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OU

HISTOIRE ET DESCRIPTION

DE TOUS LES PEUPLES,

DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, COUTUMES, ETC.

SUÈDE,

PAR M. LE BAS,

MAÎTRE DE CONFÉRENCES A L'ÉCOLE NORMALE.

POUR peu qu'on jette les yeux sur une carte de l'Europe, il est facile de remarquer une singularité frappante que présentent les côtes occidentales de cette partie du monde. Partout à l'ouest et vers l'océan Atlantique les montagnes se rapprochent de la mer, les côtes sont découpées et hérissées de rochers. Mais en France et en Espagne les montagnes s'étendent de l'est à l'ouest, formant ainsi comme une vaste charpente qui attache ces contrées au grand continent, tandis qu'en Angleterre et dans la Scandinavie, la direction des montagnes est parallèle au méridien et la mer a, pour ainsi dire, entouré ces remparts, ne respectant que quelques plaines qu'ils abritent. C'est ainsi qu'en Amérique une chaîne, dans le sens du méridien, longe à l'ouest les côtes de la mer, qui a pénétré partout et a transformé en fle les sommités inférieures de ce versant, tandis qu'à l'orient une plaine plus ou moins étendue vient se rattacher aux montagnes. En Scandinavie, la pente occidentale des montagnes forme la Norvège; la plaine orientale,

1re Livraison. (Suède.)

plus large au nord, plus étroite vers le sud, forme la Suède. Au midi, une plaine parsemée de collines et de lacs tend à se réunir à l'île de Séelande: c'est la Scanie, long-temps soumise à la domination du Danemark dont elle se rapproche par sa constitution physique, et avec lequel elle communique par un canal étroit, beaucoup plus facilement qu'avec la Suède dont elle est séparée par des montagnes, des forêts et des lacs nombreux (*).

Les montagnes qui séparent la Suède de la Norvège ont une étendue plus considérable que celles des Alpes. Elles offrent à peu près la même élévation, mais leur nature est bien différente. Ce n'est point une chaîne de montagues dont la crête est visible et qu'entrecoupent des défilés nombreux; une seule masse escarpée s'élève tout à coup du côté de l'ouest, et descend

(*) La Scanie eut pendant long-temps des chefs indigènes. Au IX siècle elle passa sous la domination du Danemark, et ce n'est que beaucoup plus tard qu'elle fut réunie à la Suède.

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un peu moins roide vers l'est. Elle présente un plateau continu d'où quelques rocs s'élèvent en forme de cônes; une forêt épaisse la couvre dans toute sop étendue. Aussi les communications de la Suède et de la Norvège sont peu nombreuses et toujours précaires. Presque jamais une armée n'a franchi la frontière avec quelque suc cès, et aujourd'hui encore, bien que le roi de Suède soit, par la force des circonstances, devenu souverain de la Norvège, on aurait grand tort de croire que les deux pays sont réunis sous un même gouvernement ou sous une administration centrale. La Norvège est presque républicaine, la diète y est souveraine, le roi n'y a qu'un véto suspensif, et l'on n'y connaît pas de corps privilégiés; tandis qu'en Suède la royauté est plus forte et la noblesse a une part dans la législation.

La Suède n'est ni l'un des pays les plus étendus, ni l'un des pays les plus peuplés de l'Europe; elle compte à peine trois millions d'habitants. Et cependant deux fois, dans les temps historiques, elle a exercé une influence prépondérante sur les destinées du monde, d'abord à l'époque de la migration des peuples, puis sous un prince héroïque et désintéressé, sous ce Gustave-Adolphe qui n'hésita pas de jouer sa couronne et les destinées de son pays pour ce qu'il croyait être la vérité et la volonté de Dieu.

PREMIÈRE PÉRIODE.

LA SUÈDE PAIENNE.

L'histoire des pays scandinaves ne commence pour nous que fort tard. Les connaissances des Romains sur cette contrée étaient presque nulles. A en juger par les fragments de Scylax et par quelques mots de Pline l'ancien, on serait même tenté de croire que l'occupation du Nord par les Romains détruisit les relations qui pouvaient avoir existé anciennement entre ce pays et le reste de l'Europe. On cherchait alors de ce côté une grande île sous le nom de Thulé; plus tard on

crut que ce continent était composé de plusieurs îles. Ce ne fut qu'après les conquêtes de Charlemagne dans le nord de l'Allemagne que le pays fut découvert par les missionnaires, et dix siècles après l'invasion des Romains en Germanie, les peuples scandinaves étaient à peu près au même degré de civilisation et d'organisation sociale que les Germains au temps de J.-C.

