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à s'en défaire; alors, par l'effet fi connu de la concurrence, la multiplicité des débiteurs qui voudroient s'acquitter, feroit baiffer continuellement la valeur conventionnelle, toujours indépendante de la valeur fictive; le vendeur volontaire haufferoit dans une proportion arbitraire le prix de fes denrées : de-là l'aviliffement du papier national, des défordres dans les prix, & des malheurs de détail inévitables, furtout lorfque la craintive défiance eft accrue par les efforts d'une malveillance criminelle. De ce défordre, Meffieurs, naît une refléxion faite pour frapper des législateurs: c'est que le papier fans intérêt, que le créancier de l'Etat ne pourroit ni garder avec un bénéfice, ni céder qu'avec perte, deviendroit une injuftice à fon égard; & affurément une opération. injuste vous seroit inutilèment présentée. Abolissez à jamais, Meffieurs, cette diftinction immorale de la juftice privée, & de la juftice des Nations. Defcendez un moment du faîte de la légiflation, pour examiner comme juges cette question fi fimple: lorsqu'un débiteur s'arrange avec fon créancier, que celui-ci prend avec lui des termes, en attendant la vente d'un immeuble; lequel des deux doit fupporter la privation des intérêts? Eft-ce le créancier? eft-ce le débiteur? C'est ce dernier fans doute: autrement ce feroit une faillite partielle. Eh bien ! Meffieurs, replacez-vous maintenant fur les fiéges. des législateurs, & auffi-tôt vous prononcerez unanimement que la Nation Françoife, en s'acquittant avec un papier fans intérêt, n'exerceroit pas vis-à

vis de fon créancier, qui le recevroit malgré lui, une exactę justice. Ceux qui combattent la circulation des Affignats objectent, à cet égard, que les Affignats non circulans pourroient être donnés en paiement avec un intérêt plus confidérable; qu'il faut, en conféquence, donner la préférence à ces Affignats qu'ils appellent volontaires. Mais peut-on leur donner ce nom; dans cette fuppofition? La Nation, en effet, offriroit à fon créancier l'option entre un Affignat, ou rien. N'est-ce pas abufer vis-à-vis de lui d'une autorité véritablement tyrannique? Car enfin il a le droit d'exiger un numéraire, parce que c'est un numéraire qu'il a donné.

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Le porteur d'une créance fur l'Etat, eft rarement celui qui l'a reçue immédiatement du Gouvernement. C'eft fouvent un commerçant qui a des engagemens à remplir, un propriétaire qui a des rembourfemens à faire l'Affignat que vous lui donnez dans ce cas, ou eft onéreux pour la Nation, fi l'inté rêt est très-confidérable, ou n'eft pas l'équivalent du facrifice qu'il cft obligé de faire. De quel droit la Nation exerce-t-elle ainfi fur lui l'empire de la néceffité, & lui commande-t-elle fouvent une banqueroute totale, par la faillite partielle dont elle ne craint pas d'encourir le reproche ?

La circulation donnée aux Affignats l'écarte entièrement; par elle, l'Etat met fon créancier à l'abri de tout dommage, parce qu'il peut le donner en paiement, & que, s'il eft obligé de le garder, l'intérêt l'indemnife du retard.

En matière d'emprunt, il eft vrai, la génération fuivante acquitte par-là une partie des intérêts jufqu'au remboursement; mais d'abord, feroit-ce une injustice? N'acquittons-nous pas aujourd'hui les intérêts de la dette contractée avant nous? ne faut-il pas que le fardeau fe partage entre les générations? Celle qui a fupporté les maux inféparables de la révolution, même la plus heureufe, ne pourroit encourir de reproches fi elle laiffoit quelques engagemens à payer par ceux qui en recueilleront tous les fruits. Mais il ne s'agit pas ici de faire acquitter des intérêts par notre poftérité; ceux-ci vont s'éteindre avec la vente des immeubles, & c'eft-là ce qui rend l'opération qui vous eft propofée bien fupérieure à un emprunt ordinaire; c'est-là ce qui donne à votre numéraire nouveau toutes les qualités qui concourent à le rendre véritablement précieux. Lorfque vous aurez réglé les moyens de pourvoir aux dépenfes du culte public, & de toutes celles qui y ont quelque rapport, quelle carrière eft ouverte aux légiflatures fuivantes. pour opérer avec la vente de tant d'immeubles, notre libération totale, fans furcharger d'intérêts les générations futures, foulagées d'ailleurs continuellement par l'extinction des rentes viagères!

