, afin qu'elle ne le reconduisit point; il prétexta des affaires qui l'obligeoient de fe retirer, & il promit de revenir. La dévote fe profterna; l'écrain paffa fous le manteau du filou, qui difparut avec fa proie. La dame refta fidelement dans la fituation où il l'avoit laiffée pendant une heure ; elle fe releva, fatisfaite de s'être confeffée, & d'avoir fait fa pénitence exactement; elle s'en repentit bientôt lorfqu'elle ne vit plus fes bijoux; elle a reçu une leçon, après laquelle elle ne fera plus tentée de fe preffer fi fort d'effayer d'un nouveau directeur; mais cette leçon lui a coûté cher; on évalue perte à 10000 féquins.

FRANCE.

Ce fut à regret que nous rendîmes compte dans cet ouvrage, de la révolution opérée en 1771, dans la magiftrature; mais fi l'on y apperçoit les traces paffageres d'un fyftême odieux à toute la nation, on y verra au moins avec plaifir un dépôt fidele de tout ce qui concerne la réhabilitation des magiftrats vertueux dont on déploroit la difperfion. Pour ne pas laiffer incomplet le recueil des opérations qui font dues aux bontés & à la juftice de Louis XVI, il nous refte encore à préfenter à nos lecteurs l'extrait du procès-verbal de la réintégration du parlement de Dauphiné, qui s'effectua le 2 du mois de Mai dernier.

Ce jour-là, le comte de Clermont-Tonnerre, lieutenant-général des armées du roi & au gouvernement de Dauphiné, & le Sr. Pajot de Marcheval, maitre des requêtes honoraire, intendant & commiffaire départi pour l'exécution des ordres de S. M., fe rendirent au palais, où les pré*fidens, confeillers & autres officiers du parlement étoient affemblés. Lorfque chacun d'eux fut placé, le comte de Clermont prit la parole, & dit.

MESSIEURS,

Le roi m'honore aujourd'hui de l'exécution d'une volonté qui fait retentir le royaume de cris d'alégreffe : dictée par la fageffe, la juftice & la bonté de S. M. 9 elle fait naître en nos cœurs la plus vive & la plus refpectueufe reconnoiffance.

Je fuis affuré, Meffieurs, qu'animés de l'efprit patriotique, dont vous n'avez ceffé de faire briller les vertus, elles vont être encore plus éclatantes, s'il eft pof. fible qu'un nouveau zele y ajoute.

Le paffé ne fe retracera plus déformais à nos yeux, que pour nous réjouir du mieux qui lui fuccede. Le bonheur conftant dont va jouir la nation, cetre douce cordialité qui a, dans tous les tems, fait la félicité des compagnies, & plus particulierement uni la vôtre, com

blera nos defirs: j'en jouirai avec vous, Meffieurs; la confiante amitié qui nous lie, m'en eft un gage auffi flatteur qu'afluré.

La présence d'un digne chef & de refpectables magiftrars rendus à des fonctions où nos cœurs les defi roient, rend notre félicité parfaite.

Il ne manquera rien, Meffieurs, à ma fatisfaction, lorfque j'aurai porté au pied du trône les nouvelles, marques d'amour, de respect & d'obéiffance que produit dans nos ames P'acte de bienfaifance dont S. M. nous comble aujourd'hui.

M. Pajor de Marcheval va vous faire connoitre plus particulierement, Meffieurs, les intentions de S. M. La lecture de la commiffion qui portoit les pouvoirs du comte de Clermont-Tonnerre, que ceux du Sr. Pajot de Marcheval, ayant été faite, ce dernier parla en ces termes.

MESSIEURS,

ainfi

Il est des tems où l'obéiffance dans un fujet fidele eft une vertu pénible, parce qu'aux efforts qu'elle impofe, elle ajoute des facrifices & des regrets dont elle ne confole pas.

Tel a été l'hommage que j'ai rendu aux volontés du feu roi, lorfque, chargé de vous communiquer des of dres qui changeoient la conftitution de ce fénat refpectable, j'ai partagé avec toute la province la douleur de leur exécution.

J'obéis encore aujourd'hui, Meffieurs; mais que ce fecond a&e de mon obéiffance me rend ma foumiffion chere, & me dédommage avantageusement de toutes les amertumes du premier!

Nous apportons, Meffieurs, dans ce fanctuaire de la juftice des ordres paternels. Un roi de 20 ans confacre les premiers momens de fon regne à étudier l'heureufe conftitution de fon empire; il reconnoit l'impor 'tance de vos fonctions; & fon premier foin eft de raffembler dans cet augufte tribunal des magiftrats qui en font l'ornement & l'appui: la confiance des peuples va déformais repofer fur la bafe antique que les premieres inftitutions lui avoient donnée.

L'intégrité, l'unité des fonctions rétablie, s'affermira dans le concert des efprits & des cœurs ; c'est le vœu de la patrie; c'eft celui du monarque qui vous raffemble fes loix pacifiques rappellent dans tout fon empi

("

fe la concorde & l'union. Vous êtes, Meffieurs, leur ouvrage; vous adopterez leur efprit; le refpectable & vertueux magiftrat que vous revoyez à votre tête, vous en donne l'exemple; fa conftance, l'élévation de fon ame, & fon attachement à fes devoirs, le rendent auffi digne de la place qu'il occupe, que l'illuftration de fa

naiffance.

va

Vous jugerez, Meffieurs, par la lecture de l'édit qui vous ère préfenté, avec quelle attention S. M. veille, dans les détails, au bonheur de fes peuples: non contente de rendre l'activité à toute la magiftrature de cette province, elle en a voulu perfectionner l'exercice & les fonctions, en prenant foin d'établir dans fon parlement de Grenoble une diftribution de chambres, qui claffe, pour ainfi dire, les lumieres, & détermine plus fpécialement la marche de la juftice, Ce nouvel ordre, Meffieurs, vous donne le même régime qu'aux autres parlemens du royaume; c'eft un bienfait public ajouté à la grace qui vous eft particuliere; & vous êtes trop éclairés pour n'en pas fentir tous les avantages.

Celui qui m'eft perfonnel, & dont ja fens tout le prix, eft d'avoir été choifi pour l'un des organes qui vous annoucent le retour de la faveur & des bontés du fouverain.

Après la lecture de l'édit portant rétablissement du parlement, le Sr. de Berulle, premier préfident a dit:

MESSIEURS,

Rétablis en ce jour dans nos fonctions par les ordres d'un jeune & vertueux monarque, qui, depuis qu'il eft monté fur le trône, s'eft fait un devoir de compter fes actions par fes bienfaits, ne fongeons plus déformais aux malheurs qui nous ont accablés, que pour mieux fentir le prix de la félicité publique que nous allons

tager.

par

Loin, donc, de nous cette idée affligeante, d'avoir pu déplaire à un prince véritablement fait pour être aimé fa main nous a frappés; mais fon cœur démentoit au fond un fyftême qu'il n'avoit adopté que paffagerement, & parce qu'on le lui avoit fait envisager comme néceffaire pour le foutien de fon autorité : s'il ⚫eat vécu plus longtems, il nous auroit rendu, fans doute, fa confiance & fes bontés.

Faffe le ciel qu'il ne fe rencontre plus de ces tems orageux où, partagés entre l'obéiffance & la loi, on se Supplémente. trimestre. 2775.. B

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