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Conférences de Dumourier avec le roi de Pruffe:

On fait qu'un aide-de-camp du général Dumourier (M. Weftermann) eft venu à Paris tout exprès, de fa part, chercher des certificats qui puffent attefter à Fré déric Guillaume que notre ci-devant roi eft détenn au Temple commodément, & non point au Châtelet, fur la paille. Manuel, qui n'aime pas les rois, s'étoit chargé de faire délivrer les extraits des procès-verbaux de la commune relatifs à la détention de Louis XVI au Temple. Ces pièces, au lieu d'être remifes directement à l'ex-procureur de la commune, furent dépofées fur le bureau de la convention nationale, qui, inftruite du fait, paffa complaifamment à l'ordre du jour.

Quand le roi de Pruffe demanda à Westermann s'il étoit vrai que le roi fût au Châtelet, fi Weftermann eût répondu Que vous importe? le peuple français n'a point de compte à vous ren ire, Damourier ne nous eût point avilis auprès de Frédéric, en defcendant avec lui à une exhibition de certificats, Manuel n'eût point dégradé fon caractère en faisant l'entremetteur dans cette honteufe affaire, & la convention ne fe fût point com promife en l'autorifant.

Quel a été le résultat de tout ce manége & des entrevues nombreufes entre le roi de Pruffe & le général Dumourier? Un beau mémoire de ce dernier à Frédéric-Guillaume, dans lequel....; mais cette pièce est trop curieufe pour ne pas l'inférer dans fon entier; elle eft précédée d'un petit préambule adreffé à l'armée fran çaife. Voici, y dit Dumourier, les propofitions raifonna bles que j'ai faites aux puiffances: on va juger ces propofitions.

Mémoire au roi de Pruffe. La nation française a décidé immuablement fon fort; les puillances étrangères ne peuvent fe refufer à cette affertion vraie. Ce n'est plus l'affemblée nationale dont les pouvoirs étoient reftreints, dont les actes devoient être ou confirmés ou abrogés pour avoir force de loi, qui n'avoit qu'un pouvoir conteft, (par qui?) qui pouvoit paffer pour ufurpatrice, (Du mourier auroit dû s'expliquer; ceci eft une calomnie abfurde qui retombe fur le peuple.) & qui a eu la fagefle d'appeler toute la nation, & de demander elle-même aux 83 départemens la ceffa tion de fon existence & fon remplacement par une représentation revêtue de tous les pouvoirs & de la fouveraineté entière du peuple français, autorisée par la constitution même, sous le nom de cons

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vention nationale. (Pour être conféquent, que ne l'appelez-vous auffi ufurpatrice?)

Cette aflemblée, dès fa première féance, entraînée par un mouvement fpontané qui eft le même dans toutes les parties de l'empire, a décrété l'abolition de la royauté. Le décret el reçu par-. tout avec allégreffe; par-tout on l'attendoit avec la plus grande impatience; par-tout enfin il accroit l'énergie, & il feroit actuellement impollible de ramener la nation à relever un trône que les crimes qui l'entouroient ont renverfé. (Les crimes qui l'entouroient! Général, dites que le crime y étoit affis depuis 14 cents aus, gue le trône a croulé fous le poids des forfaits du de nier des dites Louis, dites qu'il exifteroit peut-être encore fi l'infame Bourbon n'eût couronné fes attentats par l'affaffinat du peuple.)

Il faut donc nécefairement regarder la France comme une répu blique, (on diroit que ce mot vous pèfe,) puifque la netion en-. tière a déclaré l'abolition de la monarchie: cette république, il faut ou la reconnoître, ou la combattre.

Les puillances armées contre la France n'avoient aucun droit de s'immifcer dans les débats de la nation aflemblée fur la forme de fon gouvernement. Aucune puiliance n'a le droit d'impofer des loix à une auffi grande nation, (grande ou petite, aucune puifiance n'a le droit d'impofer des loix à une nation.) auffi ont-elles pris le parti de déployer le droit du plus fort; mais qu'en cft-il réfulté ? La nation ne fait que s'irriter davantage, elle oppose la force à la force, & certainement les avantages qu'ont cbtenus les nombreuses troupes du roi de Prufle & de fes alliés iont très-peu conféquens : la refiftance qu'il rencontre & qui fe multiplie à mesure qu'il avance, eft trop grande pour ne pas lui prouver que la conquête de la France qu'on lui a préfentée comme trés-aiiée, eft abfolument imponible. Quelle que foit la différence des principes entre. le monde refpectable dont on a égaré Popinion, & le peuple français, lui & les généraux ne peuvent plus regarder ce peuple, ni les armées qui lui réfiftent, comme un amis de rebelles. (Fréderic un monarque refpectable! lui qui comme une s'eft jeté far nos contrées pour les dévafter! Et c'est un général bête féroce à la tète de So mille républicains qui lui porte du refpect! Eiclave, que n'allois-tu baifer la poulière de fes pieds! Romains, Romains, qu'euffiez-vous dit fi votre général eût appelé Porfenne un monarque refpectable?)

