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place du sieur Guignard, M. Duport du Tertre nommé garde des sceaux : ce choix, ajoutent les ombrageux, rappelle involontairement l'élévation de Michel Lhôpital à la dignité de chancelier, élévation à laquelle Catherine de Médicis, méditant dès lors la Saint Barthélemi, eut beaucoup de part. Nous sommes loin de nous prêter aux inductions malencontreuses qu'on désireroit que le peuple tirât de ce rapprochement. La nation d'au jourd'hui n'est plus celle d'autrefois; le Français sous Charles IX ne ressembloit pas au Frerçais sous Louis XVI. Nous avons un peu plus de lumières et nous connoissons un peu mieux nos forces.

Quoi qu'il en soit, ne soupçonnons personne; mais tenons-nous sur nos gardes, et pour n'être étonnés de rien, attendons-nous à tout. Surveillons les nouveaux ministres, ils ont une grande tâche à remplir. Quelles que soient les intentions de ceux qui ont concouru à leur exaltation, leur conduite se trouve tracée dans celle du grand homme dont on a rappelé le souvenir à leur occasion. Dans l'atmosphère orageuse où les voilà lancés, n'importe par quelle impulsion, ils ont besoin de beaucoup de fermeté pour résister aux coups dont ils vont être assaillis. Lequel l'emportera en eux de la reconnoissance ou du patriotisme? Plus la révolution avance, plus ceux qui occupent les premiers postes doivent payer de leurs personnes. Menacés de toutes parts au dehors, au dedans, nous avons besoin de la plus parfaite union; nous avons besoin auprès du monarque de ministres patriotes, dans toute l'acception de ce mot, de ministres missionnaires, prêchant la nouvelle religion politique à des gens bien plus difficiles à convertir que des sauvages. On mettra peut-être tout en œuvre pour faire changer de culte aux nouveaux ministres eux-mêmes. On voudra les rendre ido'atres des promesses et des menaces seront tour à tour mises en ayant pour les séduire ou les intimider...........

Si de leurs places élevées, ils perdoient de vue un instant ceux parmi lesquels on est venu les trier, și, flattés outre mesure de cette distinction dont ils se dissimuleroient les motifs, ils changeoient de mœurs en changeant d'état : Honores mutant mores, s'ils vérifioient en leurs personnes cet ancien adage tant de fois éprouvé, qu'ils sachent d'avance que le peuple est là, tout prêt à exercer sa justice suprême, qu'on voudroit bien faire passer pour de l'inconstance ou de l'ingratitude. Le peuple, qui ne dort plus tant qu'autrefois, et qui désormais veut voir par ses yeux, est devenu comme un maître difficile qui change de serviteurs jusqu'à ce qu'il en ait trouvé de véritablement dignes de sa confiance.

Il s'est glissé dans notre dernier numéro, à l'article du rapport des commissaires de Nancy, une inexactitude de fait que nous devons redresser. Les commissaires n'ont point pu arrêter les exécutions faites en vertu du jugement des conseils de guerre de Vigié et de Castella, puisqu'ils ne sont arrivés que le lendemain de ces exécutions.

Du veto et de la sanction du peuple.

Nous entendons tous les jours répéter que l'assemblée nationale a outrepassé les bornes. Il est de notre devoir de rassurer les esprits timorés, en leur démontrant que la nation et ses représentans avoient le droit d'aller beaucoup plus loin; ce qui arrivera nécessairement. Nous convenons pourtant que l'heure n'en est pas encore sonnée. Mais nous avons cru devoir dès-à-présent poser les principes; ce sont des semences précieuses que la législature prochaine récoltera sans doute.

Nos bons aïeux croyoient fermement à l'existence d'un' certain petit poisson qu'ils nommoient Remore on arrêtenef, lequel, selon eux, a la faculté merveilleuse de rendre stationnaires, en pleine course, les plus gros vaisseaux de roi qu'il lui prend fantaisie de toucher.

Nos savans naturalistes modernes se sont fort égayés sur ce chapitre de la crédulité de nos pères; mais grace à l'assemblée nationale, les rieurs ne sont plus de notre côté. Il nous faut ajouter foi à des monstruosités hien

plus étonnantes. Nos neveux ne liront pas sans une surprise mêlée d'indignation ce décret rendu dans un siècle de lumières par les représentans d'une grande nation.

«Aucun acte du corps législatif ne pourra être considéré comme loi.... s'il n'est sanctionné par le menarque.... le roi peut refuser son consentement aux actes du corps législatif.... ce refus ne sera que suspensif ».

En sorte qu'un seul individu, pour l'ordinaire le plus mince de tous les individus de l'Empire, peut, en prononçant ces quatre lettres veto, frapper de nullité, pendant quatre ou six ans, une loi, l'expression de la volonté de 25 millions d'hommes !

Le corps législatif, qui a décrété cette monstruosité constitutionnelle, avoit reconnu précisément le contraire dans sa déclaration des droits de l'homme et du citoyen; car la volonté générale, dont la loi est l'expression, n'est autre chose que le oui et le non, ou en d'autres termes la sanction et le veto, dont l'assemblée nationale a dépouillé la nation pour en revêtir le roi.

Cette loi constitutionnelle en a-t-elle bien tous les caractères ? Pour cette fois du moins, il convenoir, ce semble, de requérir l'expression directe de la volonté générale. Le silence de la nation, qui n'a point été consultée, ne doit pas être regardé comme un com

sentement tacite.

Hélas! semblable en tout au sculpteur de la fable, le bon peuple a fléchi le genou devant son propre ouvrage, et tremblant lui-même devant le pouvoir dont il a investi ses délégués, on diroit qu'il n'existe politiquement que sous le bon plaisir et au gré de ceux-là mêmes qui les premiers lui sont redevables de leur existence politique.

