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NOUVELLES LITTÉRAIRES.

LETTRE à M. le Chevalier de Pange, fur la Brochure intitulée: Réflexions fur la Délation & fur le Comité des Recherches; par J. P. BRISSOT DE WARVILLE, un des Repréfentans de la Commune de Paris, Membre du Comité des Recherches. A Paris, au Bureau du Patriote François, place du Théatre Italien ; & chez Defenne, Libr. au Palais-Royal ; Bailly, rue St-Honoré, près ia Barrière des Sergens.

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Na beaucoup murmuré contre le Comité des Recherches: on n'a pas manqué de dire que c'étoit une inftitution de tyrannie qui fouilloit la naiffance de la liberté, & à partir de ce texte, rien n'étoit plus facile que d'établir une faire de lieux communs de morale & de juftice qui prouvent ce que perfonne n'ignore, ce que perfonne ne çontefte, & ce qui ne fait rien à la question.

Je ne sçaurois trop le redire: rien n'est

plus rare, fur-tout dans des temps de trouble, qui font ceux de l'efprit de parti, que de faifir le vrai point de vue des queftions politiques qui divifent néceffairement les efprits par l'oppofition des intérêts. Ecoutez les difcuffions de l'Affemblée Nationale; fouvent dix ou douze personnes ont parlé, & la question n'eft pas encore entamée : les uns ne le veulent pas, les autres ne le peuvent pas; mais auffi telle eft la force de la vérité, que lorfqu'enfin elle eft préfentée, vous voyez ordinairement, par l'impreffion qu'elle fait fur le plus grand nombre, le résultat qu'elle obtiendra. Les op pofans redoublent leurs clameurs; des parleurs infidieux cherchent de nouveau à écarter la question & à épaiffir des nuages autour de la lumière. Vains efforts! la lumière a paru, il n'eft plus poftible de l'obfcurcir.

il eft trifte, par exemple, il eft même honteux, je l'avoue, qu'on ait perdu huit jours à délibérer fi l'en mettroit une déclaration des droits de l'homme au devant d'une Légiflation qui n'a d'autre but que de les confacrer. il eft trop vrai que cela ne devoit pas même être mis en délibération: c'étoit demander fi l'on poferoit les fondemens avant d'élever l'édifice: mais aufli ne voyez-vous pas que ceux qui s'y oppo. foient auroient voulu que l'édifice ne élevât jamais, & que tous les moyens lar étoient bons pour empêcher ou du mons

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pour retarder le travail ? C'eft la marche qu'ils ont conftamment fuivie jusqu'à ce jour, & qu'ils fuivront jufqu'au dernier moment les pallions & l'intérêt ne se rendent qu'à la dernière extrémité. Que d'ab furdités puériles, que de miférables fo phifmes on débita contre cette déclaration des droits? C'eft de la métaphysique (difoit-on) & le Peuple ne l'entendra pas.

Mais d'abord la métaphyfique, dépouil lée de fn langage fcientifique, n'eft autre chofe que la raifon eft-il bien difficile d'expliquer les rapports qui lient les hommes entre eux, & de les expliquer de manière à fe rendre intelligible pour tous ? & puis une déclaration des droits eft-elle feulement pour le Peuple elle eft fur-tout pour ceux qui, chargés d'appliquer les Loix pofitives, doivent toujours en chercher l'efprit dans les Loix générales & primitives dont elles émanent. Mais le Peuple interprétera mal cette déclaration des droits.

Et quelle Loi, même particulière, peut n'être pas d'abord mal interprétée ? Eft-ce une raifon pour ne pas faire des Loix? Ce que ce Peuple ne fait pas aujourd'hui, il le faura demain. Des Légiflateurs travaillentils pour un jour? Ce Peuple étoit ignorant, parce qu'on vouloit qu'il le fût ; il fera plus inftruit, parce qu'il eft de Fellence d'une Conftitution libre que le Pemple foit éclairé. Mais c'eft précif ment ce que ne vouloient pas les oppofans ; &

ce qui leur faifoit le plus de peine, c'étoit de voir paffer en Loi ce qu'ils étoient aecoutumés depuis longtemps à traiter de vaines fpéculations; c'étoit de voir la Philofophie, c'est-à-dire tout simplement la raison, élevée à la dignité de Légiflatrice & placée fur un trône après avoir été fi long-temps reléguée dans les Livres.

D'autres ne vouloient-ils pas, pour af foiblir le danger d'une déclaration des droits de l'homme, qu'on en fît une de fes devoirs? Idée profonde ! comme fi dans l'ordre politique il y avoit d'autre devoir que d'obéir aux Loix ! Le refte regarde les Prédicateurs de morale & les Miniftres de la Religion. Il n'y a point de Loi qui ordonne de faire du bien; toutes défendent de faire du mal, parce que leur objet n'eft pas la perfection de l'individu, mais l'ordre gé néral & la sûreté de tous. Toutes ces vérités font vieilles comme le monde. Eh bien! nous avons vu le temps où il falloit les répéter fins ceffe à une foule de gens pour qui elles fembloient toutes neuves & pour qui peut-être elles le font encore.

Ceux qui aiment à obferver les moyens & les effets de l'éloquence depuis que la Révolution l'a mife à portée de jouer le premier rôle parmi nous comme chez les Anciens, dans ce qui intéreffe la chofe publique, ont remarqué que ce qui avoit généralement le plus d'effet dans les AC

femblées, c'étoit la logique & les mouvemens. Ce font auili les deux grands caractères de l'eloquence délibérative, qui n'exifte réellement en France que depuis un an. La plupart des hommes n'ont guère que des apperçus vagues: ils font donc trèsfatisfaits de celui qui leur en donne de juftes & de précis; chez eux la vérité n'eft, pour ainfi dire, qu'un germe ils favent donc beaucoup de gré à celui qui le développe: c'eft l'avantage d'une logique lumineufe. Mais ce n'eft pas tout. La plupart des hommes ou s'intéreffent foiblement à la vérité, ou peuvent même avoir un intérêt contraire. La vehemence des mouvemens & l'énergie des expreflions les fubjugue du moins pour un moment, & ce moment fuffit. Leur affentiment devient une pallion, & vous leur arrachez quelquefois ce que peut être, quelques heures après, ils feront fâchés ou furpris d'avoir cédé: voilà ce qui fait l'Orateur de la chofe publique. Tel cft, à mon gré, fans prétendre ôter rien au grand mérite de plufieurs autres de nos Repréfentans dont la Révolution a mis les talens an grand jour, tel eft M. de Mirabeau. Il n'a sûrement pas les avantages extérieurs qui font encore des acceffoires importans; mais il eft puiffant en logique, en mouvemens, en expreffions: il est vraiment éloquent. Ce n'eft pas que j'approuve l'animofité de fes haines perfonnelles contre tel ou tel homme; mais je vois en lui

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