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idées révolutionnaires des talents autrement perfides et dangereux

Quand on entend les déclamations des Spuller, des Chalamet, des Deschanel, des Challemel-Lacour, des Paul Bert et de toute cette pléiade dont le délire antireligieux n'a d'autre autorité que la force et le despotisme officiels, on peut se contenter de les renvoyer à la réalité historique, et d'opposer un démenti à leurs assertions mensongères, ou le mépris à leurs outrages.

Mais lorsque, remontant à quelques années, on se trouve en présence des discussions spécieuses des Dupin, des Portalis, des Troplong, des Séguier, des Pasquier et autres si habiles jouteurs de la révolution modérée, on sent qu'il y a dans leurs paroles ou leurs écrits un danger réel pour les esprits de bonne foi, et qu'il est nécessaire de leur répondre en dévoilant l'erreur ou le sophisme qu'ils ont propagés.

Parmi ces hommes, dont un talent incontestable a accrédité les écrits les plus erronés, il en est deux, particulièrement, qui ont formulé leurs idées sur l'ancien enseignement français. Ce sont MM. Dupin et Troplong; l'un dans son Manuel du droit public ecclésiastique français (Paris, 1844); l'autre, notamment dans son Mémoire relatif au pouvoir de l'Etat sur l'enseignement, d'après l'ancien droit public français. Ce mémoire a été lu à l'Académie des sciences morales et politiques, les 9 décembre 1843, 20 et 27 janvier 1844; il a été inséré en grande partie au Moniteur (numéros des 16 et 17 févr. 1844).

C'est à ces deux hommes que je veux répondre. On ne dira pas que, parmi les adversaires, je choisis les moins redoutables et les plus faciles à vaincre. Dans la pléiade des défenseurs de l'Etat omnipotent et de ses usurpations, ces deux hommes sont notoirement de ceux qui ont occupé la plus grande place, et aussi de ceux qui ont le mieux mérité la considération de leurs adversaires. Je me bornerai à répondre aujourd'hui à M. Dupin (1).

III.

M. Dupin, dans son Manuel, consacre tout un chapitre au pouvoir de l'Etat sur l'enseignement. Il veut établir que, sous l'ancien régime, l'Etat est toujours resté maître de

(1) On trouvera la réponse à M. Troplong dans une brochure que va faire paraitre M. Desplagnes; elle est trop étendue pour faire un article de revue, et ce sera un motif pour nos lecteurs de se procurer le livre de notre savant correspondant. (Note de la Red.)

l'enseignement, et prouver que l'Université de 1808, avec son monopole, n'est que la fidèle reproduction des anciennes universités françaises détruites en 1789. Pour soutenir cette thèse difficile, pour ne pas dire plus, M. Dupin, plus avocat que procureur général, et plus rhéteur qu'avocat, recourt à des équivoques et à des citations de textes auxquels leur origine et leur date enlèvent toute autorité dans l'espèce dont il s'agit.

Je reproduis quelques-unes de ces affirmations, pour qu'on juge de la thèse (v. le Manuel, p. 345-350).

« L'autorité royale, dit-il, quelles qu'eussent été ses concessions en faveur de certains collèges tenus par des laïcs ou des congrégations, n'avait jamais laissé entamer le droit privatif des Universités de conférer les grades au nom de la puissance publique..... »

«La fermeté de l'ancien gouvernement soutenait aussi avec vigilance les privilèges des Universités, et résistait aux plus puissantes influences, pour sauver de toute atteinte les droits de l'Etat, dont ces corps illustres étaient les fidèles dépositaires. »

« Si les Universités anciennes ont eu besoin d'être soutenues et protégées par les rois et les Parlements, l'Université moderne a aussi été en butte à de vives attaques. >>