Mais il est toujours temps pour le peuple de rentrer dans ses droits; on ne prescrit pas contre eux: après plusieurs siècles de lethargie, il s'est réveillé et a brisé les chaînes qu'on lui avoit imposées pendant son sommeil; s'il se rendormoit encore, et si l'on profitoit de ce nouvel assoupissement pour le remettre aux fers et lui enlever sa souveraineté, le peuple n'en perdroit pas pour cela son caractère de souverain; et en r'ouvrant les yeux, indigné de l'outrage qu'on lui auroit fait, le moins qu'il pourroit se permettre seroit de retirer son bras et sa confiance à ses commettans, et de tracer uir cercle étroit à leurs successeurs.

En accordant au prince le veto et la sanction, nos représentans auroient-ils eu l'intention de se ménager une force de plus pour se constituer souverains euxmêmes à l'ombre d'une puissance qui en a tant imposé jusqu'à ce moment à la multitude? En effet, le verá er la sanction, dans les mains du pouvoir exécutif, seroient deux leviers moins redoutables pour l'assemblée nationale qu'entre les mains du peuple qui réunit tous les pouvoirs, et qui les délègue ou les enlève à qui et comme il lui plaît. Ah! ce mot échappé d'une bouche ministérielle se réaliseroit-il? « Courrons-nous le risque d'avoir douze cents et un maîtres » ?

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Au reste, le tort de l'assemblée nationale en déférant au roi la sanction et le veto, qui n'appartiennent qu'à la nation, quoique le plus grave possible par ses suites, ne l'est pas autant en lui-même l'assemblée dès lors avoit peut-être déjà conçu le plan qu'elle a manifesté tout haut depuis par l'organe de l'aîné des Mirabeau, de rompre ses lisières et de décliner la suprême jurisdic-. tion du peuple. Dans ce cas, c'étoit une espèce de frein qu'elle se donnoit, ou plutôt elle vouloit avoir l'air d'en recevoir, pour se mettre à l'abri des reproches, qu'elle ne pouvoit éviter tôt ou tard.

Bonne nation! on te croit l'habitude du joug, et l'on pense que tu ne peux t'en passer. Tu as secoué celui d'un seul. On espère pouvoir te rattacher sous un autre plus légitime en apparence, mais non moins lourd: il n'en sera rien. Aussi fière que généreuse, aussi jalouse de ta souveraineté que de ton indépendance, il suffira de te remettre sous les yeux les vrais principes.

Vingt-cinq millions d'hommes ayant contracté les nœuds d'une seule et même société politique, ne peuvent y marcher tous ensemble de front et sur la même ligne, ne peuvent non plus parler tous à la fois, quoiqu'ils aient Tous un droit égal à la parole.

Pour parvenir à s'entendre, et pour recueillir toutes les volontés partielles, afin d'en composer la volonté générale, ils se sont avisés de charger plusieurs d'entre eux de porter la parole pour tous, et de réduire en loix universelles leurs vœux individuels. Ces vœux sont exprimés de différentes manières. Tantôt le peuple manifeste ses intentions dans des cahiers; tantôt il se contente d'émettre son vouloir par la tradition, et c'est ce qu'on appelle l'opinion publique,

Le devoir des députés est de jeter les yeux sur les cahiers, de prêter l'oreille à l'opinion publique, autre mandat bien plus impératif que les instructions écrites, lesquelles ne suivent point la marche rapide des événemens, et de délibérer sur ce qu'ils ont lu, sur ce qu'ils ont entendu; puis de rédiger en conséquence, des décrets, qui ne peuvent être considérés que comme des projets de loix, que le peuple, dans ses assemblées primaires, frappera de son veto, ou honorera de sa sanc

tion.

L'assemblée nationale est comme un atelier de sculpture, où plusieurs artistes intelligens et laborieux dégrossissent les blocs de marbre, auxquels le ciseau créateur de l'homme de génie doit donner l'existence.

Et pour achever de rendre, pour ainsi dire palpable cette théorie de la sanction et du veto national, par une autre comparaison, dont la justesse n'échappera non plus à personne, disons que le peuple jaloux de son indépendance et de sa souveraineté, ne doit laisser à son roi d'autres fonctions, d'autres devoirs que ceux attribués au roi des hérauts d'armes, lequel attend respectueusement, sur le seuil du palais législatif, les décrets à mesure qu'ils sont délibérés, pour les proclamer (1) après les avoir fait légaliser par le peuple.

(1) Les patriotes ont sans doute été frappés de cette petite affectation du typographe du roi, quand il compose le titre des lettres-patentes données sur décrets de l'assemblée nationale; l'imprimeur du Louvre choisit ce qu'il de plus gros en caractères pour ces mots, lettrespatentes, et ce qu'il a de plus petit pour ces autres mots, décrets de l'assemblée nationale: l'inverse, ce semble, seroit plus convenable; il faudroit réserver les majuscules pour l'assemblée nationale, et n'employer les minuscules que pour la sanction et le nom du roi. Si l'on ne prend garde à cette petite supercherie, digne au reste de ceux qui l'employent et de ceux qui l'autorisent, bientôt sans doute on fera disparoître tout-à-fait le nom de la nation, on le masquera tout entier sous celui du roi, en sorte que ce seroit comme jadis : le roi seroit compté pour tout, le peuple pour rien; la nation cachée derrière le roi ne joueroit plus qu'un rôle secondaire et subalterne.

Qu'on ne traite pas cette remarque de minutieuse. Il

C'est

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