Les rébelles font ces nobles infenfés qui, après avoir opprimé fi long-temps le peuple fous le nom des monarques, dont ils ont eux-mêmes ébranlé le trône, ont achevé les difgraces de Louis XVI, (Comme le général s'appitsye fur le fort de fon roi! Fréderic auffi, Brunfwick auf difent les difgraces de Louis XVI.) en prenant les armes contre leur propre patrie, en remplittant l'Europe de leurs menfonges & de leurs calomnies, & en devenant par leur conduite aufi folle que coupable les ennemis les plus dangereux de Louis XVI & de leur pays: j'ai moi-même entendu plufieurs fois Louis XVI gémir fur tours crimes & fir leurs chimères. Dumourier, nous ne prendrons pas le change: vous voudriez nous faire croire que pendant votre miniflère vous n'étiez pas dans le fecret; pour votre gloire vous auriez mieux fait de garder le filence fur cet article; mais que vous y fuffiez ou non, aujourd'hui que tout attefte la correfpondance criminelle du ci-devant roi avec les frères, core

refpondance que Fréderic connoît mieux que nous, c'est à la fois une dérifion & une infamie que de venir dire avec l'air de la bonne foi que vous avez vu Louis XVI gémir fur leurs crimes & fur leurs chimères.)

Je fais jages le roi de Pruffe & fon armée entière de la conduite de ces dangereux rebelles. (Et de qui tenez-vous vos pouvoirs de prendre Frederic pour arbitre entre nous & les émigrés ?) Sont-ils eftimés ou méprilés? Je ne demande pas la réponte à cette quef-, tion, je la fais; cependant ce font ces hommes qu'on tolère l'armée praffienie, & qui en font l'avant-garde avec un petit nombre. d'Autrichiens auffi barbares qu'eux.

Venons à ces Autrichiens. Depuis le funefte traité de 1756, la France, après avoir facrifié les alliances naturelles, étoit devenue la proie de l'avidité de la cour de Vienne: tous nos tréfors fervoient à ailouvir l'avarice des Autrichiens; aufli dès le commencement de notre révolution, dès l'ouverture des aflemblées nationales fous le nom d'états généraux, les intrigues de la cour de Vienne fe multiplièrent pour égarer la nation ur fes vrais intérêts, pour tromper un roi malheureux & mal entour, & enfin pour le rendre parjure. (Toujours de l'entourage, général, on voit où vous en voulez venir; vous tremblez pour les jours de votre roi; vous le peignez comme un prince plus malheureux que coupable, de qui les crimes ne doivent être impatés qu'à fes courtifans; vous voudriez fouftraire la tete au glaive de la loi, en provoquant dans nos cœurs une honteufe pitié. Général royalite, parlez un autre langage, ou cefiez de commander à des républicains!) (1).

Ceft à la cour de Viene que Louis XVI doit ja déchéance. ( Cela n'eft pas vrai, il ne la doit qu'a fes trahifons envers une nation confiante & généreufe qui l'avoit chargé de fes bienfaits, après lui avoir deux fois pardonné.) Qu'a fait cette cour dont la politi que tortueufe eft trop fubtile pour développer une conduite franche & courageufe? Elle a peint les Français comme des montres, pendant qu'elle même & les coupables émigrés payoient des agitateurs, des confpirateurs, & entretenoient, fous toutes les formes pofiibles, la plus aftreufe difcorde.

