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MA répugnance à parler de moi, mon peu d'habileté à écrire m'ont fait, jusqu'à ce jour, garder le silence sur des évènemens que j'entends dénaturer, depuis seize ans, par l'ignorance et la mauvaise foi; d'autres motifs encore m'engageaient à me taire. Sous le gouvernement des princes que nous avons perdus, toute explication eût ressemblé à une apologie; et aujourd'hui, il est des gens qui feraient semblant de croire que je cherche à excuser une action jugée coupable, par le pouvoir du moment. On se trompe : je n'excuserai, je ne louerai rien; et il sera facile, mêmẹ

à ceux qui ne me connaissent pas, de juger que je

présente les faits, dans toute leur vérité.

Un homme pour lequel je ne cesserai d'avoir la plus profonde comme la plus juste vénération, est at

taqué dans son honneur, plus encore par l'insultante grâce qu'on prétend lui faire, que par la pétition d'un officier qui, dans son ignorance, l'accuse peutêtre de bonne foi: il est de mon devoir de le défendre. M. le comte de Bourmont est le seul qui, dans les déplorables évènemens de 1815, m'ait montré la route de l'honneur et du devoir; je lui dois l'estime dont je jouis à mes propres yeux: il m'excusera donc si je me permets aujourd'hui de jeter quelque lumière sur des faits, qu'il dédaigne sans doute d'expliquer lui-même.

Pour mettre le public à même de juger de la véracité de ce récit, je suis forcé d'entrer dans quelques détails qui ne concernent que moi : je tâcherai d'être bref.

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Elevé sous l'empire, ne connaissant d'autre maître que Napoléon, je l'ai servi constamment jusqu'à la fin de 1813, où je fus fait prisonnier par les Prussiens. Jusque-là, j'avais presque ignoré l'existence des princes de la maison de Bourbon; et si l'un d'eux eût alors réclamé mes services, il n'eût obtenu de moi qu'un refus. Je n'ai jamais compris qu'on pût servir deux maîtres, et, à tort ou à raison, Napoléon était alors le mien.

Je rentrai en France à la fin de 1814. La vue de la cocarde blanche me causa une douleur mêlée de honte; elle me semblait imposée par une armée prussienne, et je refusai de la porter. J'étais dans l'intention de quitter le service, et j'allai voir M. le maré

chal Ney, pour lui faire part de mes intentions. Il avait fait ma fortune militaire; il m'accueillit avec bonté, me parla des princes, de leurs vertus, de leur loyauté, de leurs malheurs; il me dit que l'abdication de l'empereur me rendait ma liberté, et m'engagea à servir encore.

Je voulus d'abord voir les princes. Je me rendis aux Tuileries; j'y fus témoin d'une scène qui ne s'effacera jamais de ma mémoire. Je rencontrai là plusieurs de ceux que j'appelais mes camarades et mes amis. Après m'avoir parlé du roi et des princes dans les termes les plus méprisans, la porte s'ouvrit, et on annonça le roi ces mêmes hommes se précipitèrent sur son passage, se disputant un de ses regards. Pour moi, je me tins à l'écart, et je regardai passer tous ces princes. Leur aspect, la confiance avec laquelle ils regardaient tous ceux qui les entouraient, le souvenir confus de leurs malheurs, la noblesse et la bonté qui brillaient dans leurs regards, firent sur moi une telle impression, qu'ils avaient passé depuis longtemps, et j'étais encore à la même place. Je me sentis tout à coup baigné de larmes, et je me retirai en désordre, craignant de laisser voir une émotion dont j'étais en quelque sorte honteux. Je pris à l'instant ma résolution: je retournai auprès de M. le maréchal Ney, et je repris auprès de lui mes fonctions de premier aide-de-camp.

Je puis affirmer que, jusqu'aux évènemens désastreux de 1815, M. le maréchal ne m'exprima jamais

ces;

que des sentimens loyaux à l'égard du roi et des prinil avait aussi le cœur trop droit pour servir deux maîtres, et la trahison ne triompha de lui qu'au dernier moment. On a prétendu qu'en quittant le roi il avait déjà dessein de le trahir : cela n'est pas vrai; on peut en croire celui qui a été honoré de sa confiance. Ses intentions étaient loyales; et il a fallu toute l'obsession et la perfidie des hommes qui l'ont conduit dans l'abîme, pour lui faire oublier des devoirs, qu'il regardait alors comme sacrés.

Au souvenir de ces évènemens, mon cœur se brise de douleur... J'ai vu tomber un des plus grands hommes de guerre dont la France s'honore ; j'ai vu avilir en peu d'heures une âme droite et généreuse; et il m'a fallu abandonner celui qui m'avait long-temps tenu lieu de père, auquel je devais toute ma fortune militaire.

Dans cette inexprimable angoisse, je rencontrai M. le comte de Bourmont, que j'avais connu en Allemagne, et qui jouissait d'une haute estime dans l'armée. Je trouvai en lui des sentimens qui me semblaient d'accord avec ceux qui m'étaient imposés par ma nouvelle position. Je m'attachai à lui, et nous revînmes ensemble à Paris. Il rendit compte au roi des évènemens dont il avait été témoin, et attendit des ordres qui n'arrivèrent point.

Nous apprîmes presque en même temps le départ du roi et l'existence d'un ordre d'après lequel M. le Comte de Bourmont, M. le colonel Dubalen, moi et

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