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bles dans un état d'imperfection; il est complet actuellement, et je suis persuadé que, sous cette nouvelle forme, il aurait changé le cours des réflexions de la plupart des notables. Un respect rigoureux pour les formes suivies en 1614, a fixé l'opinion de ceux qui ont pensé que les grands bailliages devaient avoir le même nombre de députés, sans égard à la diversité de leur étendue et de leur population. Cependant il est impossible de douter qu'en 1614 on n'eût fait de plus fortes réclamations contre la grande inégalité de la représentation entre les provinces, si la force de l'habitude, l'ignorance où l'on était de la population respective du royaume, et quelquefois un défaut d'intérêt pour les objets qui devaient être traités aux Etats-Généraux, n'avaient pas distrait l'attention de ces disparités; mais aujourd'hui que les lumières se sont étendues et perfectionnées, aujourd'hui qu'on est attaché davantage aux règles de l'équité proportionnelle, on exciterait les réclamations de plusieurs provinces, sans en contenter aucune, si l'on consacrait de nouveau des inégalités contraires aux règles les plus communes de la justice. Ces inégalités sont grandes, ainsi qu'on a déjà eu occasion de le faire remarquer.

La sénéchaussée de Poitiers

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Le bailliage de Vermandois. 674,504 Celui de Dourdan. Il n'y a qu'une seule opinion dans le royaume sur la nécessité de proportionner, autant qu'il sera possible, le nombre de députés de chaque bailliage à sa population; et, puisque l'on peut, en 1788, établir cette proportion d'après des connaissances certaines, il serait évidemment déraisonnable de délaisser ces moyens de justice éclairée, Į suivre servilement l'exemple de 1614.

pour

Je ne m'arrêterai pas aux raisonnemens trop métaphysiques dont on s'est servi pour soutenir que les intérêts généraux de la nation seraient aussi bien représentés par les députés d'un petit bailliage que par les députés d'un grand; et qu'ainsi, les représentans de ces deux bailliages pouvaient rester en nombre égal sans inconvénient, et jouir ainsi d'une influence pareille dans l'assemblée des Etats-Généraux. Il suffit, pour faire sentir l'imperfection de ce raisonnement, de le pousser à l'extrême, et de demander si le député d'une paroisse devrait, dans une province, avoir le même suffrage, le même degré d'influence que les représentans de deux ou trois cents communautés. Les esprits ne se prêtent point à des distinctions subtiles, quand il est question des plus grands principes et des plus grands intérêts. On peut observer, à la vérité, que, si, dans chaque ordre, aux Etats-Généraux, on opine par bailliages, et non par tê

tes, l'ancienne disparité, à laquelle on propose au Roi de remédier, subsisterait également; mais tout ce que Votre Majesté peut faire, c'est de mettre les Etats-Généraux à portée d'adopter l'une ou l'autre délibération. D'ailleurs, en supposant même que les opinions se réglassent par bailliages, les plus considérables d'entre ces districts ayant une grande diversité d'intérêts à faire connaître, il serait encore raisonnable de leur accorder plus de représentation qu'aux bailliages, dont l'étendue et la population seraient infiniment moins importantes.

Sur la seconde question. Faut-il que le nombre des députés du tiers-état soit égal à celui des deux autres ordres réunis, ou ce nombre doit-il composer simplement la troisième partie de l'ensemble?

Cette question, la plus importante de toutes, divise en ce moment le royaume. L'intérêt qu'on y attache est peut-être exagéré de part et d'autre; car, puisque l'ancienne constitution ou les anciens usages autorisent les trois ordres à délibérer et voter séparément aux Etats-Généraux, le nombre des députés, dans chacun de ces ordres, ne paraît pas une question susceptible du degré de chaleur qu'elle excite. Il serait sans doute à désirer que les ordres se réunissent volontairement dans l'examen de toutes les affaires où leur intérêt est absolument égal et semblable; mais cette détermination même dépendant du vœu distinct des trois ordres, c'est de l'amour commun du bien de l'Etat qu'on doit l'attendre. Quoi qu'il en soit, toute question préliminaire qui peut être considérée sous divers points de vue, et semer ainsi la discorde entre les trois ordres de l'Etat, est, sous ce rapport seul, de la plus grande importance; et Votre Majesté doit découvrir avec peine qu'elle ne pourra prendre aucun parti sur le nombre des députés du tiers-état, sans mécontenter une partie des trois ordres de la nation; et vos ministres, que l'on aime souvent à juger avec sévérité, ne doivent pas se dissimuler les difficultés qui les attendent; mais leur devoir n'est pas moins d'exprimer leurs sentimens avec la plus parfaite vérité.