Cette puillance, plus formidable à fes alliés qu'à fes ennemis, nous a attiré une grande guerre contre un roi que nous eflimons, contre une nation que nous aimons & qui nous aime; ce renversement de tous les principes politiques & moraux ne peut pas durer. (Difons plutôt que dans cette phrase il y a un renversement de toutes les idées: un roi que nous eftimons! Les Français eftimer un roi! & le roi de Pruffe! Si ce n'eft une ironie, c'eft le comble de

(1) Ce mot nous rappelle que M. Dumourier a pour aide-decamp un homme qui étoit républicain avant que la France ne fût république; Vialla, ci-devant aide-major du Bataillon de Popincourt, pourfuivi juridiquement en 1791 par les fieurs Colin-Cancey & Thouvenin, l'un capitaine, l'autre commandant du même bataillon, pour avoir dit publiquement qu'il étoit né républicain, & qu'il mourtoit tel, & qui fut condamné au tribunal des Minimes comme factieux & coupable de républicanifme. C'est lui, c'est le citoyen Vialla que nous chargeons de représenter à fon général tout ce que fa conduite a de coupable & de honteux.

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T'audace. Neus, eftimer un tyran exécrable qui nous a pris deux villes par trahison, qui a dévafté nos campagnes, rançonné, mutilé leurs habitans, porté la défolation fur fon pallage! Dumourier, foyez affez lache pour refpecter le roi de Pruffe, dégradez-vous jusqu'à l'eftimer; mais ne dites pas que la nation française l'eftime; elle le détefte, elle lui voue une haine implacable, à lui & à tous les rois qui lui relemblent. Quant à la nation pruffienne, s'il étoit vrai qu'elle nous aimât, au lieu d'obéir aux caprices d'un defpote, elle tenteroit de nous imiter.)

*Le roi de Prufe connoîtra un jour les crimes de l'Autriche dont nous avons les preuves, & il la livrera à notre vengeance. (Nous nous vengerons fans attendre le roi de Prufie.) Je peux déclarer à P'univers entier que les armées réunies contre les forces qui nous envahiffent, ne peuvent pas fe réfoudre à regarder les Pruffiens comme leurs ennemis, ni le roi de Pruffe comme l'inftrument de la perfidie & de la vengeance des Autrichiens & des émigrés. Ils ont plus noble de cette courageufe nation, & d'un roi qu'ils fe plaisent une idée à croire jufte & honnête homme. (Seroit-il bien vrai, braves foldats de ligne, courageux volontaires, vous tous qui avez juré d'exterminer, de pourfuivre jufqu'aux enfers les tyrans & leurs fatellites, feroit-il vrai que les Prufiens ne font pas vos ennemis, fur-tout que vous regardez Fréderic comme un roi jufte, comme un honnète homme? Sans doute vous avez déjà donné dans votre coeur un démenti bien prononcé à cette indigne aflertion de votre général. Comment a-t-il ofé déclarer à l'univers entier que vous étiez devenus parjures?..... Une nation courageufe! ces Pruffiens qui s'adreflent aux femmes & aux enfans, & qui prennent des villes vendues d'avance!)

Le roi, dit-on, ne peut pas abandonner fes alliés: font-ils dignes de lui? Un homme qui fe feroit affocié avec des brigands, auroit-il le droit de dire qu'il ne peut pas rompre cette fociété? Il ne peut pas, dit-on, rompre fon alliance; fur quoi eft-elle fondée ? fur des perfidies & des projets d'envahiffement.

Tels font les principes d'après lefquels le roi de Prufle & la nation françai e doivent raifonner pour s'entendre. ( Périffe celui qui le croiroit & agiroit en conféquence!)

Les Pruffiens aiment la royauté, parce que depuis le grand électeur ils ont eu de bons rois, & que celui qui les conduit efi fans doute digne de leur amour. (Lourd menfonge, plate flagornerie!).

Les Français ont aboli la royauté, parce que depuis l'immortel Henri IV, ils n'ont ceflé d'avoir des rois foibles ou orgueilleux, ou aches, gouvernés par des maîtreffes, des confefieurs, des miniftres infolens ou ignorans, des courtifans vils & brigands, qui ont affligée de toutes les calamités le plus bel empire de tout l'univers. (Malheur à nous fi un fentiment plus profond ne nous a dicté l'abolition de la royauté! C'eft la royauté plus encore que les rois que les Français doivent hair. L'immortel Henri IV! quelle pitié ! )

