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Chamans, sans qu'on en eût obtenu le résultat attendu, car le peuple était resté maître des positions et des communications que le maréchal commandant voulait s'assurer.

L'attaque sur l'Hôtel-de-Ville, plus longue et plus meurtrière encore, ne promettait pas une issue plus heureuse.

Cette colonne, la première dans l'ordre du plan, composée d'abord, on doit le rappeler, d'un bataillon de la garde royale (Français), ayant deux pièces de canon, qui devait être appuyée par le 15° d'infanterie légère, avait suivi, en sortant du Carrousel, les quais des Tuileries, du Louvre et de l'École. Arrivée au Pont-Neuf, elle trouva en effet deux bataillons du 15o qui occupaient les rues Dauphine et de la Monnaie, sans qu'il parût y avoir eu, sur ce point, d'engagement avec le peuple. Le général ***, qui commandait la colonne, transmit au colonel du 15° l'ordre du maréchal qui lui prescrivait d'appuyer les mouvemens de la garde; et passant le Pont-Neuf, il prit par le quai de l'Horloge, suivi d'un bataillon du 15o. Arrivé au marché aux Fleurs, le général décida qu'on marcherait sur la place de Grève par le pont Notre-Dame, tandis que deux pelotons de la garde s'y porteraient en opérant une di-version par le nouveau pont suspendu, qu'on a depuis appelé le Pont-d'Arcole, et que deux pelotons du 15° resteraient sur la rive gauche pour barrer la rue de la Juiverie.

Pendant que le général faisait ces dispositions, les rassemblemens, qui depuis le matin s'étaient formés dans le quartier et sur la place de Grève, s'ébranlèrent avec un certain ordre pour venir occuper le pont Notre-Dame, et probablement le Palais-de-Justice. Ils arrivaient par la rue des Arcis, tambour en tête, et précédés de quelques individus, anciens militaires ou jeunes gens des écoles qui semblaient les diriger. A leur approche, les deux pièces de canon qui suivaient la colonne furent mises en batterie au milieu du pont. Un officier supérieur de la garde s'avançant alors jusque près du quai de Gèvres, au-devant des individus qui se trouvaient à la tête du rassemblement, leur fit une espèce de sommation, car il ne se trouvait pas là d'officier civil plus qu'avec les autres colonnes; mais quelques coups de fusil partis du rassemblement ayant tué

un adjudant, la garde y répondit par deux coups de canon qui tuèrent ou blessèrent beaucoup de monde, et le bataillon, débouchant malgré le feu qu'on faisait des rues des Arcis et de la Tannerie, occupa les quais de Gèvres et Le Pelletier. Il y'était encore, retardé par la résistance ou les obstacles qu'il trouvait sur sa route, lorsque les deux pelotons chargés de l'attaque de diversion sur la rive gauche, arrivèrent au pont suspendu qu'ils avaient à passer, et ils y restèrent quelque temps exposés au feu nourri des fenêtres et de la place, où il ne se trouvait pas moins de cinq à six mille individus curieux ou combattans. Enfin le bataillon venant par le quai de Gèvres, et se faisant passage à la baïonnette et par des feux soutenus, arriva sur la place, qu'une décharge à mitraille acheva de faire évacuer ; le peuple, qui l'avait bravement défendu, s'écoula par les rues et ruelles qui y aboutissent. L'Hôtelde-Ville fut abandonné par ceux qui l'avaient occupé. Ceux qui étaient dans les maisons s'y tinrent tranquilles, mais on continua à tirailler du côté de la rue du Mouton, où il y avait une barricade qui fut enlevée, et derrière l'arcade Saint-Jean, du quai de la Grève et de toute la rive gauche, vers laquelle furent braquées les deux pièces de canon qui suivaient la colonne.

