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jour des officiers françois, il a hauffé ou baisse leur païe à fon gré, mais toujours à leur détriment. Dans un gouver nement qui eft le dépôt de tous les malfaiteurs de l'em pire, il n'eft guere poffible, à la vérité, que la maniere de les gouverner, foit douce & polie; mais, elle devroit au moins fe régler fur les principes de l'humani té, dont le nom y eft à peine connu; & il eft ordinai naire d'entendre dire au gouverneur, par forme de fentence: Dieu eft Là-haut; l'impératrice eft bien loin; c'eft moi qui fais les loix.

Si l'on envoyoit en Sibérie un gouverneur éclairé, integre, & qui eût le bien public à cœur, en fe conformant aux ordres d'une cour bien intentionnée, il pour. roit rendre ce pays un des plus floriffans; tout y abonde affez pour qu'il puiffe fe paffer du fecours de fes voifins. Il y a beaucoup de mines très riches & très-abondantes, des pellereries de toure efpece; les vivres y font à un prix très-modique ; mais les autres chofes s'y vendent aujourd'hui au poids de l'or. La caufe de cet abus eft le défaut d'une bonne administration. Ceux qui tiennent le timon des affaires, ne fuivent d'autres loix que celles de leur intérêt ou de leurs caprices. Ils ne fçavent rien refufer à celui qui leur fait le plus gros préfent, même les injuftices les plus criantes. Chacun, en conféquence, fe tient fur fes gardes, laiffe éteindre chez lui l'émulation pour le commerce & les arts; & tous y vivent, comme on dit, au jour la journée: cependant, toujours attentifs à faifir les occafions de faire des dupes, ou à fe garder des fupercheries, ils y excellent au point qu'ils feroient en état de donner des leçons dans ce genre au Génois le plus rafiné. A un naturel dur & féroce, le gouverneur de Sibérie joignoit les plus grandes bizarreries, & tous les écarts que l'ivrognerie peut faire commettre. «Notre fort journalier, dit M. de B., dépendoit de celui de l'armée ruffe, Lorfque les gazettes annonçoient quelque avantage remporté fur les Turcs, le gouverneur augmentoit notre folde. Avoit-elle effuyé le moindre échec Il la diminuoit. En Juillet, & prefque tout le mois d'Août, il la réduifit à dix fols. Cependant, le 25 de ce dernier mois, fête de St. Louis, il m'honora de fa vifite, & fit collation chez moi, en confidération de Louis XV, roi de France. En Septembre, il fixa ma folde à vingt fols. En Octobre & en Novembre, elle fut à quinze, & celle des autres François à dix ».

Vient enfuite le détail de plufieurs procédés indignes que M. de B. effuya pendant fon fejour à Tobolsk,

porta quelquefois fes plaintes, au nom de S. M. I. chez M. le baron de Hillemsberg, général-major, & Ober, commandant. Comme c'eft un homme de la plus exacte probité, il rendoit juftice fur le champ; mais le gouver neur trouvoit bientôt le moyen de s'en venger Voici deux traits qui acheveront de dévoiler le caractere de ce tyran.

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Un marchand, pour obtenir la permiffion d'aller négocier du côté de la Chine ne fit au gouverneur qu'ua préfent trop modique pour fatisfaire fon avidité. Le gouverneur ne l'oublia pas, Quelque tems après, le feu prit à une maifon de la ville; on fçavoit bien comment; mais le gouverneur fit prendre le marchand dans, fon lit, & le fit rouer de coups jufqu'à ce qu'il fe fût déclaré l'incendiaire. Il s'accufoit à faux; le gouverneur le fçavoit; il le condamna néanmoins à fubir de knout, à avoir les marines coupées, & au travail des mines pour sa vie.