Ce n'est pas à dire qu'avant cette époque la Scandinavie n'avait exercé aucune influence sur le reste de l'Europe. On ne saurait douter au contraire que ce ne soit des pays voisins de la Baltique que sortirent les peuples qui se précipitèrent sur l'empire romain. Tacite savait qu'il existait de son temps des royaumes puissants en Suède; Jornandes affirme que les Goths sont venus de la Scandinavie; Paullus Varnefridi en dit autant des Longobards; enfin les Saxons et les Francs se prétendaient aussi originaires de cette contrée. Qui ne sait que Jornandès appelle la Scandinavie officina gentium, vagina_nationum?

Il ne faudrait cependant pas croire que les peuplades nombreuses qui, du premier au cinquième siècle, inondèrent l'Europe, soient toutes sorties de la Scandinavie. Jamais elle n'aurait pu produire un aussi grand nombre d'hommes. Tout ce que nous savons c'est que presque en aucun temps, et surtout avant que l'introduction de l'agriculture eût rendu le sol plus fertile, ce pays n'a pu nourrir tous ceux qui y étaient nés. Ainsi, jamais des peuplades très-nombreuses n'ont pu en sortir, parce qu'elles n'auraient pu s'y former; mais nous savons que chaque printemps les Scandinaves sacrifiaient aux dieux, pour qu'ils favorisassent les expéditions que la jeunesse allait entreprendre pendant l'été. Chaque père alors obligeait tous ses fils à abandonner la maison paternelle. Il n'y avait d'exception que pour celui qui devait être son héritier. Tous les autres étaient dans l'obligation d'aller s'assurer, par la force de leurs bras, un établissement en pays étran

ger, ou du moins d'aller s'y enrichir par le pillage. Ces réunions de pirates étaient assurément peu nombreuses. Les Goths, suivant d'antiques chants populaires, ne montaient que trois vaisseaux, quand ils partirent pour la conquête du monde; mais c'étaient des hommes accoutumés aux fatigues, pleins d'un courage chevaleresque, ne connaissant d'autre sentiment que l'amour de la gloire, des combats et de la rapine, et recherchant la mort sur le champ de bataille, comme la seule route qui pât les conduire au Walhalla, le paradis de leur mythologie. Alors que tous les peuples du nord de l'Europe commencèrent à s'ébranler et à quitter les pays qu'ils occupaient pour des contrées plus heureuses, un chef scandinave ne tarda pas à se trouver à la tête de chacun d'eux, et plus tard on donna à chaque peuple une origine semblable à celle de ce chef. Or, ces chefs prétendaient descendre Odin, dont le culte, né en Scandinavie, s'était répandu au loin. On sait que les peuples barbares ont toujours cherché à expliquer le phénomène de l'inégalité parmi les hommes, en faisant descendre directement des dieux ceux qui s'étaient élevés au-dessus des autres par la force ou par l'adresse. Ils ne croyaient pas à un seul dieu, à un dieu représenté par une seule personne, mais à une seule origine divine, à une seule famille de dieux, à laquelle devait se rattacher quiconque prétendait à la divinité, ou du moins à représenter la divinité sur la terre. Nec de deorum genere esse probatur, il n'est pas prouvé qu'il soit de la race des dieux,» dit Clovis à Clotilde, quand celle-ci lui proposa de reconnaître le Christ.

a

La plupart des traditions relatives à la religion et à l'histoire primitive des peuples scandinaves nous ont été transmises par les bardes islandais. Pour la Suède en particulier, l'histoire des premiers temps se trouve consignée dans les collections relatives à l'histoire des rois, la mythologie dans deux ouvrages connus sous le nom de l'ancienne et de la nouvelle Edda, tous

deux, à ce qu'on croit, composés ou plutôt rédigés au XIIe siècle. La dernière, dont l'auteur avait déja quelque connaissance de la mythologie des poètes romains, et surtout de Virgile, est une sorte de manuel à l'usage des bardes de l'époque chrétienne, et qui a pour objet de leur enseigner l'art de la versification et la mythologie ancienne, dont ils se servaient comme les poètes romains ou nos versificateurs du XVIe siècle se servaient de la mythologie grecque. L'ancienne Edda, au contraire, est une collection de chants païens bien antérieurs au XIIe siècle. Ces chants sont au nombre de trentesept, et on peut les diviser en trois classes. La première se compose de treize chants qui traitent de la cosmogonie, de la création et de l'histoire des dieux; la seconde et la plus nombreuse, qui en compte vingt et un, est consacrée à célébrer les hauts faits des héros mythiques; la troisième enfin s'occupe surtout de morale et de dogmatique.

