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après, le baron de Rullecourt apprit avec étonnement que le gentil homme polonois portoit plainte contre lui dans tous les tribunaux, en difant que ce colonel l'avoit enlevé de chez lui, l'avoit enchaîné, & l'avoit fait battre. Le parti affemblé chez le grand-général, faisit avec empreffement cette occafion de nuire au François. On nomma fur le champ un confeil de guerre chargé de l'interroger; mais heureufement pour lui, il reçut, au premier bruit de cette affaire, la vifite du général ruffe commandant l'armée en Lithuanie, qui l'afura de la protection de S. M. Imp.

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Cependant la commiffion envoyée pour le juger, débuta par des illégalités. On avoir pris la réfolution violente de s'affurer de fa perfonne; & pour y parvenir, on lui avoit envoyé l'ordre de fe rendre chez le lieutenant-colonel qui commande le régiment polonois en garnifon à Wilna. Outre qu'il étoit abfurde de vouloir l'obliger à fe rendre chez fon inférieur, la loi des confeils de guerre ordonne qu'ils ne fe tiendront que dans la réfidence de l'accufé. Le baron de Rullecourt n'étant pas auffi maladroit que le confeil de guerre, a voulu mettre les formes de fon côté. Il s'eft tranfporté chez le général-préfident du confeil, felon l'ordre intimé du grand-général; comme il étoit au confeil chez le lieutenant-colonel en question, le baron de Rullecourt prit acte de fa vifite, & fe retira. Ayant reçu le lendemain un nouvel ordre pour fe rendre au confeil, il s'en défendit en alléguant qu'il vouloit éviter que les Ruffes, ainfi que la compagnie de cadets nobles François qu'il commande, ne vinffent en force pour le délivrer, en cas qu'on lui fit violence. Le confeil de guerre fut donc réduit à opter de venir interroger l'accufé fous fes drapeaux, ou de s'en retourner fans pouvoir fe plaindre de lui.

Quoique la loi qui ordonne qu'un confeil de guerre doit toujours fe tenir à la garnifon de l'accufé, foit aufli pofitive en Pologne que partout ailleurs, elle n'en fùt pas moins violée par celui où devoit préfider M. Morawf ki,, qu'on avoit fait général en 24 heures, & auquel on avoit dicté l'arrêt qu'il devoit prononcer.

Le général ruffe fit dire au baron de Rullecourt d'aller au confeil, & qu'il l'y accompagneront; mais fur ce que les juges furent forcés de lui avouer que le parti étoit pris d'arrêter l'accufé, le général ruffe leur déclara que le colonel François étoit fous la protection de S. M. Imp. La commiffion fut en conféquence rompue, & l'on dépêcha un courier à M. le grand général. Oginski. Il eft aifé de voir que le but de la commiffion étoit d'ê

fer au baron de Rullecourt fon régiment, afin d'aider aux projets de confédération.

La chose n'ayant pas réuifi, comme on le defiroit, le grand général, pour la terminer par un coup de force s'introduifit incognito à Wilna, à 10 heures du foir, avec un corps d'uhlans, qu'il avoit pofté à un demi-mille de la ville. Le baron de Rullecourt voyant qu'il alloit infail liblement être attaqué, & que, fi les Ruffes qui veilloient à fa défenfe, repcuffoient les infultes, cela feroit un prétexte dont les confédérés fe ferviroient pour commencer les hoftilités, réfolut de fe rendre chez le grand-général; il vouloit finir tout par cette démarche. Les François qu'il a l'honneur de commander, s'oppoferent à fon deffein, lui déclarant que, fi le grand-général le faifoit arrêter, ils fe porteroient aux plus violentes extrêmités. Dans une circonftance auffi critique, il ne trouva d'autre moyen que de s'échapper par la fuite, & d'aller fe mettre fous la protection du roi. Mais ce parti, le plus fa ge pour lui, lui a coûté des dangers. Des couriers qui le dévançoient, avoient ordre de l'arrêter comme voleur & affaffin. Sçachant que tout le monde étoit aux aguets pour le faifir, & qu'on ameutoit les diétines contre lui, il s'écarta de la grande route, & gagna enfin Warfovie, où il apprit que le grand-général avoit mis fa tête à deux mille ducats. Il a remis au roi un manifefte, & S. M. lui a promis toute forte de protection & de juftice.

Cependant, foit que le baron de Rullecourt n'ait pas trouvé tout l'appui qu'il efpéroit, foit qu'il ait cru devoir s'éloigner d'un pays où fa tête étoit mife à prix, il s'eft déterminé à partir pour Paris, où il eft actuellement. On dit qu'il doit implorer les bontés de S. M. T. Chrét. pour obtenir la liberté de 21 gentilshommes françois qui ont été faits prifonniers dans l'affaire deGrodno en Lithuanie, Un des griefs du baron de Rullecourt contre le comte Oginski, eft de n'avoir point encore touché d'appointemens depuis qu'il eft à la tête de la légion de Massalski.

Les derniers avis de Pologne portent que le jour même que le baron de Rullecourt eft parti de Lithuanie, le comte Oginski a fait affembler la garnifon polonoise à Wilna, & qu'il a

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été fait lecture à la tête de ces troupes, d'une sentence rendue par contumace, par laquelle cet officier eft déclaré rebelle, déferteur, caffé comme tel, &c. Quant aux cadets nobles françois qui ont été pris à la rencontre près de Grodno, on affure que le grand-général les fait traiter avec beaucoup d'égards.