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Voici le fecond fait qu'on rapporte tel que toute la vil le le raconte. Dus vivant de l'époufe du gouverneur, qu'on dit avoir été une femme d'un très-grand mérite, devint amoureux d'une Demo:felle de condition. Celleci, qui n'étoit rien moins que riche, quoique fon pere fat confeiller, prit le parti de faire acheter fes faveurs un peu cherement. Le gouverneur voulant épargner f bourfe, s'avifa d'un expédient dont l'exécution eût été Funie capitalement dans tout autre pays. Il engagea une princeffe reléguée dans un monaftere de filles, à voler les boucles d'oreilles de fon époufe, qui étoient or nées de brillans d'un prix affez confidérable. Elle les déroba fans être apperçue, & les remit au gouverneur qui en fit préfent à fa maîtreffe. L'époufe du gouverneur s'étant apperçue que ces boucles lui manquaient, ea donna avis à fon époux; celui ci, pour éloigner tout foupçon fur fon compte, fit arrêter une quinzaine de perfonnes fufpectées, à cet égard, par fon épouse, les fit toutes condamner au knout & au travail des mines pour le refte de leurs jours.

L'article des Colons mérite une attention toute particuliere. Ces colons font des hommes que la noble de fournit pour fe difpenfer de livrer des recrues. On les def tine à peupler les provinces défertes ; & l'arrangement qui concerne la Sibérie, y devroit faire entrer tous les ans 15 à 20 mille ames, y compris les exilés & les malfaiteurs; mais on a fi peu de foin d'eux dans la route qu'il en périt au moins les deux tiers avant que d'y ar river. Dans les différens envois qui font venus à Tobols),

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pendant le féjour de M. de B. il en manquait toujours au-deffus de la moitié. Ceux qui font arrives, fains ou malades, n'ont jamais excédé le nombre de ୨ mille. Parvenus à Tobolsk, il femble qu'on y foit chargé des moyens de les détruire. Au lieu de les faire partir, après quelque féjour, pour les villes & autres endroits de leur deftination, on les y retient deux ou trois ans, quelquefois davantage, à la folde de 2, fols par jour, fanş feur affigner de logement, pas même de quartier; on ne leur adminiftre aucun fecours dans leurs maladies, & l'on exige de ces miférables les travaux les plus pénbles. On les emploie à nettoyer les rues, a batir des écuries, des maifons, des hangards, à faire le foin & le bois du gouverneur & de fes protégés; & pour paie ment, on les gratiñe d'une grêle de coups de bâton. *

POLOGNE."

Le comte Kofcialkowski, député du tribunal de Lithuanie vers le roi, s'eft acquitté de fa commiffion ainfi qu'on l'a dit dans la rere. quinz. de Septembre), en adreffant à S. M. le difcours fuivant

SIRE,

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C'eft en fuivant les impulfions d'une fidélité inviolable que, délégués par le fuprême tribunal du grand-duché de Lithuanie nous devons le bonheur de nous préfenter devant le trône de V. M., pour lui rendre l'hommage que nous lui devons, pour lui témoigner cette foumillion que nous preferit notre qualité de fujets tideles, enan pour lui faire part de cette fatisfaction générale que V. M. partage avec nos concitoyens d'une maniere particuliere, & qui eft le fruit d'une exacte adminiftration de la juftice.

Depuis que, pénétrés de ce zéle que le refpect pour les loix, fçait fi bien infpirer, nous fommes entrés dans cette glorieufe carriere, qui a pour but l'adminiftration de la juftice, nous avons été perfuadés que nous devions la parcourir avec d'autant plus de bonne volonté & d'exactitude, que nous devions la fournir avec d'autant plus de promptitude & d'activité, que nos foins & nos vœux devoient être d'autant moins ménagés, que le fervice que nous rendions à la patrie étoit plus important, & l'espérance plus certaine de remplir en cela les vues de V. M., & lui fournir un jufte fujet de contentement. Ꭺ Ꮆ

Il est vrai que rien n'est moins à l'abri de l'illufion que de telles efpérances; on ne fe prête qu avec répugnance aux éloges prématurés qu'on leur donne; combien de fois n'ont elles pas rempli de trifteffe & couvert d'opprobre celui la même qui s'étoit haté de les combler de louan ges!