La mythologie du Nord est, comme toutes les mythologies, un composé peu systématique d'idées abstraites et religieuses proprement dites, de souvenirs historiques, de théories sur la nature de la matière, de symboles physiques ou astronomiques, enfin de produits de l'imagination et de développements poétiques. Depuis cinquante ans on s'est beaucoup occupé de séparer ces éléments divers, mais jusqu'ici le succès n'a pas complétement répondu aux efforts des savants qui se sont voués à ce travail. Outre les difficultés sans nombre que présentent et l'état des sources qui ne nous sont parvenues que par fragments, et la langue poétique dans laquelle ces traditions sont rapportées, et enfin l'inauthenticité de quelquesunes de ces traditions, il faut reconnaître aussi que presque tous les érudits qui ont tenté cette difficile analyse, ont eu le tort d'accorder une préfé rence exclusive à tel ou tel des éléments qui constituent ce grand tout, et qui doivent tous être consultés avec une égale impartialité par qui

conque veut donner une explication générale des mythes scandinaves.

Toutefois, ce qui paraît résulter des recherches qui ont été faites jusqu'ici, c'est que les croyances des peuples du nord de l'Europe, Celtes, Germains et Scandinaves, ont entre elles beaucoup d'affinité et paraissent dériver de la même source. D'un autre côté, il y a tant de points de ressemblance entre ces religions et celles de la Haute-Asie, tant de traditions directes ou indirectes nous ramènent vers ce centre, que c'est là seulement qu'il faut en rechercher l'origine. Il est trèsvraisemblable que les relations entre le Caucase et la Scandinavie n'ont jamais été interrompues les grands fleuves de la Russie sont des routes naturelles qui conduisent des contrées boréales à la mer Noire, et il ne paraît pas que les peuplades sarmatiques aient jamais opposé une résistance sérieuse aux tribus guerrières qui traversaient le pays pour se diriger vers le sud. De plus, des découvertes récentes et les historiens arabes prouvent que de tout temps des marchands asiatiques se sont aventurés à remonter le Wolga et le Dniepr pour venir chez les peuples du Nord, chercher de l'ambre et des pelleteries. C'est ainsi que la religion scandinave a été continuellement enrichie et modifiée par les dogmes et les mythes de l'Asie; en sorte que même vers son déclin, les traditions relatives à Noé et à Troie sont venues y prendre place.

Tout ce que nous savons des aborigènes du pays nous porte à croire qu'ils adoraient des fétiches, et que, comme chez les Lapons d'aujourd'hui, la sorcellerie était l'occupation principale de leurs prêtres. Chez la race scandinave, au contraire, nous trouvous de tout temps, comme chez toutes les races venues de l'Asie, une triade de dieux suprêmes, représentant sous différentes formes la puissance, la sagesse et la bonté; et il est probable que toutes les modifications, toutes les révolutions survenues dans ce paganisme, n'ont été occasionées que par la préférence accordée successive

ment à l'une de ces trois divinités, et par conséquent à ses prêtres. Les trois grands dieux des Scandinaves étaient Thor (pl. I, 1), Odin (ibid., 2) et Freyr (ibid., 3), désignés aussi sous le nom de Har, Jafnhar et Thridie, c'est-à-dire le sublime, l'également-sublime, le troisième.

A l'époque où remontent nos connaissances historiques sur le Nord, le culte d'Odin était presque partout dominant; mais il paraît qu'avant lui Thor était considéré comme le dieu suprême. On l'adorait comme représentant l'une des forces de la nature, comme le dieu du tonnerre. On le supposait monté sur un char que traînaient des boucs, et tenant dans la main un marteau, symbole de l'éclair; car cette arme, garnie d'un manche très-court, ne servait point à frapper, comme on l'a cru quelquefois; on la lançait de loin, comme au moyen âge les chevaliers lançaient leur massue. Le taureau, symbole de la force, lui était consacré; il était le dieu de la guerre et des combats, et ne cessait de poursuivre de son tonnerre les Throldes, ou dieux des indigènes, qui s'étaient ainsi que ces derniers réfugiés dans les montagnes.

Freyr était le dieu de la force productive, de la fertilité de la terre, et du temps. Il paraît avoir été d'abord représenté comme Hermaphrodite, plus tard comme Priape. C'était aussi le dieu de la lune, et l'on sait que dans le principe les Grecs et les Romains supposaient également à cette divinité le sexe masculin: Deus Lunus, φαὸς μῆν. Plus tard on lui donna une sœur, Freya, la déesse de l'amour, ou plutôt de la reproduction du genre humain. Elle était particulièrement adorée en Suède, comme divinité nationale, bien qu'elle n'ait jamais été comptée au nombre des grands dieux.

Odin paraît avoir été au commencement adoré comme le dieu du soleil ; mais, par suite d'une révolution ou d'une réforme survenue, à ce qu'on pense, un siècle environ avant J.-C., il devint le dieu suprême, le chef invisible d'une théocratie puissante, et

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