Page images
PDF
EPUB

vous avez dépenfé des millions pour établir cette taxe par la force. La guerre, Mylords, eft montée à un degré que perfonne n'a pu prévoir, à un degré qui menace actuellement ce pays de fa ruine, de fon entiere deftruction. L'Amérique eft perdue. L'Angleterre, je le crains, eft ruinée pour jamais. Qu'avez-vous fait, Mylords? Vous avez réduit la Grande-Bretagne à la condition d'un état dépendant, dépendant de l'amitié précaire, ou de la neutralité plus précaire encore de la France. Vous avez condamné une province entiere, fans l'entendre, fans même demander fatisfaction du tort que vous aviez effuyé : vous l'avez profcrite: vous avez fermé fes ports & fes havres: vous l'avez privée de fes droits fondés fur une charte; vous l'avez dépouillée des privileges les plus précieux, du droit inalienable qui appartient à tout Anglois par sa naissance, du droit d'être jugé par un juré du voifinage, par des juges qui connoiffent les parties, le délir, Ja provocation, le mefure de la peine. Quelle en a été la conféquence, Mylords? Trois millions de peuple refuferent d'être affujettis à vos édits arbitraires. — Je vous demande pardon, Mylords. Ce furent les miniftres qui fe tromperent. C'étoient des Anglois qu'on vouloit affujettir & réduire à l'esclavage. Ils refuferent, Mylords. L'habileté, la valeur de vos généraux, la bravoure de vos troupes, votre flotte même, la force & la gloire de cette nation jadis fi puiffante, fe trouverent infuffifantes. A quoi futes vous réduits? Vous ne pûtes vous procurer affez de monde chez vous : des Anglois ne se plaifent point à foumettre des Anglois au joug de la fervitude, ni à fouler aux pieds les droits de leurs concitoyens. Que fites-vous alorst Vous prîtes à votre folde vingt mille paysans allemands; vos ministres, veux-je dire, les prirent à louage pour couper la gorge à vos colons innocens.

Ces colons, Mylords, on les appelle aujourd'hui des rebelles on les flétrit de toutes les épithetes injurieuses & aviliffantes que notre langue peut fournir. Cependant, Mylords, je me fouviens que, lorfque ce pays fe vit en guerre avec les puiffances unies de la France & de l'Efpagne, lorfqu'il y eut une rebellion, & une rebelhon écoToife dans le cœur de ces royaumes; lorfque nos flottes furent devenues inutiles, nos armées battues,je me Louviens qu'alors ces mêmes hommes qu'on peintaujour d'hui comme les rebelles les plus vils, les plus déteftables, que ces hommes, oui, que cette même colonie qu'on a repréfentée comme la couche ou la fedition & la trahifon ont été fomentées & closes; cette colonie contre laquelle

[ocr errors][ocr errors][ocr errors][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

les foudres les plus atterrantes du gouvernement ont été annoncées, & effe&ivement lancées; je me e fouviens, dis-je, que ce fut cette même colonie qui envoya ces quatre régimens de milice indifciplinée, lefquels donne rent le premier échec à la France dans fa fuperbe carriere, & planterent l'étendard de la conquête fur les murs de Louisbourg.

Il n'eft pas befoin, Mylords, que je cite des faits particuliers en preuve de fa bravoure, du zele, de la f délité & de l'affection de ce peuple : les annales de la derniere guerre pourront en inftruire ceux d'entre vous qui n'ont pas affez d'âge pour fe reffouvenir comment il combattit, comme il répandit fon fang pour fa patrie: elles leur diront avec quelle générosité il concourut à fa défenfe, avec quel amour fraternel il partagea, le fardeau & le danger commun. Voilà, Mylords, les hommes infortunés que vous avez dévoués à la deftruction, dont vous. avez voulu rafer les villes, anéantir le commerce, détruire les libertés par le fer, confifquer les biens, & affervir les perfonnes; voilà le peuple que vos miniftres fouhaitent d'extirper.

