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Tout cela n'est point digne de la France de Juillet. Et cependant, les événemens se précipitent, et le moment approche où il faudra bien que les opinions se résument en termes clairs et précis.

C'est ce triage d'intérêts et d'arrière-pensées que j'ai voulu essayer dans cet ouvrage. Je veux chercher la vérité sans ornement, et simplifier, s'il est possible, l'état si complexe auquel nous a conduits le grand événement de 1830.

L'erreur qui produit cette confusion générale, est celle qui consiste à penser, ou à faire penser que la révolution de Juillet a surpris la France; qu'elle l'a jetée dans l'inconnu; qu'elle l'a mise en danger de périr, parce que la France n'était pas à la hauteur de cet événement.

Sans doute, la France est entrée dans une ère nouvelle, le 29 Juillet 1830. Mais notre passé n'a point de fait qui ne trouve sa conséquence dans le cadre de cette révolution. La monarchie élective de la seconde race, la monarchie militaire de Clovis, la monarchie claustrale des Thierry et des Childéric, le sceptre impérial de Charlemagne, la monarchie féodale, espèce d'oligarchie républicaine fédérative; la monarchie des états de Philippe-le-Bel, la monarchie des Parlemens, la monarchie absolue de

Louis XIV, la monarchie représentative de Louis XVI, la Convention, Bonaparte et les Bourbons nous ont poussés, à travers toutes les espèces de royautés, jusqu'au programme de l'Hôtel-de-Ville.

La révolution de Juillet est donc le triomphe de la civilisation progressive de la France; elle est surtout la péripétie qui prépare le dénoûment du grand drame dont les quatre premiers actes ont été joués en trois siècles: la Ligue, la Fronde, la Révolution de 89, et l'Empire.

La Ligue, en opposant le culte épuré du protestantisme à l'intolérance de l'esprit catholique; la Fronde, en voulant jouer aux parlemens anglais; la Révolution de 89, en essayant, d'abord, des expériences anglaises et américaines, et en épuisant, ensuite, toutes les folies du forum et de la place publique, n'avaient au fond qu'un même but, celui de jeter à bas tout l'édifice politique du moyen-âge; c'est-à-dire, de substituer l'égalité au privilége, et l'obéissance aux lois à l'asservissement aux personnes.

Mais l'esprit de réformation commit à toutes ces époques une faute mortelle, celle de méconnaître son point de départ, et de demander ses modèles à des systèmes évanouis dans les révolutions de l'histoire,

comme si les sociétés pouvaient se refaire autrement qu'avec les idées de leur siècle.

C'est contre ces récifs que sont allés se briser, à leur tour, les quatre réorganisations que la France a tentées depuis 93. La première, celle dans laquelle on voulait faire entrer, à coups de guillotine, les institutions des Grecs et des Romains, était une conception rétrograde et par conséquent radicalement fausse tant eût valu chercher à revêtir l'âge viril avec les habillemens de l'enfance. Le despotisme en fit justice; cela devait être.

Bonaparte, en youlant faire revivre l'empire de Charlemagne, hasarda la seconde expérience. Celleci était moins absurde que la première, par cela même qu'elle ravivait des souvenirs moins éloignés, et qu'elle était entreprise par un puissant génie et soutenue par une nation folle de gloire. Et cependant l'édifice napoléonien s'écroula, parce qu'il s'était élevé sur deux bases iniques: l'assujétissement de la France par un homme, et l'assujétissement de l'Europe par la France.

La troisième expérience, celle qui replaça sur le trône une dynastie fatale, tendait à importer en France la constitution politique de l'Angleterre. Cet essai fut

que

aussi vain que les deux autres; moins encore parce la Restauration déniait à la France la liberté de fait dont jouissait la Grande-Bretagne, que parce que l'esprit de la France exigeait un système très-supérieur à celui qui fut imposé, par la conquête, à un peuple isolé de tous les autres, et qui n'est guère, en réalité, qu'une habile modification du système théologique et féodal, ayant pour but de faire dominer la royauté par l'aristocratie. Or, cela était contraire aux précédens de la civilisation française, contraire à l'essor qu'avait pris, depuis quarante ans, l'intelligence politique du peuple, et au sentiment d'égalité qui domine et tend incessamment à diminuer, nonseulement les pouvoirs virtuels de toute aristocratie, mais aussi les priviléges de toutes les dénominations.

On le voit : depuis l'origine de la monarchie jusqu'à la révolution de juillet, nous avons ébauché toutes les formes connues de gouvernement, sans pouvoir nous arrêter à aucune d'elles, parce que toutes ont été, pour nous, des faits exotiques, des imitations sans analogie de mœurs, de besoins ni d'époque.

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Tout-à-coup les ordonnances de Charles X produisent une émeute; l'émeute produit une révolte ; la révolte, une révolution; et de cette révolution naît un nouveau principe, celui de la monarchie

populaire environnée d'institutions républicaines. Et l'on dit au peuple: Voilà la meilleure des républiques.

Et le peuple, qui avait eu le courage de combattre et l'habileté de vaincre, eut la générosité de céder la victoire à qui n'avait pas combattu; il crut à la meilleure des républiques.

La meilleure des républiques!... Cela n'était point vrai. Il eût été plus juste de dire: La combinaison la plus compatible, d'un côté, avec l'esprit d'égalité qui envahit le monde; de l'autre, avec les préventions qu'a laissées en France, la fausse république; en d'autres termes, la combinaison la plus propre à remplir l'intervalle des temps, sans brusquer la marche naturelle des événemens.

La monarchie à formes et à institutions républicaines, était donc, en réalité, le système le mieux approprié aux diverses nuances d'opinions qui avaient fait la révolution de juillet, je dirai même aux conditions politiques actuelles de l'Europe; car, si la dissolution des vieilles monarchies se manifeste partout, ou par leur faiblesse ou par leurs excès; si la démocratie fermente de tous côtés, ce serait cependant abuser de la généralisation que de prétendre que les tendances républicaines ont causé seules la chute de tous les trônes qui se sont écroulés depuis deux ans.

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