Le roi de Prute a l'ame trop pure pour ne pas être frappé de ces vérités; je les lui préfente pour Vintérêt de fa gloire, & fur-tout pour l'intérêt des deux nations magnanimes, dont il peut d'un mot affurer le bonheur ou le malheur; ( eft-il rien d'auffi dégoûtant que ce verbiage? l'ame pure du roi de Prule, qui peu d'un mot aflurer le bonheur ou ie malheur de deux nations. Apprends donc, flatteur des rois, à ne pas mettre en parallèle les Pruffiens & la nation Française.. Vois l'en

rée des Français en Savoie & dans la Belgique, & l'irruption dés Pruffiens en France. Ces deux nations font-elles également magna ́nimes?) car, bien certain de réfifter à fes armes, bien certain qu'aucune puiffance ne peut venir à bout de conquérir la France, je frémis en penfant au malheur affreux de voir nos plaines jonchées des cadav es de deux nations eftimables pour une vaine idée de point d'honneur, dont un jour le roi lui-même rougirait en voyant fon armée & fon tréfor facrifiés à un fyftême de perfidie & d'ambition qu'il ne par-tage pas, & dont il eft la dupe. (Dupe, foit. Mais qu'il n'ait pas partagé le fyftême de l'Autriche, voilà ce qui eft faux.)

Autant la nation française, devenue républicaine, eft violente & capable de tous les efforts quelconques contre fes ennemis, autant elle eft aimante & généreuse envers fes amis. Incapable de courber fa tête devant des hommes armés, elle donnera tous fes fecours, fon fang même pour un allié généreux, (qui a dit au général Dumourier que les Français vouluflent s'allier au roi de Prufie? Le fourbe! cent fois il a entendu répéter que la France ne vouloit s'allier qu'avec des nations libres.) & s'il fut une époque où l'on ait pu compter fur l'affection d'une nation, c'eft celle où la volonté générale forme les prin-cipes invariables d'un gouvernement; c'est celle où les traités ne font plus foumis à la politique aftucieufe des mintres & des courtifans. (Voilà peut-être tout ce qu'il y a de bon dans ce mémoire). Si le roi de Prufle confent à traiter avec la nation françaife, il fe fera un allié généreux, puiffant & invariable. (Point d'alliance avec Frédéric, avec les rois.) Si l'illufion du point d'honneur l'emporte fur les vertus, fur fon humanité, fur les vrais intérêts, alors il trouvera des ennemis dignes de lui, (le général Dumourier nous fait un grand honneur en nous croyant dignes du roi de Pruffe.) qui le combattront avec regret, mais à outrance, & qui feront perpé uellement remplacés par des vengeurs, dont le nombre s'accroît chaque jour, & qu'aucun effort humain n'empêchera de vivre ou mourir libres.

Eft-il poffible que contre toutes les règles de la vraie politique, de la justice éternelle & de l'humanité, le roi de Pruffe confente à être -l'exécuteur des volontés de la perfide cour de Vienne, facrifie fa brave armée & fes tréfors à l'ambition de cette cour, qui, dans une guerre qui lui et directe, a la finele de compromettre fes alliés, & de ne fournir qu'un foible contingent, pendant qu'elle feule, fi elle étoit généreufe & brave, devroit en fupporter tout le poids? Le roi de -Pruffe peut jouer en ce moment le plus beau rôle qu'aucun roi peut jouer. (Comme ces paroles font belles dans la bouche du général d'une armée d'hommes libres !) Lui feul a eu des fuccès, il a pris deux villes, -mais il ne doit ce fuccès qu'à la trahifon & à la lacheté. Depuis lors il a trouvé des hommes libres & courageux, à qui il n'a pu refufer lon eftime. Il en trouvera encore un plus grand nombre, car l'armée qui arrete fa marche groffit tous les jours, eile eft pure, animée d'un fett efprit. Elle et purgée des traitres & des laches (il eft des lâches de plus d'une espèce.) qui ont pu faire croire que la conquête de la France étoit facile, & bientôt au lieu de défendre, elle attaquera, fi une négociation raifonnable ne met pas une diftiation entre le roi & fon armée que nous eftimons, (encore de l'eftime! en frisonne d'indignation.) &les Autrichiens & les émigrés que nous méprifons. Il est temps qu'une explication franche & pure termine nos difcuffions, ou les confirme, & nous fafie connoître nos vrais ennemis. Nous les combattrons avec courage, nous sommes fur notre fol, nous avons à

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