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Mais, en somme, les contestations les plus fréquentes portèrent sur les ressorts exacts des bailliages; dans l'impuissance de trancher des questions insolubles, certains territoires, par ordre même d'arrêts du Conseil ou des parlements, demeuraient contestés). Lorsque survint la convocation, toutes les justices royales qui environnaient ces territoires, ou qui croyaient. avoir des droits particuliers pour y exercer, firent leurs récla

mations.

Il serait aisé de citer plusieurs milliers de paroisses en France en 1789, qui, soit parce qu'elles étaient contestées, soit parce qu'elles étaient mi-parties, furent assignées pour comparaître (souvent le même jour) aux assemblées de deux, quelquefois même de trois bailliages. Certains pays, le Donziois, par exemple, donnaient lieu à des procès qui duraient depuis plusieurs siècles, et le garde des sceaux était obligé de reconnaître qu'il fallait laisser les choses en l'état, parce que le procès était encore pendant (2). En 1789, les contestations relatives. aux ressorts des justices furent si nombreuses qu'elles ne pour

(1) Le lieutenant général de SaintDizier, à propos des paroisses contestées entre Saint-Dizier et Vitry-le-François, rapporte un arrêt du Parlement de 1633, qui ordonne que les habitants d'icelles se pourvoiront pour leurs affaires civiles et criminelles soit à Vitry, soit à Saint-Dizier, sans pouvoir, par les deux sièges, mulcter d'amende lesdits habitants pour s'être pourvus à leur choix. 15 février 1789. (Arch. nat., Bш, 158, p. 390.)

(2) Le 14 février 1789, les officiers du bailliage d'Auxerre adressent au garde des sceaux une réclamation à propos du Donziois, qui, disent-ils, a été compris par erreur, dans le règle

ment du 24 janvier, comme étant du Nivernois. Ils ajoutent : «Depuis plus de deux siècles et demi, le bailliage d'Auxerre est en procès avec les dues de Nivernois, au sujet de la baronnie de Donzy... En tout cas, quand il serait vrai que M. le duc de Nivernois aurait réuni la baronnie à la duché-pairie, il n'aurait pas le droit de distraire cette baronnie du bailliage d'Auxerre, à qui les cas royaux ne peuvent jamais être enlevés. Le garde des sceaux répond qu'il faut s'en tenir au dernier état de choses, c'est-à-dire en 1614, où le Nivernois et le Donziois ont eu une députation commune, le procès n'étant pas jugé. (Arch. nat., Bm, 16, p. 51.)

raient être ici rapportées; on trouvera d'ailleurs, presque à chaque page, dans la quatrième partie de cet ouvrage, des détails relatifs à cette question.

V

Erreurs et confusions provenant de la méconnaissance, par les magistrats chargés de la convocation, de l'esprit et des termes des règlements royaux. - Du droit d'exclusion appartenant anciennement au roi. Mépris général du principe de la liberté des suffrages.

Au milieu de cet étrange désordre, le bailliage formait alors la meilleure des justices (1), et en tout cas un ressort assez précis,

("Les bailliages royaux auxquels la présidialité était jointe prenaient communément le titre de «Bailliage royal et siège présidial de... ». L'office de président du présidiel avait été supprimé en 1764, mais les officiers des sièges joignaient quelquefois à leurs titres ceux qui se rattachaient au présidial. La convocation des États généraux n'étant pas un des cas de l'édit», nous n'avons pas à nous occuper ici de la compétence présidiale. Rappelons seulement que l'édit des présidiaux, donné par Henri II en 1551, avait pour but d'abréger les procès en déchargeant les cours souveraines d'un grand nombre d'appellations. L'ordonnance de Moulins supprima tous les présidiaux établis dans les sièges particuliers des bailliages et décida qu'il n'y aurait qu'un siège présidial dans la ville capitale de chaque bailliage ou sénéchaussée, de telle sorte que les juges du présidial ne firent plus qu'une même

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compagnie avec ceux des bailliages. Divers édits, dits d'ampliation, modifièrent ou interprétèrent la législation primitivement établie. Le dernier état, avant la Révolution, avait été réglé par l'édit d'août 1777, portant règlement pour la juridiction des présidiaux, et la déclaration royale du 29 avril 1778, interprétative du précédent édit. Les rois nos prédécesseurs, lit-on dans l'exposé de l'édit de 1777, ont donné aux principaux bailliages et sénéchaussées du royaume le pouvoir de juger, soit en dernier ressort, soit à la charge de l'appel, mais avec exécution provisoire de leurs jugements, les contestations qui n'excéderaient pas les sommes ou valeurs déterminées par le premier et le second chef de l'édit des présidiaux... Nous regardons comme une partie du bienfait dont Nous voulons faire jouir nos peuples la liberté que Nous croyons devoir leur laisser d'en user [de la juridiction des présidiaux]

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IMPRIMERIE NATIONALE.

relativement aux autres, pour que la Constituante elle-même, ayant à donner une définition des anciennes divisions de la France, ait mis le bailliage royal au nombre de celles qui correspondaient à l'ordre judiciaire (1) Les officiers des bailliages devaient être, par suite, dans la hiérarchie du savoir d'un ordre assez relevé; la complexité même de leurs fonctions nécessitait

ou de ne pas en user. Nous avons jugé par ces mêmes vues devoir supprimer absolument le second chef de l'édit qui introduit dans beaucoup de contestations un degré de plus de juridiction, sans produire d'ailleurs des avantages qui balancent cet inconvénient. L'article 27 de ce même édit contenait les prescriptions suivantes : «En chaque bailliage ou sénéchaussée où il y a présidial, le bailliage ou sénéchaussée et le présidial ne formeront qu'un seul et même siège, sans que, dans l'ordre des séances et du service, soit pour les audiences ou pour la chambre du conseil, il puisse être fait distinction des affaires sujettes au dernier ressort et de celles sujettes à l'appel. Voulons que les unes et les autres soient portées indistinctement aux mêmes audiences, chambres ou séances, sans aucun changement quant au surplus, dans l'ordre ordinaire du service. N'entendons rien innover quant aux usages et à la forme des séances de notre Châtelet de Paris. » Il paraît bien que les limites dans lesquelles les présidiaux exerçaient leur action se confondaient avec celles des bailliages principaux où ils étaient établis, mais ils n'étaient pas, comme ces bailliages, constitués en justice ayant un territoire propre et réel. «Ces sièges

