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DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

QUE
UE de choses, dont je n'ai pas besoin, disoit
Socrate, en voyant le luxe des riches!

J'avoue que je me suis surpris plus d'une fois avec la même pensée, en parcourant un de ces vastes dépôts des connoissances humaines, auxquels la découverte de l'imprimerie a ôté une grande partie de leur valeur, depuis qu'elle les a si digieusement multipliés.

pro

Que de livres sont là, pour la montre! Parmi les livres, comme parmi les hommes, il y a beaucoup de réputations usurpées : tel ouvrage eut une grande vogue il y a cent ans, qu'on ne lit plus aujourd'hui, qu'on vante encore sur parole, et qui continue d'occuper une place honorable dans les rayons de la bibliothèque impériale.

On assure que celle d'Alexandrie, que le farouche Omar livra aux flanimes, contenoit 600,000 volumes. Il y a peut-être de l'exagération dans cette évaluation; mais, n'en fallût-il rien rabattre, tout en partageant les regrets de ceux qui pleurent encore aujourd'hui sur cette perte, je me console

A

que

pas ennuyer; 3°. en ne choisissant nos exemples dans les ouvrages reconnus comme classiques. Nous entendons par classiques, non les livres que leurs auteurs, par sollicitations, par surprise ou d'autorité, ont trouvé le secret d'introduire dans les bibliothèques des lycées; mais bien ceux dont le temps a consacré le mérite, que toutes les nations éclairées s'accordent à regarder comme des modèles, et qu'on retrouve avec plaisir dans les bibliothèques de tous les hommes de goût.

Le nombre de ces livres n'est pas très-considérable; et nous ne nous éloignerions pas beaucoup de la vérité, en établissant qu'ils sont, avec les 20,000 volumes choisis dont nous avons parlé plus haut, dans la même proportion que ceux-ci, avec tous les autres livres de l'univers.

Et cela n'est pas étonnant : à quelques exceptions près, dont nous parlerons plus bas, les livres classiques sont l'ouvrage des trois peuples, qui ont eu le plus de goût, et qui sont aujourd'hui généralement reconnus pour avoir cultivé avec le plus de succès les sciences, les lettres et les arts; je veux dire, les Grecs, les Romains et les François.

En associant les François à la gloire des deux autres peuples, je ne cède pas seulement à l'influence de la vanité nationale, je cite un fait

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« De tous les peuples de la terre, les Grecs ont été les plus passionnés pour la gloire et pour les arts. La beauté du climat, en développant leur imagination, donnoit en même temps l'énergie qui enfante les grandes actions, et le talent qui fait les beaux ouvrages. La liberté élevoit leur âme au niveau de la gloire, les exercices et les jeux les donnoient en spectacle les uns aux autres : les grands intérêts de l'état, et la victoire qui les suivoit partout, leur inspiroient une haute confiance en leurs forces. Ajoutez aux institutions générales les institutions particulières de chaque ville; ces fêtes si riantes, ces jeux si célèbres, ces combats le long de l'Alphée, ces prix distribués à la force, à l'adresse, au talent, au génie, et vous concevrez aisément les progrès qu'ils firent dans les arts, et comment et pourquoi ils sont encore aujourd'hui nos maîtres et nos modèles (1). »

La grâce, cette expression douce et légère, qui embellit tout, en paroissant se cacher, qui donne tant de prix aux ouvrages d'esprit, et qu'on définit si peu; ce charme également nécessaire à l'orateur,

(1) Rapport sur l'instruction publique, fait par M. de Talleyrand Périgord à l'Assemblée constituante,

au poëte, au statuaire, et au peintre, qu'Homère et Anacréon parmi les Grecs, Tibulle et Virgile parmi les Romains, Racine et Fénélon parmi les François, nous ont si bien fait connoître; cette grâce que le Caravage ne connut jamais, et qui versa ses faveurs sur Raphaël et le Corrège ; ce don si rare et si précieux qu'on ne sent même qu'avec des organes si déliés, étoit en Grèce le grand secret des écrivains et le caractère général des artistes.

Dans ce pays si favorisé de la nature, les artistes et les philosophes avoient ouvert des écoles où la grâce adoucissoit la sévérité des leçons.

Dans le temps que Praxitèle répandoit sur le 'Cupidon de Thespis, et sur la Vénus de Cnide, des grâces inimitables, Socrate alloit les étudier chez Aspasie; il en inspiroit le goût aux artistes, il les enseignoit à ses disciples, et c'est à ses leçons que Platon et Xénophon durent celles qu'ils ont répandues dans leurs ouvrages.

Mais Platon, né avec une imagination plus hardie, leur donna un caractère plus élevé. Xénophon leur laissa cette douceur et cette élégante pureté de la nature qui enchante sans le savoir,' qui fait que la grâce glisse légèrement sur les objets et les éclaire comme d'un demi-jour; qui fait que peutêtre on ne la sent pas d'abord, mais qu'elle gagne peu à peu, s'empare de l'âme par degrés, et y laisse

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