C'était sans doute une grande tâche que d'avoir à présenter aux Etats-Généraux l'em-barras des affaires et les divers moyens qui pouvaient rétablir les finances; mais, avec de l'harmonie, cette tâche s'allégeait à mes yeux. Faut-il, à l'aspect des désunions qui s'élèvent, commencer à perdre courage! non, sans doute, il s'en faut bien; mais il est permis d'être péniblement affecté de ces nouveaux obstacles.

L'on compte en faveur de l'opinion qui réduit le nombre des députés du tiers-état à la moitié des représentans des deux autres ordres réunis, 1o la majorité décidée des notables; 2o une grande partie du clergé et de la noblesse; 3o le vœu prononcé de la noblesse

de Bretagne; 4° le sentiment connu de plusieurs magistrats, tant du conseil du Roi que des Cours souveraines; 5° une sorte d'exemple tiré des Etats de Bretagne, de Bourgogne et d'Artois, assemblées divisées en trois ordres, et où cependant le tiers-état est moins nombreux que la noblesse et le clergé; 6o enfin, plusieurs princes du sang dont les sentimens se sout manifestés d'une manière positive:

On voit, d'un autre côté, en faveur de l'admission du tiers-état dans un nombre égal à celui des deux autres ordres réunis, 1o l'avis de la minorité des notables, entre lesquels on compte plusieurs personnes distinguées par leur rang dans la noblesse et dans le clergé ; 2o l'opinion de plusieurs gentilshommes qui n'étaient pas dans l'assemblée des notables; 3o le vœu des trois ordres du Dauphiné; 4° la demande formée par diverses commissions ou bureaux intermédiaires des administrations provinciales, demande que ces administrations auraient vraisemblablement appuyée, si elles avaient tenu leurs séances cette année; 5o l'induction qu'on peut tirer de l'ancienne constitution des Etats de Languedoc, et de la formation récente des Etats de Provence et du Hainaut, où le tiers-état est en nombre égal aux deux autres ordres; 6o le dernier arrêté du parlement de Paris, où, sans prononcer surl'égalité du nombre entre le tiers-état et les deux autres ordres, le parlement s'explique de la manière suivante : « A l'égard du nombre, celui des députés respectifs n'étant déterminé par aucune loi, ni par aucun usage constant pour aucun ordre, il n'a été ni dans le pouvoir, ni dans l'intention de la cour d'y suppléer; ladite cour ne pouvant, sur « cet objet, que s'en rapporter à la sagesse du « Roi sur les mesures nécessaires à prendre pour parvenir aux modifications que la rai« son, la liberté, la justice et le vœu général peuvent indiquer. » 7° Enfin, et par-dessus tout, les adresses sans nombre des villes et des communes du royaume, et le vœu public de cette vaste partie de vos sujets connue sous le nom de tiers-état.

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Je pourrais ajouter encore ce bruit sourd de l'Europe entière, qui favorise confusément toutes les idées d'équité générale. Après avoir rapproché les autorités pour et contre, et les divers appuis de deux opinions si opposées, je rappellerai, en peu de mots, à Votre Majesté, les différens motifs qui peuvent éclairer sa décision. Et d'abord l'on cite contre l'admission régulière du tiers-état dans un nombre égal aux deux premiers ordres réunis, l'exemple de 1614 et de plusieurs tenues d'états précédens les lettres de convocation portaient, un de chaque ordre. On représente que si Votre Majesté se croyait en droit de changer cet ordre de choses, on ne saurait déterminer la mesure des altérations que le Souverain pourrait apporter aux diverses parties

constitutives des Etats-Généraux. Votre Majesté, ayant assemblé les notables de son royaume, et leur ayant demandé leur avis, trouve. rait sûrement une sorte de satisfaction et de convenance à suivre l'opinion qu'ils ont adoptée, à la grande pluralité des voix; il serait agréable à Votre Majesté de pouvoir donner une marque de déférence à une assemblée composée de personnes recommandables à tant de titres, et qui, en discutant les questions soumises à leur examen, se sont livrées avec zèle et sincérité à la recherche du point de décision le plus juste et le plus conforme au bien de l'Etat. L'on ajoute qu'en ne ménageant pas les droits ou les prétentions des deux premiers ordres, l'on contrarie les anciens principes du Gouvernement français, et l'on blesse, en quelque manière, l'esprit de la monarchie.