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jugent, dit Expilly, selon l'ordonnance, en dernier ressort au civil jusqu'à 250 livres ou 10 livres de rente et, au criminel, ils jugent les cas prévôtaux arrivés dans le ressort des bailliages auxquels ils sont unis. D'autre part, le lieutenant général du bailliage de Meulan, Levrier, écrit en mars 1789 au garde des sceaux :

Ceux qui connaissent les bornes de la juridiction présidiale savent qu'elle n'a ni territoire ni juridiction réelle et proprement dite.» (Arch. nat., B', 50.) Pour les cas prévôtaux jugés par les présidiaux, voir la note préliminaire du chapitre consacré ci-après (p. 409) aux prévôts généraux de la maréchaussée.

(Le royaume est divisé en autant de divisions différentes qu'il y a de diverses espèces de régimes ou de pouvoirs en diocèses, sous le rapport ecclésiastique; en gouvernements, sous le rapport militaire ; en généralités, sous le rapport administratif; en bailliages, sous le rapport judiciaire.» Rapport du nouveau comité de Constitution fait à l'Assemblée nationale, le 29 septembre 1789, sur l'établissement des bases de la représentation proportionnelle. Versailles, 1789, in-8°, pièce. (Bibl. nat., Le 29/235.) Ce rapport était l'œuvre de Thouret. (Voir Quérard, t. IX, p. 461.)

de patientes études, et l'on est en droit de les considérer comme une élite.

Cependant, de même que nous avons montré plus haut le pouvoir central ignorant des détails de la convocation, de même verrons-nous ces magistrats, si fiers de leurs fonctions, troublés et ignorants lorsqu'ils se trouveront avec les seuls textes des règlements et instructions, en présence de ce cas royal si intéressant, mais si grave, la convocation des États généraux.

« Je sens toute la faiblesse de mes lumières, écrit l'un, pour la commission dont vous m'avez honoré (1), 7 " -« Je ne puis vous dissimuler, écrit un autre, que plusieurs articles du règlement sont fort difficiles à entendre (2). »

Les innombrables demandes de renseignements sur l'application des règlements royaux, qui affluèrent à la chancellerie et qui sont conservées aux Archives nationales, suffiraient à prouver l'insuffisant savoir des magistrats provinciaux.

A Metz, par exemple, le lieutenant général considéra les bailliages de Thionville, Sarrelouis et Longwy comme secondaires, alors qu'ils étaient principaux, et un arrêt du Conseil dut casser et annuler tous les actes qu'il avait faits en cet esprit (3). Le lieutenant général de Nancy commit semblable erreur pour les bailliages de Lunéville, Blamont, Rozières, Vézelise et Nomeny, et un arrêt du Conseil dut de même le contraindre à réparer sa méprise.

Les grands baillis d'épée entreprirent à diverses reprises sur les fonctions des lieutenants généraux (5); ces derniers se conten

(1) Lieutenant général de Quincey à Barentin, 28 février 1789. (Arch. nat., Bш, 61.)

(*) Lieutenant général de Montargis à Barentin, 14 février 1789.

Voir ci-après, p. 226, arrêt du 7 mars 1789.

() Voir ci-après, n° CLII, p. 233. (5) Les lieutenants généraux des bailliages avaient souvent à protester contre le titre de commissaires du roi que s'attribuaient indûment quelques baillis d'épée. Le garde des sceaux répond en ces termes à une réclamation du lieute

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taient le plus souvent de faire des réserves, quelquefois aussi ils protestaient violemment, et là encore nous voyons les uns et les autres méconnaître ou ignorer leurs droits réciproques. L'exemple de ce qui se passa à Bordeaux montre combien étaient difficiles et tendues les relations entre les magistrats d'ordre si différent.

Nous apprenons par la voix publique, écrit au garde des sceaux le lieutenant général de Bordeaux, que M. Dupérier (1), grand sénéchal de Bordeaux et de Libourne, avait conçu le projet de venir faire enregistrer la lettre et le règlement dans notre tribunal. Nous prîmes le parti, M. le procureur du Roi et moi, d'en aller rendre compte à M. de Fumêl (2), commandant de la province, pour aviser. Je suis véritablement fâché que les prétentions de M. le sénéchal me contrarient dans l'exécution des ordres qui me sont confiés, et qui semblaient ne regarder que moi seul. Aux termes des articles 6 et 7 règlement du 24 janvier (voir ci-après, p. 69 et 70), les lettres royales de convocation devaient être adressées aux grands baillis ou sénéchaux d'épée, qui devaient les faire enregistrer aussitôt aux sièges royaux indiqués dans ces lettres royales. L'idée d'exclure absolument le sénéchal de cette opération est véritablement bien étrange, venant d'un magistrat.

du

Mais cette méprise devenait de peu d'importance auprès des actes incroyables du grand sénéchal lui-même. Il écrit à Necker: « Mon lieutenant a prétendu venir siéger en robe pour présider le tiers. Je l'avais simplement autorisé à y venir, mais sans robe, quoiqu'il ne fût pas à proprement parler membre de l'as

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