Page images
PDF
EPUB

mâne. Apparemment la douleur fut vive, car il pâlit; & laiffant tomber fon épée, il alla s'appuyer contre un arbre voifin.

;

[ocr errors]

Mes amis, qui le crurent mortellement bleffé, voulurent accourir. Non, leur dis je, if eft plein de vie. Il n'a perdu que fon mauvais il laiffez moi lui parler, j'ai encore deux mots à lui dire; & en relevant fon épée j'allai à lui. Vous devez en avoir affez, lui dis je; & moi, pour ce qui me concerne, je fuis content; mais voici un brave homme que vous avez gra tuitement & cruellement offenfé. C'eft à lui, s'il vous plaît, qu'il faut venir demander pardon, & mettre à fes pieds votre épée. A ces mots, il me regarda de fon eil gauche avec fureur, & répondit qu'il n'en feroit rien, qu'il étoit fans défense; que je n'avois qu'à le tuer. Je ne vous tuesai point, lui dis-je; mais fi vous, refufez une réparation fi jufte, & cependant fi douce, de l'outrage le plus fanglant, vous êtes indigne de voir le jour; & vous n'avez qu'à vous mettre en garde, car je vais vous percer l'autre œil, & yous mener aux Quinze-Vings. Il entendit raifon ; & le bon Carle & les deux Pacôme, en le voyant dans ce piteux état leur rendre fon épée, en furent émus de pitié. Les trois jeunes Artiftes n'étoient pas fi compatiflans; & en fe rappelant l'œil dédaigneux de la lorgnette; cer ail-là, difoient-ils, n'infultera plus les talens: Dieu l'a puni par où il a péché.

Voulez-vous, leur dis-je, admirer davantage l'équité de la Providence? Apprenez que ce même bras, qui vient de venger mon ami Carle & fes amis, c'eft Carle qui me l'a fauvé. Je leur contai mon aventure de Laufeld; ils furent charmés de m'entendre; & voilà, difoient-ils, comme un bienfair n'eft jamais perdu.

En converfant ainsi, nous nous avancions vers le Louvre, bien contens d'aller conføler deux familles au defefpoir. Tout à coup un Garde m'arrête, & me dit de le fuivre; quelqu'un de loin fans doute avoit vu le combat, & nons avoit trahis. Ne craignez rien, me difent les trois jeunes Artifles, nous fommes vcs témoins; & ils m'accompagnèrent jufqu'à la prifon. Carle & les deux Pacôme vouloient me fuivre auffi, quoique plus effrayés que moi. Non, leur dis-je, gardez-vous bien de vous mê dans cette affaire je m'en tirerai; laillezmoi, & allez raffurer vos femmes.

[ocr errors]

Les trois témoins furent ouïs; je fus interrogé moi-même; & ne voyant dans tour cela qu'une infulte, qu'une rencontre, & qu'un infolent châtié, l'Officier chargé d'en inftruire, m'affura que le Tribunal ne me laifferoit pas languir.

Me voilà donc entre quatre murailles, le sœur plein d'une joie que je ne puis

vous exprimer.

[ocr errors]

J'avois forcé Pacôme à recevoir & à gar

der l'épée que Rudricour avoit mife à fes

pieds; c'étoit pour fon honneur un témoi gnage irréprochable. Carle étoit rends à fa femme & à fa chère enfant. Confolés, délivrés du plus violent chagrin & des fraveurs les plus cruelles, ils étoient contens, pleins de joie, heureux dans les bras l'un de l'autre. Je voyois tout cela du fond de ma prifon; & j'y refpirois l'air le plus fuave, le plus pur que j'aie refpiré de ma vie.

Ah! je le crois, dit Juliette; mais vous fûtes encore bien plus heureux, je gage, dans votre prifon, lorfque vous vites arriver deux Familles fi foulagées, & fi ravies de vous devoir ce qu'elles avoient de plus cher !

Rien n'eft plus vrai, Mademoisella; il n'y a point de fpectacle raviffant comme celui-là. Dans le féjour du crime & de la honte, du remords & de la douleur, je me crus dans le Ciel. Figurez-vous que la tendre Carline m'embraffoit, me baignoit de larmes, & couvroit mes mains de baifers. Eh bien, c'étoit le moins touchant des objets de ma jouiffance. Sa mère ! ah! es yeux de fa mère ! c'eft ce qu'il falloit voir & fon amie! la femme de Pacôme & deux jeunes feurs de fon fils! il n'y a point de couleur pour peindre tout cela. Oh! bienheureufe croquignole ! difois - je en moi-même, fans toi, je n'aurois jamais foupçonné cet excès de bonheur ! J'en étois enivré. Je les embraffois pêle-mêle, & je pleurois comme un enfant.

Je finis par les raffurer fur ma situation ♪

[ocr errors]

& quand tout fur calmé: Monfieur de Drifas, me dit Carle, vous avez, j'en fuis fûr, follicité une querelle, un affront pour ven ger le nôtre. Mon ami, quand cela feroit vous favez bien, lui dis-je, que ce bras eft à vous; ne me l'avez vous pas fauvé? Il feroit donc bien jufte que votre bras vous eût fervi mais j'ai été infulté moi-même, fans autre caufe, je vous le jure, que d'a voir oppofé le bien au mal, en louant des talens dont Rudricour parloit avec un infolent mépris. Au refte, le voilà corrigé je l'espère; & s'il regarde encore les ou vrages des grands Artites, ce ne fera plus du même all.

:

Vous pensez bien qu'en me quittant; Carle mit tout en mouvement pour me tirer de là. Il avoit des amis, ils agirent avec chaleur; & dès le lendemain, le Maréchal de N.. me fit venir chez lui. Je lui contai naïvement tout ce que je viens de vous dire, hormis le rendez-vous que je diffimulai.

Vous êtes un brave homme, un véritable ani, me dit ce généreux vieillard. Je prendrai foin de vous; & il me tine parole je lui dus mon avancement. Mais ce qui m'a été plus cher que ma fortune, c'eft l'amitié de deux familles qui m'ont toujours cheri & choyé dans leur fein; les uns avec l'affection dont les enfans aiment leur père; les autres avec la tendreffe dont un père aime fes enfans.

(Par M. Marmontel. )

Explication de la Charade, de l'Enigme & du Logogriphe du Mercure précédent.

LE mot de la Charade eft Mariage ; celui de l'Enigme eft Mode; celui da Logogriphe cft Tête, où l'on trouve Tete, Et.

CHARADE.

DONNER à l'Etat mon entier,
C'est mettre un grain de mon premier
Dans la gueule de mon dernier.

(Par un Abonné, )

ÉNIGM E

TOUTE puissance eft foible à moins que d'être unie,

A dit l'ingénieux Conteur

Qui furpaffa l'Esclave de Phrygic.

Rien n'eft plus vrai, croyez-en cet Auteur ;

Telle eft auffi ma maxime chérie,

Et j'espère m'en trouver bien,

« PreviousContinue »