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L'ISLE MERVEILLEUSE, poëme en trois thants, traduit du grec, fuivi d'ALPHONSE, ou de l'ALCIDE Efpagnol, conte très-moral. A Paris, chez DelaLAIN rue Saint-Jacques; brochure in-8°.

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ET Ouvrage nous eft annoncé comme une traduction de Callimaque. Tant mieux pour Callimaque s'il eft vraiment le premier auteur de cette production charmante. En Grèce comme en France, il y a vingt fiècles comme aujourd'hui, on méritoit des éloges quand on favoit égayer la raifon, couronner la philofophie des fleurs de l'imagination la plus brillante, offrir à l'homme, dans un cadre agréable, le tableau mouvant de fes excès, de fes foibleffes, de fes plaifirs, le corriger en riant, & le critiquer en le faifant rire.

J'ai peine, comme bon François, à laiffer à un Grec l'honneur que je crois appartenir à un de mes compatriotes; & l'enthoufiafme patriotique ne m'aveugle pas affez, pour croire que dans les genres. de littérature voluptueux, comme dans

les autres, la France foit affez riche pour enrichir la Grèce à fes dépens.

J'aime, au contraite, à reconnoître fous fon voile la mufe modefte qui veut fe cacher. Le petit fafte d'érudition attique qu'elle étalé dans l'avis du traducteur qui précède ce poëme, ne peut m'en impofer davantage. Elle reffemble alors, felon moi, à une jolie femme qui, pour mieux fe déguifer, veut parler politique au bal de l'opéra, mais dont la voix douce trahit des argumens fi étrangers à fes grâces. Ne dénouons pas ici les cordons de fon mafque, puifqu'elle veut être inconnue, (il faut refpecter les myftères des belles comme leurs caprices) & contentons-nous de jouir des charmes que fon déguifement nous laiffe entrevoir.

Callimaque commence fon poëme par ces vers, où il nous apprend que les amans & les poëtes étoient arjures pà Cythère comme à Paris.

Aux peupliers qui bordent mon séjour,
J'avois juré de fufpendre ma lyre,
De refpirer, d'être heureux fans délire,
D'ofer fur-tout être heureux fans l'amour :
J'avois juré; mais je l'ai vu foûrire,
Et fur fon aîle il emporte aujourd'hui
Tous les fermens que j'ai faits contre luis
Ce dieu ramène un transfuge volages

Il me promet de nouvelles erreurs,
Des fens nouveaux, les defirs du bel âge;
Me dit fans ceffe, en m'offrant les faveurs,
» Vois-tu le temps qui moiffonne les fleurs ?
Il t'avertit d'en femer fon paffage.
Quand l'amour veut, qui pourroit échapper!
Je vais chanter, je vais chanter & j'aime :
Il m'a foumis & je plains en moi-même
Les malheureux qu'il ceffe de tromper.

Ce bel enfant, d'une mère plus belle,
De fon pouvoir s'applaudiffoit un jour,
Défioit Mars, fe mocquoit de Cybèle,
Et provoquoit tous les dieux à leur tour:
De Jupin même il bravoit la colère,
Lui foutenoit qu'infpirer un defir,
C'étoit bien plus que lancer le tonnerre;
Et que le droit d'épouvanter la terre,
N'égale pas le droit de l'embellir.

Le fouverain de la voûte éthérée

Fronce un fourcil & fait trembler les cieux:
Vulcain pâlit, Vénus fuit éplorée ;
L'amour s'échappe & vole à d'autres jeux.
Dans fon courroux le monarque fuprême
Promet au Styx, qui frémit du ferment,
D'humilier l'audacieux enfant,

Et veut qu'enfin il convienne lui-même
Qu'un autre eft maître, & l'Amour dépendant

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- Sous le beau ciel, où l'or des Hefpérides.
Pend en feftons aux arbres jauniffans,
Du fein des flots, d'écume blanchiffans
Divifant l'onde en deux remparts liquides;
Une ifle fort, s'élève dans les airs,
Monde flottant, inconnu fur les mers.

La peinture de cette ifle délicieufe fuit & invite autant le navigateur à cingler vers ces rives, que la défense d'y aborder pouvoit exciter l'Amour à y defcendre. La beauté & la privation font par-tout les deux, les plus grands aiguillons du defir.

Les habitans de la belle colonie avoient tout ce que l'on peut avoir fans l'amour ;. & c'est bien peu de chose.

Ils avoient tout, ( un Dieu m'en est garant )' Hors le plaifir, qui vaut feul tout le refte

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Les yeux fereins & jamais attendris,
De leur côté nos belles infulaires,
Ne favent rien des amoureux mystères.
Froides Vénus de ces froids Adonis,
Que fur leur fein un doux baifer repofe
Leur fein n'éprouve aucun frémissement ;-
Si de leur bouche on va preffer la rose›
Même froideur, jamais un fentiment.

Rien fur leurs fronts ne ternit la jeuneffe: Leurs cœurs glacés ne craignent rien du temps. Comment vieillir quand on vit fans ivrelse! . Les malheureux!... ils n'ont pas nos tourmens. Rien de plus doux que ce dernier vers. Que j'aime à voir le poëte juftifier la nature que nous avons toujours tort d'accufer!

L'amitié, dit notre Callimaque, reftoit à nos infulaires. Je les plains moins. Mais quel trifte ami que celui qui ne peut être amant! J'aimerois mieux celui même qui devroit me trahir pour fa maîtreffe. Cela n'empêche pas le poëte de finit fon premier chant par des vers bien fûrs de leurs fuccès. Les vers à la louange des belles, comme ceux qui en difent du mal, fons toujours fûrs de nos éloges.

SECOND CHANT. Jeunes amans, fortons de notre ivtelle; Je le vois bien, c'eft trop fe tourmenter C'est trop fervir une ingrate maîtreffe : Tout dans l'amour invite à déferter. Je vous ai peint de tranquilles rivages, Des jours fereins, l'abfence des defirs, Mille beautés dans le fond des boccages, A ne rien faire occupant leurs loisirs ; Des charmes nuds carellés des zéphirs.. Embarquons-nous, ouvrons-nous les pallages.

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