Un des grands avantages de l'intérêt qui doit être attaché aux Affignats, c'eft de rappeler en circulation le numéraire réel, dans la proportion précisément cù le numéraire nouveau féjournera dans le porte-feuille du Capitaliste, dans le comptoir du Négociant, dans la bourse même du fermier & du laboureur, qui,

dans ce moment, peut-être, retiennent l'argent fans l'enfouir. Ils le retiennent parce que les impofitions fe payent plus lentement; ils le retiennent parce qu'ils ont peu d'emplois à en faire : mais, lorsqu'un Affignat portant intérêt, & garanti par la Nation, pourra lui offrir un bénéfice inconnu jufqu'aujourd'hui, il s'habituera infenfiblement à ce nouveau numéraire moins volumineux & plus productif que l'autre. Ne peut-il donc pas même fe mêler une teinte de patriotifme au defir d'obtenir un accroiffement de revenu dans les nouveaux calculs de ces bons habitans des campagnes, qui d'ailleurs attachent encore plus de prix à l'acquifition d'un bien-fonds, que les Capitalistes des grandes Villes? Le Commerçant, de fon côté, voyant que le nouveau numéraire aura le double avantage de porter intérêt & de remplacer l'argent dans les paiemens, l'adoptera fous ces deux afpects; les Etrangers euxmêmes en feront un objet de fpéculation, tant que le cours défavorable des changes ne leur permettra pas de réalifer les fonds qu'ils ont en France, & cette dernière obfervation répond à bien des objections. Votre Comité croit appercevoir qu'en vous bornant à une quotité d'Affignats égale à celle des immeubles dont vous avez décrété la vente, bientôt vous verrez rechercher l'Affignat qui réunit trois avantages précieux, celui de porter intérêt, celui de fervir en paiement, & celui d'être appuyé fur un immeuble qui ne peut échapper au dernier détenteur.

Auffi votre Comité ne s'arrêtera point à la comparaifon d'un papier auffi précieux, fous tous fes rap

ports, avec celui de cet habile Ecoffois, devenu fi célèbre, dont l'imagination offrit fous la Régence un numéraire qui, bien ménagé, n'auroit pas eu fans doute les fuites funeftes qui l'ont décrié, mais lequel, enfin, repofoit moins fur des valeurs réelles, des espérances.

que fur

Votre Comité n'a pas cru devoir adopter le fyftême des primes, propofé par la Municipalité de Paris; il pense que fi l'on fe permettoit de préférer cette chance à un intérêt déterminé, le fuccès éphémère qu'elle pourroit avoir par le fecours de quelques riches calculateurs ne fe foutiendroit pas d'ailleurs, nous ne vous propoferons jamais de favorifer un jeu quelconque, quand il eft capable de féduire de trop faciles Capitalistes; il feroit au deffous de votre dignité, & contraire à votre justice, de placer des Citoyens imprudens fur le bord d'un abyme où les trois quarts d'entr'eux feroient précipités tous les mois.

Pour épuifer tout ce qui doit être foumis à votre fageffe, relativement à la néceffité de donner un intérêt aux Affignats, nous devons vous repréfenter l'inconvénient habituel qui eft fous vos yeux, de n'en avoir pas attaché aux billets de la Caiffe d'Efcompte ; il n'est plus temps de le faire, il faut échanger contre des Affignats ces billets; mais c'est reconnoître de plus en plus la néceffité d'attribuer un intérêt au papier qui va les remplacer.

Nous ajouterons enfin, comme un motif de conviction de plus, que nous fommes entièrement d'ac

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