M. Dupin présente les Universités anciennes comme des établissements de l'Etat, et il étaie sa thèse sur ce prétendu axiôme, qui n'est qu'une erreur impardonnable à l'historien le moins instruit. Les Universités étaient des créations de l'Eglise, des Papes, du clergé, dont j'ai rappelé précédemment l'origine. L'Etat n'a créé, à lui seul, aucune des 24 Universités de l'ancienne France, et jamais non plus ne les a réglementées. Les Rois les ont, à diverses reprises, dotées, protégées et défendues de diverses façons; mais à aucune époque elles n'ont vécu sous la direction ou la dépendance de l'Etat ou d'un ministre quelconque. C'étaient des établissements privés, s'administrant eux-mêmes sous le haut patronage du Pape et du Roi, obéissant, comme tout autre établissement et comme tous les citoyens, aux lois du royaume, et sur lesquels la surveillance de l'Etat était spécialement déléguée aux Parlements. Voilà la vérité incontestable; les Universités anciennes ressemblaient exactement, au point de vue du droit et de l'origine, aux Universités catholiques créées en 1875; elles n'avaient absolument rien de commun avec l'Université de 1808, qui est un établissement exclusif de l'Etat, uniquement créé et régi par lui, et lui appartenant comme un ministère, comme toutes les administrations, financières ou autres, qu'il a créées et qu'il dirige par ses agents.

M. Dupin veut donc équivoquer, en disant que l'Etat n'a

jamais laissé entamer le droit des Universités, ou son droit dont elles étaient dépositaires.

Les Universités ont reçu des Papes, et non de l'Etat, le droit de conférer des grades; et l'Etat n'avait pas encore pensé à la collation des grades, qui lui était absolument indifférente, alors que les Universités faisaient, depuis 400 ans, des bacheliers, des licenciés et des docteurs. Dans les usages de l'Eglise, la collation de ces grades appartenait non pas à toutes les écoles ou tous les colléges, mais seulement aux Universités, c'est-à-dire à ces agrégations des diverses Facultés, où l'on trouvait des professeurs et des examinateurs pour toutes les sciences. Il n'y a jamais eu de rivalité, en France, entre les Universités et les autres collèges, pour la collation de ces grades; et à aucune époque l'Etat n'a eu à défendre les Universités contre des prétentions rivales à cet égard. C'est d'ailleurs au Pape, non à l'Etat, que se seraient adressés ceux qui auraient voulu ériger des Facultés pouvant conférer les grades en usage dans l'enseignement.

Que l'usage soit venu de considérer les grades universitaires comme une sorte de titre officiel donnant droit à certains privilèges, cela est certain; mais les Universités n'ont pas, pour cela, perdu leur caractère d'établissements libres; et quand la royauté a témoigné sa faveur, soit aux Universités, soit aux collèges qui ne dépendaient pas d'elles, elle a simplement encouragé ou récompensé des dévouements privés, utiles à la nation; mais elle n'a point défendu des droits de l'Etat, ni des prérogatives de la puissance publique.

M. Dupin a une phrase dont l'habileté ne saurait tromper personne. Il parle des droits de l'Etat, « dont ces corps illustres (les Universités) étaient les fidèles dépositaires. >> Les Universités n'avaient pas reçu le moindre dépôt et la moindre part de l'autorité ou des droits de l'Etat. Fondées par les Papes et les Rois, elles ont respecté les lois de l'Etat comme les lois de l'Eglise ; mais elles sont toujours restées indépendantes de l'autorité civile.

Le prétendu dépôt dont parle M. Dupin n'avait donc rien de réel. Ce mot, qui impliquerait une délégation de l'Etat, n'est évidemment que pour les besoins d'une opinion soutenue avec ardeur contre la réalité historique et dans l'intérêt d'un parti. L'Etat avait donné son entière confiance aux Universités, et c'est là le seul dépôt dont il puisse être question, pour rester dans la vérité.

Ce que M. Dupin aurait pu dire très justement, c'est que l'Université de Paris avait, à diverses reprises, comme je l'ai rappelé précédemment, tenté de sortir des conditions de son institution, et cherché à devenir un établissement de

l'Etat. Je ne reviens pas sur les luttes que j'ai résumées, et qui ne se sont pas terminées à sa gloire; l'Etat a pu user de ses services, mais les erreurs et les chutes de cette Université n'ont rien changé à ce qu'elle était en droit, et à ce que toutes les autres ont toujours été, en droit et en fait.

Que si l'on veut examiner les diplômes délivrés par les Universités, on verra immédiatement que les grades n'ont jamais été donnés par elles au nom de l'Etat. J'ai sous les yeux des diplômes des Universités de Montpellier et de Valence, de 1764 à 1785; leur rédaction est très diverse. Dans aucun d'eux, il n'est fait la moindre allusion à l'autorité publique. Ils sont délivrés par le Chancelier, et à Montpellier par l'Evêque, chancelier de l'Université, conservateur des libertés, exemptions et privilèges de l'Université de médecine.

IV.

