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des trois quarts du genre humain ; & il répugne également à l'idée que nous avons de fa juftice & de fa puiffance qu'il n'ait révélé qu'à quelques-uns ce qui leur étoit nécellaire à tous pour être fauvés, ou que les moyens lui aient manqué pour fe faire entendre à tous les hommes. La raison humaine ne conLoît point de réponse à ce raisennement, uquel devoit fe borner toute la difpute, < qui auroit épargné tant de volumes d'inures & d'ennui. Mais la réponse du Chréien, la feule qui lui convienne & 1. feule riomphante, eft celle ci: »Ne voyez-vous pas que fi la révélation étoit évidente, il n'y auroit aucun mérite à croire ce › mérite-là, c'eft une grace particulière que • Dieu a faite aux Chrétiens. Il ne doit compte à perfonne de fes dons. Nous ne fommes point juges de la Juftice. Mais comme nous comptons fur fa bonté, » nous le prions qu'il vous éclaire comme » il nous a éclairés«. Si les hommes avoient fu être raisonnables, voilà où se seroit terminée toute cette controverfe; & puifqu'ils commencent enfin à le devenir, il faut efpérer que déformais elle n'ira pas plus loin.

C'eft cet argument contre la révélation que Rouffeau a fi éloquemment développé par la bouche de fon Vicaire Savoyard; & cependant il finit par reconnoître la divinité de l'Evangile, & par avouer que la

mort de Jéfus-Chrift eft d'un Dieu. On cru voir là dedans une contradiction: c s'eft écrié, au nom du bon fens, qu'est-c que la mort d'un Dieu? Vraiment il s'a git bien ici de bon fens ! c'eft bien ave du bon fens qu'on eft Chrétien & fauvé Les Saints, les Martyrs faifoient gloire d'êtr infenfes aux yeux des hommes, & fages aux yeux de Dieu. Si Rouleau finit pat profeffer une croyance contraire à fes rai fonnemens, c'eft qu'après avoir écouté fa raison, il a cédé à la foi, fi fapérieure à la raif; c'cft qu'il a eu non feulemen le don du génie, mais ce qui eft bien au deffus, celui de la Grace.

Mais comme cette Grace devient tous les jours plus rare, & que fi tout le monde n'a pas le bonheur d'être croyant, tout le

monde a intérêt à être honnête homme c'eft pour cela que je crois du devoir de la philofophie, non feulement de ne point nier la Religion naturelle, mais même de la recommander à tous les hommes, parce qu'elle eft à la portée de tous & bonne à

tous.

Son premier dogme, fi l'on peut appeler dogme un fentiment, eft d'être jufte envers tout le monde. M. de C... l'a-t-il été, lorf qu'il a imprimé cés étranges paroles, à propos des Turcs?» Peut-on être injufte envers » une horde de Brigands qui tiennert dans » les fers un peuple ef lave, à qui leur » avide férocité prodigue les outrages «?

Je n'aime point les Turcs; mais je fuis fermement convaincu qu'on peut être injufte envers eux, qu'on peut l'être envers des Brigands, par une raifon bien fimple, c'eft que nous ne fommes pas difperfés d'être juftes même envers ceux qui ne le font pas. Je fuis furpris & affligé qu'un Philofophe puiffe douter de cette éternelle vérité, & prêche une doctrine très- propre à décrier la philofophie, fi l'erreur d'un feul homme pouvoit décréditer la raifon de tous. Les Turcs pofsèdent la Grèce par la conquête; & perfonne n'ignore que la plupart des Puiffances n'ont pas eu originairement d'autre droit. S'enfuit-il qu'on ne foit pas tenu envers elles à tous les contrats naturels ou politiques qui lient les Nations? Que l'Auteur juge de fon principe par les conféquences qu'il entraîne: cette épreuve eft fire, car le principe eft faux quand les conféquences font abfurdes. Il feroit done permis à une Puiffance, quand elle fe croiroit la plus forte, de dire à une autre : » Vous ne poffedez pas légitimement les "Etats que vou- gouvernez depuis des

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fiècles; vous ne les gouvernez pas felon » la juftice; ainfi je vais vous les ôter «; & cette même Puillance, fe faifant tout à la fois juge & partie, & exécutrice de fes arrêts, confifqueroit à fon profit ce qui feroit à fa bienféa ce! On fent combien de réponfes accablantes on pourroit faire à ce nouveau code de morale & de poli

tique. 1°.

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Si je n'ai pas de droit légitime fur ce que je possède, en as-tu davan"tage pour me le prendre? Cent fois moins » fans doute, puifque j'ai du moins le » titre d'une longue poffeffion. 2o. Tu ne peux avoir que par la force ce que tu veux m'ôter; l'évènement de la guerre et toujours douteux; & tu commences par faire un mal certain, un mal horrible, celui » d'une guerre, qui épuife l'or & le fang de tes fujets & des miens, qui fait périr des millions d'hommes, qui ravage " & défole vingt provinces; & depuis quand » eft-il permis de faire un mal certain pour un bien incertain, dans la fuppofition même que je n'accorde pas, que ce que » tu veux faire foit un bien & une juf» tice «<?

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Quand l'Impératrice de Ruffie a déclaré la guerre aux Turcs, elle n'a point raifonné comme l'Auteur de la Vie de Voltaire elle s'eft plainte de l'inobservation des traités; elle a réclamé la justice, & n'a point prétendu qu'elle en fût difpenfée, même envers.les Turcs. Ce feroit en effet le renversement de tout ordre, fi les Puiffances, au lieu de fe conduire entre elles fuivant les loix réciproques qu'elles ont obfervées de tout temps, fe transformoient tout à coup en Miffionnaires armés, chargés d'aller d'un bout du monde à l'autre redreffant les torts le fer & le feu dans la main. Nous ne fommes point obligés de faire le bien

qui, par fa nature, ne dépend pas de nous, ni de réparer le mal dont nous ne répndons pas. Chaque Nation a bien allez à faire d'établir l'ordre chez elle, fans vouloir régler les autres de force. Si la maifon de mon voifin eft mal gouvernée, & que je puiffe, par de bons avis, y introduite un meilleur régime, je ferai très-lonable de le faire; mais que perferoit-on de moi, fi j'allois y arranger tout à grands coups de bâton? On me trouveroit très-répréhenfble en bonne police & en bonne philofophie. La comparaifon peut n'être pas trèsnoble, mais elle eft très-jufte; il ne s'agit ici que de raifon ; & c'eft ici que comparaifon eft raifon.

Le ftyle de cet ouvrage eft élégant, foutenu, plus clair, plus nombreux, plus facile & plus coulant que celui des autres ouvrages du même Auteur, à qui l'on a reproché de manquer de cette harmonie qui appartient à la profe, & de pécher · quelquefois par l'obfcurité & l'embarras des conftructions. Cependant il règne encore ici une févérité de ton trop continue & trop uniforme: on peut y défirer cette variété néceffaire dans tous les genres, & que celui de l'ouvrage comportoit autant qu'au

cun autre.

(D,....)

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