Quel a été le fyftême fuivi par l'adminiftration, & quelles ont été les mefures qu'elle a prifes pour l'exécu ter? Votre fyftême a été un gouvernement bâti fur les ruines de la conftitution, fondé fur un droit de conquête ; & comme un moyen d'y parvenir, vous avez ramassé tout le rebut de l'Allemagne. Il n'eft pas dans ce pays de petitprince dont vous n'ayez imploré le fecours; vous êtes devenus d'humbles follicitans à chaque cour allemande : vos miniftres y font mis fur les rôles de la chancellerie, comme des particuliers contractans au nom de cet empire n'aguere f grand, fi glorieux. Les lauriers de la GrandeBretagne fe font fanés, fes armes font déshonorées, fes négociations rejetées avec dédain, fes confeils tombés dans le mépris. Vous avez vainement tenté, Mylords, de conquérir l'Amérique à l'aide de mercenaires étrangers par les armes de 20 mille pay fans allemands fans difcipline, glanés enfemble de chaque coin obfcur de leur pays: vous avez accordé des fubfides à leurs maîtres : vous avez répandu avec profufion le tréfor public entre leurs mains: & qu'avez-vous gagné ? Rien, Mylords, finon de forcer les colonies à fe déclarer des états indépendans. Vous les avez excitées à agir avec vigueur, avec réfolution vous les avez unies & liguées enfemble: par cette conduite dénaturée, vous avez cimenté leur concorde yous leur avez donné une feule & même ame. I.curs

:

cœurs font remplis d'indignation; ils font enflammés d'un jufte reffentiment; ils bralent d'ardeur de venger les injuftices qu'on leur a faites, & de les rendre avec ufure à leurs oppreffeurs cruels & fans miféricorde.

Oui, Mylords, je le dis: trois millions d'hommes li bres ne fe foumettront jamais à 20 mille mercenaires. L'idée en eft abfurde, la tentative ridicule; je pourrois acffi bien me promettre de les conquérir avec cette béquil. le, que fuppofer que l'Amérique se soumettra jamais à une force auffi méprifable. Je vous recommande la paix à tout événement: plus longtems cette malheureuse conteftation fera continuée, plus il fera difficile de la terminer, & moins nous ferons en état de l'assoupir avec honneur ou avec avantage..

Les miniftres, comme ils ont commis faute fur faute dès le commencement, font encore dans une erreur fatale à l'égard de nos ennemis naturels, les François : ils s'imaginent qu'il n'y a rien à craindre de ce côté-là, parce que la France nc s'eft point interposée dire&ement en faveur de l'Amérique. Mais, Mylords, les miniftres lorfqu'ils batiffent de fi belles chofes fur cette circonftance, font-ils réflexion qu'ils raifannent comme i la France étoit infenfée ? Voudroient-ils qu'elle s'expofat aux rifques, aux hazards, aux frais d'une guerre, tandis que Ja Grande-Bretagne fait pour elle tout ce que cette puiffance peut fouhaiter? Ce fut une erreur des plus groffieres, de fuppofer que la France ait jamais pensé un feul moment à donner un fecours direct aux colonies. Elle n'a jamais fongé à nous arrêter dans notre carriere infensée, ni à s'interpofer entre nous & nos colonies. Non, Mylords, elle a eu foin, par fa conduite, d'entretenir & de nourrir les folles idées de conquête & de domination qui ont pris malheureufement le deflus dans l'enceinte de ces murs. Elle a été également attentive à donner ce degré de foutien & de protection qui a fervi jufqu'à préfent à alimenter la guerre civile, au point de renverser vos deffeins, & de vous faire confumer vos forces à pure perte.

Je crains, Mylords, je crains que cette guerré, auffi cruelle que dénaturée, ne devienne à la fin une guerre fatale. Vous avez profcrit vos propres enfans; vous avez fermé l'oreille à leurs requêtes refpectueufes, à leurs ardentes prieres ; leurs remontrances décentes & conftitutionelles, vous les avez traitées de trahifon & de rebellion. Vous avez perdu l'Amérique ; vous avez verfé les richef

fes dans le fein de la maifon de Bourbon. La France oublieroit-elle fon propre intérêt au point de penfer à la guerre ? & à quel deffein, Mylords? Seroit-ce pour effectuer ce que ce pays effectue lui-même au prix de vingt millions fterl. par an ? La France connoît mieux fes intérêts elle remplit fes arfenaux de munitions navales; el le procure le débit de fes marchandifes; elle amalle dans fes magafins le produit de l'Amérique. Par ces mêmes moyens & en même tems, elle fe prépare à la guerre ; elle cultive & étend fon commerce; elle ouvre avec fa. geffe de nouvelles fources de richeffes au dedans, & des forces au-dehors, pendant que nous continuons tous les jours à prodiguer inutilement nos reffources, que notre commerce languit, que notre argent comptant fort du royaume pour acheter ces marchandifes que nous re. cevions ci-devant en échange de nos propres manufactures, outre les avantages communs que nous en retirions par rapport au commerce.