Ce n'eft pas à-préfent que ces craintes peuvent avoir lieu ; ce ne font pas de flatteufes prédictions fur un avenir incertain, ce font nos démarches actuelles, entreprises pour le bien public, qui nous font partager la joie de nos concitoyens, habitans du grand-duché de Lithuanie. Fideles dépofitaires de l'autorité de V. M., nous croyons foutenir dignement fa gloire, en méritant les éloges qu'on s'emprefl'e de nous donner; & nous ofons, de concert avec nos compatriotes, nous féliciter nous-mêmes d'être parvenus à cette éminente dignité fous le gouvernement d'un fouverain qui ne connolt point d'autre base de fon troue que fa bonté & fa magnanimité. Si la juftice eft le plus ferme foutien, le plus für garant de la confervation des empires, il n'y a point de bon citoyen qui, n'y étant pas même intéreffé perfonnellement, ne foit pénétré de la plus vive joie, lorfqu'il eft convaincu de l'intégrité des tribunaux. Les loix font l'annonce des républiques, di foient les anciens fages; mais de quel ufage feroient les loix les plus falutaires, fi elles reftoient dans l'inaction, ou, ce qui eft plus dangereux, fi elles étoient violées impunément? Rien de plus foible par, foi-même que les loix. Il eft, par conféquent, bien plus vrai d'avouer que, pour juger fainement d'une république, il faut connoître ceux qui préfident à l'exécution des loix, qui veillent à l'adminiftration de la juftice, qui avertiffent les citoyens de leur devoir, & qui y font rentrer ceux qui s'en font écartés.

!

Il n'eft pas poffible de douter que le cœur de V. M. me foit pénétré de la joie la plus vive, à la vue d'un bonheur fi intéreffant pour tous fes fideles fujets, & qui forme la bafe de leur félicité effentielle. C'eft à la pré. voyance paternelle de V. M., c'eft à fa vigilance active, c'eflà fon intention réfléchie, à fes vues fupérieures, dirigées par la juftice, qu'il faut attribuer cette force & cette efficacité qui rendent tous ceux que la voix des citoyens a appellés à l'adminiftration de la juftice, d'une intégrité fans reproche, d'un zele pour le bien de la patrie, qui ne fe rallentit jamais, d'une ardeur à fa défense que rien ne fçauroit démentir. Tout cela acquiert un nou yeau relief, lorsque nous voyons à la têté de notre com

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pagnie, le conite Lupacinski, grand-notaire du grandduché de Lithuanie, citoyen infiniment refpectable par fes vertus & par la réunion en fa perfonne de toutes ces qualités & ces talens qui, pris féparément, attirent aux autres le refpect & l'admiration. Avec quelle vénération ne voyons-nous pas dans ce digne maréchal, cet enfem ble fi rare d'une naiffance diftinguée, d'un efprit cultivé & doué des qualités les plus recommandables, d'une piété chrétienne auffi tendre qu'elle eft éclairée, & enfin d'un defir ardent de procurer le bien public, defir conftaté par les preuves les plus décifives? Jufte appré ciateur d'un mérite auffi diftingué, V. M. ne lui refutera pas les témoignages fignalés de fon approbation, & de fa bienveillance royale.

Le tribunal du grand-duché de Lithuanie, dirigé par un chef auffi illuftre, fe préfente, par fes délégués, aux pieds du trône de V. M., pour lui témoigner fes refpects & fa foumiffion, & y dépofer les vœux qu'il forme fans ceffe pour la confervation des jours de V. M., dont la prolongation fait le bonheur de la patrie, la gloire de la nation, & le contentement le plus folide des habitans du grand-duché de Lithuanie.

Qu'il m'eft flatteur, Sire, de réunir mes vœux à ceux de mes compatriotes, & de donner, pour preuve de ma fidélité inviolable, ces fentimens qui, de concert avec ceux de la nation, n'ont d'autre objet que de voir la prof périté de V. M., immenfe dans fon étendue, invariable dans fa folidité, perpétuelle dans fa durée !

On a parlé d'un mémoire remis au roi par le baron de Rullecourt, colonel-commandant de la légion de Maffalski; cette piece justificative eft conçue en ces termes :

SIRE,

Etranger, & ignorant les loix d'un pays où je me vois condamné avant d'être entendu, je m'échappe des mains de mes ennemis, & viens me jetter aux pieds du trône de V. M., pour la prier d'exercer le plus beau de fes droits, fa juftice: oui, Sire, je l'implore, & je la demande févere: les faits qu'on m'impute, & la qualité de mes juges, qui violent toutes les loix, me, font fentir combien je fuis heureux de pouvoir offrir ma vie à la juftice de V. M. pour gage de mon bonheur,

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