La position des troupes sur la place n'était assurée que par le 15o léger, qui occupait le marché aux Fleurs, partie du quai de la Cité; il devait aussi soutenir le peloton de la garde à l'entrée de la rue des Arcis; mais ce régiment se trouvant trop faible pour contenir les flots toujours croissans du peuple sur les rues qu'il avait à défendre, et ne faisant qu'une résistance d'inertie, le quai de la Cité se trouva bientôt rempli de tirailleurs, qui firent dès ce moment un feu très-nourri sur la place; les soldats de la garde en étaient déjà fort incommodés, lorsqu'un bataillon du 50o y arrival par le quai de la Grève, précédé d'un escadron ou détachement de cuirassiers.

Ce renfort ne fut pas d'un grand secours au bataillon, qui soutenait depuis quatre ou cinq heures l'effort d'une masse de peuple qui augmentait et attaquait de toutes les rues voisines. Les cuirassiers étaient harassés et découragés de leur charge dans la rue Saint

Antoine; le bataillon de ligne témoignait une répugnance extrême à soutenir un combat qui était déjà une guerre civile. Le général commandant la colonne, jugeant qu'il fallait se borner à la défensive, fit occuper l'Hôtel-de-Ville, entrer la cavalerie et l'artillerie dans la remise de la préfecture, pour les garantir du feu de la rive gauche, et placer dans la cour le bataillon du 50°.

Les choses en étaient là lorsque arriva sur la place un autre bataillon de Suisses, envoyé des Tuileries, et le combat reprit avec plus d'acharnement. Le peuple déboucha de toutes les avenues de la place en groupes plus nombreux et plus animés. Les barricades des rues des Arcis et du Mouton furent tour à tour enlevées et reprises; les Suisses y perdirent beaucoup de monde; ils étaient soutenus par une compagnie de grenadiers et de voltigeurs français; un détachement de ceux-ci alla barrer le pont suspendu, et après avoir épuisé ses cartouches, y resta pendant trois quarts d'heure avec une constance remarquable.

Mais tant de courage fut inutile, il fallut de nouveau se réduire à la défense de l'Hôtel-de-Ville. Cet antique bâtiment est une véritable forteresse située entre des rues populeuses qu'elle domine ; on en fit ouvrir les appartemens qui ont vue sur la place, et on y disposa des tirailleurs. Le peuple essaya vainement à plusieurs reprises d'arriver sur cette place et par les rues voisines, la garde le repoussa par un feu plongeant et meurtrier, qui força les assaillans à renoncer à leurs entreprises.

On n'entreprendra point de donner une relation détaillée de ces combats, dont les journaux ou les écrits du temps n'ont donné que des récits mensongers ou du moins fort exagérés; lutte plus acharnée et plus meurtrière que sur aucun autre point, où l'Hôtel-de-Ville n'a été ni pris ni repris, dans l'acception militaire du mot, où la victoire est toujours restée indécise, mais où les deux partis, la garde royale et le peuple, ont montré une bravoure héroïque.

La nuit venait suspendre la rage des combattans, lorsqu'un sousofficier déguisé, envoyé de l'état-major, vint annoncer, au lieu de renforts demandés, aux troupes de l'Hôtel-de-Ville, l'ordre de faire leur retraite sur les Tuileries comme elles pourraient,

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Cette retraite, commandée par la nécessité, venait d'être autorisée par un ordre arrivé de Saint-Cloud au maréchal Marmont. Comme on l'a dit, son aide de camp Komiérowski était parti des Tuileries vers quatre heures; il lui avait été recommandé de remettre sa dépêche dans les mains du Roi, et de lui dire ce qu'il avait vu de l'état de Paris. Introduit dans le cabinet de S. M., il lui avait remis la lettre du maréchal, et lui avait exposé franchement l'état des choses, ajoutant que cet état exigeait une prompte détermination; que ce n'était pas la populace, mais la population tout entière qui s'était soulevée, et que, près de Chaillot, des bourgeois lui avaient tiré plusieurs coups de fusil. Le Roi lui répondit qu'il lirait la dépêche. Il le fit rappeler au bout de vingt minutes, et, sans lui remettre de réponse écrite, il le chargea, en présence de M. le dauphin et de la duchesse de Berry, qui paraissaient avoir eu connaissance de la dépêche, de recommander au maréchal « de