Jufqu'à préfent, Mylords, nous avons fait des tentatives fans aucune utilité. Y a-t-il la moindre perspective raisonnable, même la plus éloignée, que les affaires feront dans un état plus riant à la fin de cette année que l'année derniere Nous avons déployé toutes nos forces dans leur plus grande étendue avec peu ou point d'effet. Nous avons parlé de conquérir l'Amérique: l'avons-nous fait ? Non, Mylords: nous n'avons aucun fujet de nous vanter, fi ce n'eft de quelqué peu d'avantages de nulle conféquence, & qui, fi l'on confidere le prix aaquel ils ont été achetés, & les circonftances qui les ont accompagnés, portent dans le fait l'apparence la plus folide d'une défaite. Nous continuons d'envoyer des troupes, & nous avons accordé des millions: & après tout cela, Mylords, que nous dit-on ? Qu'après des renforts fi énormes, notre armée fera précifément égale à ce qu'elle étoit l'année derniere, lorfquelle n'effeaua rien, ou peu s'en faut.

Cette obfervation fur le peu d'effet des préparatifs immenfes de l'année derniere conduisit Mylord Chatham à montrer ultérieurement l'abfurdité (ainfi qu'il s'exprima). dela confiance avec laquelle on fe repofoit fur la feule force des armes; &, d'après cette confideration, il infifta d'une façon très-pathétique fur la néceffité d'une prompte réconciliation. Nous fommes fur la pente du précipice, fur le bord même de notre deftruction. Saififfez, Mylords, le moment actuel, comme probablement le dernier où vous aurez l'occafon de fauver la nation. Quelques femaines,oui peut-être um

Σ

feul jour de délai; & il fera venu trop tard. On a te la guerre voyons à préfent ce que peuvent les voies èt conciliation: refouvenons-nous de notre fituation critique; confidérons les alternatives inévitables qui nous environ nent de deux côtés, fi nous perfévérons dans le même fyfteme infenfé, ruineux & oppreffif. Si nous perdons l'Amérique, l'Amérique fera ajoutée en effet à l'empite de France. Si nous avons le deffus dans la conteftation, af foiblis, épuifés, appauvris, comme nous devons l'être, nous aurons, dans ce cas, conquis l'Amérique pour la France. Si, n'attendant ni l'un ni l'autre de ces événemens, la France change fon fyfiême actuel (ce que je ne puis guere croire qu'elle falfe, à moins de quelque changement inattendu dans fes confeils), alors l'Amé rique ( ainfi qu'il eft naturel de le penfer) fera per due à jamais pour ce royaume. Si ce dernier cas arri voit, & que cette puiffance avouat publiquement fes fenti mens en foutenant la caufe des Américains ; n'euffions-i Bous que cinq vaiffeaux de guerre au monde, j'opine. rois dans l'inftant pour lui déclarer la guerre, comme la feule réparation qui put fatisfaire l'honneur bleffé d'une grande nation ».

1

Mylord Chatham termina fon difcours par des reproches fort vifs fur la maniere dont le miniftere & fes adhérens avoient fait échouer fes efforts précédens pour une paci fication: il rappella à la chambre les ouvertures contenues dans le bill, & la propofition qu'il avoit préfentée au com mencement de 1775, avant qu'il y eût encore eu une feu le goutte de fang répandue de l'un ou de l'autre côté; il dévoila la politique fatale qui l'avoit fait rejetter, & la maniere vraiment violente & indécente dont elle l'avoit été.

Dans la même féance, Mylord Shelburne fut un de ceux qui parlerent te plus fortement à l'aps pui du comte de Chatham. Nous nous bornerons à donner un extrait de fon difcours.

Après quelques réflexions fur les débats du jour, il en tra dans un grand détail des affaires générales du royaume relativement à la guerre en Amérique, & furtout par rapport à la fituation réciproque de la France & de Ja Grande-Bretagne. Il examina les intérêts des deux puif fances; & le réfultat de fes confidérations fut, que, férant à cet égard du fentiment de Mylord Chatham, it dif croyoit que rien n'étoit plus précaire que la continuation de la paix, & rien plus dangereux que la fécurité où

« PreviousContinue »