M. Dupin, pour soutenir sa thèse, s'appuie sur le préambule de l'Edit de février 1763, dont j'ai reproduit le texte au chapitre précédent. Cet édit est précisément celui qui eut pour objet le règlement des collèges ne dépendant pas de l'Université. Le Parlement avait fait fermer les collèges des Jésuites le 1er avril 1762, et c'est après cet attentat, qu'en février 1763 fut rendu l'édit relatif à la dépossession des Jésuites et à l'organisation nouvelle que tentèrent les philosophes, sous l'idée dominante de l'enseignement d'Etat. A ce moment, la tradition nationale de la liberté était battue en brêche par le philosophisme, et l'idée maçonnique et révolutionnaire du monopole tentait de s'introduire à sa place. L'Edit de 1763, sans rien changer au vieux droit français, se ressent, dans son esprit et dans sa rédaction, de l'attentat qui l'avait occasionné et des théories des tristes hommes qui avaient provoqué les événements de 1762. A ce moment, la royauté est dévoyée et se livre aux corrupteurs de l'enseignement. Prendre un édit de cette époque, inspiré par les destructeurs de nos traditions, et le présenter comme le résumé de nos traditions même, c'est un non sens historique, ou plutôt une perfidie de rhéteur et un procédé qu'en toute matière on qualifierait justement de tromperie. On pourrait aussi bien présenter tous les décrets de 1790 à 1792, acceptés par Louis XVI, comme le résumé des lois de l'ancienne France. L'erreur ne serait pas plus grossière, ni la tromperie moins grave.

L'édit de 1763 n'a donc aucune autorité, en tant qu'on y voudrait chercher l'esprit et la lettre de notre ancien droit

et de nos constantes traditions, et M. Dupin ne peut, avec ce texte, tromper que les ignorants.

Ces observations faites, il faut s'étonner que l'Edit, rendu sous les inspirations que l'on sait, se soit borné aux énonciations sans portée qu'on y peut lire. Il aurait contenu la théorie du monopole, qu'on ne devrait pas s'en étonner. Mais nos traditions et notre droit étaient si bien assis en cette matière, la liberté était si fortement enracinée dans nos mœurs et dans notre enseigement, que l'Edit, malgré l'inspiration qui l'a dicté, ne change absolument rien à ce qui était avant lui, et se borne à quelques déclarations dont je vais démontrer l'inanité.

Je transcris les quelques passages que M. Dupin paraît considérer comme si favorables à sa thèse :

« Dans les siècles d'ignorance et de confusion, les lettres trouvèrent un asile dans les églises et les monastères...... tandis que l'Université de Paris, de l'origine la plus ancienne, traçait dès lors le modèle d'un autre genre d'écoles, plus régulier et plus complet.....

>> L'institution des Universités fait une partie essentielle de l'ordre public, puisque, par les degrés qu'elles confèrent, ce sont elles qui ouvrent l'accès à la plus grande partie des fonctions publiques.....

» Là où il n'y avait pas d'Universités, .....la plupart des villes du royaume ont successivement obtenu l'établissement de collèges particuliers, bornés à l'éducation et à l'instruction, indépendamment des degrés, et propres, en même temps, à y préparer ceux qui, pour les obtenir, voudraient dans la suite passer aux Universités et y accomplir le cours des études académiques. Tout a concouru à la dotation de ces collèges le clergé à celle de la plupart, par l'application des prébendes préceptoriales destinées à l'instruction de la jeunesse, aux termes des ordonnances de Paris et de Blois, et par l'union des bénéfices ecclésiastiques; les corps municipaux; les particuliers de tout ordre; les rois mêmes, par leurs grâces et par leurs bienfaits. C'est ainsi que, sous l'autorité des rois nos prédécesseurs et la nôtre, sans laquelle il ne peut être permis d'établir aucune école publique dans le royaume, se sont établies deux sortes d'écoles: les unes, gouvernées par nos Universités, sous leur inspection et leur discipline, soumises à leurs lois et statuts; les autres, subsistant chacune par son propre établissement. Nous devons également à toutes notre protection royale et notre attention paternelle..... Nous ne négligerons pas, sans doute, ce qui regarde le bon ordre, le maintien. et la splendeur des Universités, leur réformation même, s'il en est besoin; mais ce qui nous paraît le plus instant, c'est d'apporter un meilleur ordre à l'état de tant de col

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