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La convention conclue entre la Porte & la cour de Vienne s'exécute actuellement. Les Turcs ont donné leur confentement à la défignation des frontieres par des poteaux, depuis Czerniejowice, en fuivant le cours du Pruth, jufqu'à Kompulkulu; ce qui renferme Soczawa & fon diftrict. Les Valaques, qui occupoient la portion cédée à la maifon d'Autriche, auront, échange de ce territoire, une partie du pays, où ont demeuré jufqu'ici les Tartares de Budziack. Un capigi a été envoyé de Bender, pour tranfplanter cette derniere horde, & la conduire dans les vaftes déferts près d'Oczakow, où elle doit fe fixer à l'avenir. On efpere que cette ceffion, & les émigrations qui doivent la faciliter, affureront la durée de la paix dans ces contrées. Les Valaques cependant fe plaignent de l'échange qu'ils font contraints de faire, d'un pays fertile contre un terrein ftérile & défert.

Le bruit fe répand que le gouvernement général de la Poméranie, vacant par la mort du fénateur comte de Sinclair, est destiné au duc d'Oftrogothie, frere du roi de Suede; ce qui fait préfumer que S. A. R. abrégera le cours de fes voyages.

BERLIN ( le 20 Août.) Le 23 du mois dernier, jour où le prince Henri fit la demande de la princeffe de Wurtemberg pour le grand-duc de Ruffie, il y eut à cette occafion bal paré, & grand fouper. Le prince Eugene de Wurtem

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berg y parut revêtu des marques de l'ordre de de St. André, & la future grande-duchesse, ainfi que la ducheffe fa mere, y parurent auffi avec les marques de l'ordre de Ste. Cathérine. Il arriva pendant le fouper un événement qui, fans être dangereux, pouvoit caufer quelques allarmes. Un morceau de la peinture à frefque du platfond, de la largeur d'un demi-pied, mais trèsmince, fe détacha & tomba devant la table de la famille royale. Un instant après, il s'en détacha un fecond morceau plus petit, & enfin un troifieme plus petit encore qui tomba dans un plat devant le roi. Alors, quoique ce ne fût qu'une espece d'écaille de peinture, à laquelle il tenoit peu de plâtre, S. M. remarquant de l'inquiétude fur le vifage des princeffes, & le touper étant prêt à finir, fe leva de table.

Le grand-duc de Ruffie a été reçu à Potzdam avec autant de magnificence qu'il l'avoit été ici, & l'on n'a rien oublié de tout ce qui pouvoit varier fes amusemens. Le 29, il vit les grandes manoeuvres qui furent exécutées par la garnison de Poczdam, à laquelle les gardes-du-corps s'étoient réunis. Le 30, le roi, accompagné du grand-duc, des princes & princeffes, alla dîner à Charlottenbourg, & vint coucher en cette capitale. Le 31, il y eut dîner, opéra, & fouper chez la reine. Le Ier. de ce mois, le prince Ferdinand de Pruffe donna au grand-duc une fête magnifique à fon château de Friderichsfeldt ; le deffert représentoit le temple de l'immortalité au milieu duquel on voyoit l'impératrice de Ruffie, accordant la paix aux Turcs, qui la recevoient dans une pofture fuppliante.

Le 2, S. A. Imp. vit l'hôtel des cadets nobles, où elle fut reçue avec de grands honneurs. Le foir, il y eut comédie & fouper à Monbijou. Le 3, après le dîner chez la reine, ce prince fit fes

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vifites d'adieu à la famille royale. Le foir, il y eut redoute & fouper dans la falle de l'opéra. Le , les généraux, les miniftres étrangers & autres perfonnes de la premiere nobleffe eurent l'honneur de prendre congé du grand-duc. S. A. I. ayant foupé le même foir chez la reine, & pris congé de L. M. & de tous les princes & princelles, partit, le 5, à 7 heures du matin, au bruit du canon, pour retourner à Pétersbourg. Elle fut conduite par le même cortege qui l'avoit accompagnée à fon entrée, jusqu'au - delà de la levée de Rofenthal. Elle dîna à Oranienbourg, & arriva vers le foir à Rheinsberg, château du prince Henri, qui l'y avoit dévancée pour la recevoir.

Le même jour, le roi partit de grand matin pour retourner à Potzdam, & la reine fe rendit à Schonhaufen.

L'arrivée, le féjour & le départ du grand-duc font l'époque de la plus grande magnificence qu'on ait jamais vu déployer en cette cour. La veille du départ de S. A. I., on lui remit, de la part du roi, un préfent de porcelaine de la fabrique de cette ville, confiftant en un fervice de deffert, un autre de café, & 10 grands vafes, le tout peint, coloré & doré dans le goût le plus exquis; une bague ornée du portrait de S. M., & enrichie d'un gros brillant eftimé 30 mille écus; deux attelages, chacun de 6 chevaux du pays; quatre tapifferies de haute-lice de ta manufacture royale, & une piece de chaque fabrique de cette capitale. La princeffe future époufe & la ducheffe fa mere ont eu chacune une bague de grand prix. Le feldt-maréchal comte de Romanzow a reçu une tabatiere d'or, enrichie de brillans, évaluée à 15 mille écus, & un attelage de 6 chevaux de Pruffe; le général Solikow, le chambellan Narishkin, & le prince

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