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Le Gouvernement parlementaire est tombé. Les partis qui s'agitaient dans son sein n'ont plus de raison d'être. Les rivalités sont éteintes. Les divisions nées de la révolution de Juillet tendent à s'effacer. La Monarchie de 1830 est entrée dans la postérité. L'heure de la justice a sonné pour elle. Cette justice, c'est à l'histoire qu'il appartient de la lui rendre.

L'historien a une double tâche : il raconte et il juge. L'auteur de ce livre abandonne ses jugements à l'appréciation du lecteur. Quant aux faits qu'il rapporte, il ose en affirmer l'entière et loyale exactitude.

Dans sa carrière de publiciste, sous le règne de Louis-Philippe, l'auteur a eu pour devoir d'étudier jour par jour les événements, non-seulement sous leur aspect apparent et extérieur, mais surtout dans leur caractère réel, dans leurs circonstances ignorées du plus grand nombre, et souvent dans leurs causes secrètes. Ce qu'il a su par lui-même a été complété par les communications qu'y ont ajoutées, avec la plus généreuse bienveillance, ceux des hommes considé

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rables de la Monarchie de 1830 dont il a interrogé les souvenirs. Aucun moyen d'information ou de contrôle ne lui a manqué; aucun labeur ne lui a coûté pour s'éclairer.

Il se peut que quelques-unes des figures qui ont un rôle dans ce livre, quelques-uns des événements qui y ont leur place n'y apparaissent pas, aux yeux du lecteur, tels qu'il s'est accoutumé à se les représenter. La faute n'en est pas à l'auteur, mais à la vérité.

La monarchie de 1830 a eu à son origine, et a conservé pendant toute sa durée deux sortes d'ennemis: ceux qu'elle avait remplacés, et ceux qu'elle avait empêchés d'arriver. Bien que leurs vues, que leurs espérances fussent contradictoires, ces ennemis, ligués contre elle, n'ont cessé de travailler de concert à la renverser. Suppléant au nombre par le bruit et l'activité; imposant à la crédulité par l'audace et la persistance de l'affirmation; s'attaquant sans relâche aux hommes, aux actes, aux institutions; usant de tous les moyens de s'emparer de la conscience publique, la tribune, les journaux, les pamphlets, la caricature, ils agirent à la longue sur l'opinion, comme le filet d'eau creuse la pierre sur laquelle il tombe incessamment.

L'esprit français est frondeur; il se complaît dans l'opposition, surtout quand il n'en voit pas les dangers. La France, heureuse au sein de la paix et de la liberté, prêtait néanmoins une oreille complaisante à ceux qui lui disaient que cette paix était le prix de sa honte, que cette liberté n'était que mensonge et corruption.

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Le Gouvernement, de son côté, portant la principale part de son attention sur les Chambres, où étaient ses juges immédiats, fort de l'appui que lui prêtait une majorité fidèle, s'en remettait à l'intelligence et à la sagacité de la nation du soin de la préserver d'erreur.

Tandis que l'accusation, sous des formes variées et attrayantes, allait, chaque jour et à toute heure, chercher le citoyen au coin de son foyer, à son bureau, dans son atelier, la défense attendait, le plus souvent, qu'il vint l'étudier dans les cartons des ministères ou dans les colonnes indigestes du Moniteur.

Il en est résulté que l'immense majorité des Français n'ont connu, de l'histoire qui s'accomplissait sous leurs yeux, que ce que leur en ont appris les organes d'une opposition presque toujours excessive, égarée ou peu sincère dans ses récits et dans ses critiques.

Il est temps, et il importe à l'honneur de la France que la lumière se fasse enfin sur ce Gouvernement qui a eu ses détracteurs et ses ingrats, mais qui n'a pas encore eu son historien. Que le lecteur ne s'y méprenne pas. L'auteur ne vient pas opposer une apologie systématique à une diatribe systématique. Bien qu'il ait servi avec dévouement la monarchie de 1830, il ne s'est proposé ni de reprendre en sa faveur, sous une nouvelle forme, une polémique depuis longtemps épuisée, ni de pallier ses fautes ou ses erreurs; mais de rendre justice aussi bien au Gouvernement qu'à ses adversaires. Profondément convaincu que la liberté, cette grande et noble conquête de 1789, est désormais

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une nécessité de nos mœurs et de notre civilisation, il n'a pas cependant jeté un voile sur les écarts de la liberté; mais il a retracé, avec une scrupuleuse attention, les laborieux et parfois douloureux efforts, dont le résultat a été une France tranquille et florissante par l'alliance de l'ordre et de la liberté.

Peut-être le moindre intérêt de cette histoire ne sera-t-il pas pour ceux qui en ont été témoins, mais qui, placés trop loin des sphères où se nouent et se dénouent les complications de la politique, n'ont vu les choses qu'à travers les illusions et les confusions de la perspective.

C'est toujours une entreprise délicate que de raconter les faits accomplis hier, et d'écrire l'histoire d'un gouvernement tombé, en présence de ceux mêmes qui l'ont renversé ou qui lui ont succédé. L'auteur ne se l'est pas dissimulé. S'il n'a pas reculé, c'est qu'après être descendu en lui-même, il s'est senti assez dégagé de toute influence pour parler des hommes sans animosité comme sans lâche complaisance, et pour être certain qu'il ne se trouverait dans son esprit pas plus de ressentiment du passé que d'étroite préoccupation de l'avenir.

Mai 1857.

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