tenir, de réunir ses forces sur le Carrousel et sur la place de « Louis XV, et d'agir avec des masses. » Charles X, s'il faut en croire d'autres témoins, avait reçu d'un des officiers de sa maison militaire des rapports de même nature; mais il croyait, comme tous les courtisans, qu'on exagérait le mal: quelques-uns de ceux-ci assuraient que les troupes l'avaient emporté sur tous les points; que plusieurs députés, généraux ou journalistes, qui voulaient se mettre à la tête du mouvement, étaient arrêtés, et qu'ils allaient être, traduits devant un conseil de guerre... La soirée se passa sans autres nouvelles; on se contenta d'avertir les gardes-du-corps de se tenir prêts à monter à cheval, de faire venir l'école de Saint-Cyr avec ses pièces, de rappeler les régimens de la garde de leurs garnisons, et de dissoudre les camps de Saint-Omer et de Lunéville pour en diriger les troupes sur Paris. D'ailleurs ces ordres n'étaient regardés que comme des mesures de précaution; on ne paraissait pas avoir d'inquiétude ou d'idée du danger qui menaçait la couronne, et le jeu du Roi eut lieu tout comme à l'ordinaire...

Cependant le canon grondait encore de loin en loin, la fusillade ne discontinuait pas entre les citoyens et les postes occupés par la garde royale. Il n'était parti, ce soir là, ni malles ni dili

gences. La correspondance des télégraphes était interrompue; quelques courriers de commerce pouvaient seuls informer les provinces où se répandirent les bruits les plus sinistres et les plus

mensongers.

A Paris même, on ignorait dans un quartier ce qui se passait daus un autre. Les réunions des députés n'avaient amené aucun résultat. Nul d'eux encore n'osait prendre la direction d'un mouvement dont tous paraissaient effrayés. Des journalistes, sentant l'inconvénient d'abandonner les masses du peuple à l'incertitude de cette position, à la défiance, au désordre qui pouvait résulter de l'absence de toute autorité, avaient imaginé d'annoncer, dans une affiche placardée l'après-midi, dans plusieurs quartiers, l'installation d'un gouvernement provisoire, composé du général Lafayette, du duc de Choiseul et du général Gérard. On n'y crut qu'un instant; mais ce mensonge n'en fut pas moins utile pour soutenir la confiance et le courage des combattans.

Les députés qui devaient se réunir à quatre heures chez M. Bérard, pour entendre le rapport des commissaires envoyés à l'étatmajor, étaient en petit nombre (1). On leur soumit le projet de protestation proposé le matin par M. Guizot, que deux journalistes avaient pris sur eux de faire imprimer, après en avoir fait disparaître des expressions de fidélité et de dévouement au Roi, qui n'auraient pas manqué de choquer ceux qu'on mitraillait en son nom elle fut approuvée. Comme il ne se trouvait pas un assez grand nombre de membres présens, il fut convenu, sur la proposition de M. Laffitte, qu'on prendrait le nom des députés présens à Paris, dont l'opinion faisait espérer qu'on n'aurait pas d'eux un démenti, et qu'on publierait la protestation comme ayant été adoptée, eux présens. «Si nous sommes vaincus, disait M. Laffitte, ils nous démentiront; si nous sommes vainqueurs, soyez tranquilles, il y aura émulation pour l'avoir signée. » Cet avis fut

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(1) Membres présens: MM. Mauguin, Laffitte, Audry de Payraveau, Bavoux, Lafayette (général), Gérard, Sébastiani, Villemain, Casimir Périer, Lobau, Marschal, de Laborde, Vassal, Duchaffaut. (Tribune.)

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