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qu'il fallait élargir la ruche, mais non la détruire; élaguer, tailler l'arbre, mais non le déraciner. Le premier dans la voie des réformes sages et prudentes, il ne veut pas consentir à ce que son clergé et sa noblesse, aveuglés par de généreuses illusions, et entraînés par une sorte de vertige chevaleresque, ébranlent, en se suicidant, et en s'immolant de leurs propres mains, les bases de la constitution française. Et en agissant ainsi, il se montrait plus grand politique. Il savait qu'une nation sans aristocratie est une nation sans génie, sans vertu, sans courage, sans sainteté, sans talent; car partout où ces choses se rencontrent, elles produisent, comme l'arbre son fruit, une aristocratie que la mystérieuse loi de la reversibilité des honneurs ou de la honte des pères sur les enfants, rend héréditaire. Que la voie soit toute large ouverte vers ces sommets sociaux, voilà tout ce que la justice exige.

LETTRE XXII.

Au Comte d'Artois.

7 septembre 1789.

Mon frère vous vous plaignez, et votre lettre, où le respect et l'amour fraternel guident votre plume, contient des reproches que vous croyez fondés. Vous parlez de courage, de résistance aux factieux, de volonté... Mon frère, vous n'êtes pas roi! Le ciel, en me plaçant sur

le trône, m'a donné un cœur sensible, des sentiments d'un bon père. Tous les Français sont mes enfants; je suis le père commun de la grande famille confiée à mes soins. L'ingratitude, la haine arment contre moi; mais les yeux sont obscurcis, les esprits sont égarés, la tourmente révolutionnaire a troublé toutes les têtes.

Le peuple croit s'intéresser à sa propre cause, et c'est moi seul que j'aurais pu défendre. Je pourrais donner le signal du combat; mais quel combat horrible, et quelle victoire plus horrible encore! Pouvezvous croire que j'eusse triomphé, au moment où tous les ordres de l'Etat se réunissaient, où tout ce peuple s'armait contre moi, où toute l'armée oubliait ses serments, l'honneur et son roi! J'aurais donné, il est vrai, le signal du carnage, et des milliers de Français auraient été immolés..... Mais vous direz peut-être, le peuple a triomphé; il vous a prouvé, par ses excès, que ses sentiments n'étaient pas si généreux, qu'il osait abuser de la victoire et poignarder son ennemi vaincu. Ah! ne comptez-vous pour rien le calme d'une bonne conscience! J'ai fait mon devoir; et tandis que l'assassin est déchiré par les remords, je puis dire hautement : Je ne suis pas responsable du sang versé ; je n'ai point ordonné le meurtre; j'ai sauvé des Français; j'ai sauvé ma famille, mes amis, tout mon peuple : j'ai la conscience intime d'avoir fait le bien; mes ennemis ont eu recours aux forfaits. Quel est celui d'entre nous dont le sort est plus digne d'envie? Cessez, mon frère, cessez de m'accuser: le temps, les circonstances et mille causes

qu'il serait trop long de détailler, ont fait les malheurs de la France. Il est trop cruel de me les reprocher; c'est se joindre alors à mes ennemis, et déchirer ce cœur paternel. Mon frère, je me suis sacrifié pour mon peuple; soyez persuadé que ce premier devoir rempli, je saurai me sacrifier pour vous et pour les Français qui vous ont suivi. Déjà votre éloignement excite des murmures; déjà les factions se promettent bien de nous accuser, et de tirer parti de cette démarche, qu'ils appellent, en ce moment, une conspiration, un attentat. Ces idées se propagent, elles produiront de funestes résultats, si la tranquillité n'est point rétablie; si votre rappel devient impossible; si je néglige l'occasion favorable de rappeler en France les Français exilés volontairement, et qui doivent s'empresser d'obéir au vœu que je me ferai alors un devoir de manifester. Adieu, mon frère, n'oubliez pas que je vous aime et que je m'occupe de vous.

Louis.

LETTRE XXIII.

A M. le Comte d'Estaing.

Versailles, 5 octobre 1789, 7 heures du soir.

Vous voulez, mon cousin, que je me prononce dans les circonstances critiques où je me trouve, et que je prenne un parti violent, que j'emploie une légitime défense, ou que je m'éloigne de Versailles. Quelle que soit l'audace

de mes ennemis ils ne réussiront pas; le Français est incapable d'un régicide. C'est en vain qu'on verse l'or à pleines mains, que le crime et l'ambition s'agitent; j'ose croire que le danger n'est pas aussi pressant que mes amis se le persuadent. La fuite me perdrait totalement, et la guerre civile en serait le funeste résultat. Me défendre, il faudrait verser le sang des Français; mon cœur ne peut se familiariser avec cette affreuse idée. Agissons avec prudence; si je succombe, du moins je n'aurai nul reproche à me faire. Je viens de voir quelques membres de l'Assemblée, je suis satisfait : j'ose attendre qu'il s'opérera une heureuse révolution dans les esprits. Dieu veuille, mon cousin, que la tranquillité publique soit rétablie. Mais point d'agression, point de mouvement qui puisse laisser croire que je songe à me venger, même à me défendre.

LOUIS.

LETTRE XXIV.

A M. de Brissac.

28 octobre 1789.

Juste appréciateur, Monsieur, du zèle chevaleresque qui a dirigé toute votre conduite depuis l'époque de nos malheurs, je trouve une satisfaction infinie à vous témoigner personnellement, les sentiments de gratitude que la reine et moi vous devons, pour ce que votre loyauté vous a dicté dans la journée d'hier. J'ai appris,

à mon réveil ce matin, que vous étiez malade; j'ai cru ne pouvoir mieux vous prouver le vif intérêt que nous prenons à votre personne, qu'en vous assurant de l'aimable estime que j'aurai toute ma vie pour un aussi brave Français, et un sujet aussi fidèle que vous.

LOUIS.

LETTRE XXV.

A M. de Baument, mon agent de change à Londres.

Paris, 29 novembre 1789.

Votre dernière lettre ne termine rien, et parle peu de l'opération dont vous êtes chargé. Quelle insouciance, ou quelle inertie ! Vous savez que j'ai besoin de la somme que vous êtes chargé de négocier, et vous vous laissez prévenir. Vous ne voyez point les banquiers accepteurs, et vous laissez tranquillement s'effectuer l'emprunt du duc d'Orléans. Cependant les moments étaient si précieux, et l'argent si nécessaire! Je sais bien que le ministre de l'intérieur, avec sa contre-police, ne fait pas grand chose et me coûte beaucoup. Il connaît toute ma répugnance à m'endetter, et combien peu je prise les moyens de séduction. Il veut singer le duc d'Orléans, qui se ruine pour faire le mal, et se venger de quelque plate chanson ou de quelque mépris dont, en mon particulier, je sais qu'il s'est bien rendu digne. Un de mes agents au Palais-Royal, m'a fait con

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