On peut dire que ces deux premiers ordres sont liés au souverain par leur supériorité même sur le troisième, puisque cette supériorité est maintenue par toutes les gradations d'états dont le monarque est à la fois le conservateur et le dernier terme. On présume que le tiers-état, en mettant un grand intéret à être égal en nombre aux députés des deux premiers ordres, annonce le dessein d'amener les Etats-Généraux à délibérer en commun. On observe, dans un autre sens, que si ce genre de délibération devenait convenable en certaines occasions, on rendrait plus incertain l'assentiment des deux premiers ordres à une pareille disposition, si le nombre des députés du tiers-état était égal à celui des deux premiers ordres. On demande ce qu'il faut de plus au tiers-état que l'abolition des priviléges pécuniaires, et l'on annonce cette abolition comme certaine, en citant le vœu formel à cet égard d'un grand nombre de notables dans la noblesse et dans le clergé. On croit que le tiers-état, et alors on l'appelle le peuple, est souvent inconsidéré dans ses prétentions, et

il

la première une fois satisfaite, une suite d'autres demandes pourront se succéder, et nous approcher insensiblement de la démocratie. On met trop d'importance, dit-on, quelquefois, aux réclamations du tiers-état; il est considérable en nombre; mais, épars et distrait par diverses occupations lucratives, ne prend aux questions politiques, qu'un intérêt momentané; il a besoin d'être soutenu par des écrits, et il se lasse de la continuation des mêmes débats. Les deux premiers ordres, comme toutes les associations dont l'étendue est circonscrite, sont, au contraire, sans cesse éveillés par l'intérêt habituel qui leur est propre: ils ont le temps et la volonté de s'unir, et ils gagnent insensiblement des voix par l'effet de leur crédit et par l'ascendant de leur état dans le monde. On fait des calculs sur le nombre des citoyens qui composent le tiersétat, et l'on resserre ce nombre en séparant de sa cause, ou plutôt de son parti, tous ceux

qui, par ignorance ou par misère, ne sont que les serviteurs des riches de tous les états, et se montrent absolument étrangers aux contestations politiques. Peut-être même que la plupart des hommes de cette dernière classe seraient plus à la suite des seigneurs ecclésiastiques et laïcs, avec lesquels ils ont des liens de dépendance, qu'ils ne seraient attachés aux citoyens qui défendent les droits communs de tous les non-privilégiés. Les deux premiers ordres, qui n'ont rien à acquérir, et qui sont contens de leurs priviléges et de leur état politique, ont moins d'intérêt que le tiers-état à la réunion des trois ordres en Etats-Généraux. Ainsi, s'ils n'étaient pas entraînés par un sentiment public, équitable et généreux, ils adopteraient facilement les mesures qui éloigneraient, par des oppositions ou par tout autre moyen, la tenue de ces Etats. Enfin, les deux premiers ordres connaissent mieux que le troisième la cour et ses orages; et, s'ils le voulaient, iis concerteraient avec plus de sûreté les démarches qui peuvent embarrasser le ministère, fatiguer sa constance, et rendre sa force impuissante.

Je crois avoir indiqué les principales considérations qui peuvent favoriser auprès du Roi les prétentions contraires à la demande du tiers-état; je vais parcourir de même, en abrégé, celles qui en doivent être l'appui : elles fixeront pareillement l'attention de Votre Majesté. On accuse le tiers-état de vouloir empiéter sur les deux premiers ordres, et il ne demande qu'autant de réprésentans, autant de défenseurs pour les communes soumises à toutes les charges publiques, que pour le nombre circonscrit des citoyens qui jouissent de priviléges ou d'exceptions favorables. Il resterait encore aux deux premiers ordres tout l'ascendant qui naît de la supériorité d'état, et les diverses grâces dont ils sont les distributeurs, soit par leurs propres moyens, soit par leur crédit à la cour et près des ministres. Cette dernière observation est tellement juste, que dans les assemblées d'Etat, où les trois ordres délibèrent quelquefois en commun, il est connu par expérience qu'aux momens où le tiers-état se sent intimidé par l'opinion de ceux qu'il est dans l'habitude de respecter, il demande à se retirer dans sa chambre, et c'est en s'isolant ainsi qu'il reprend du courage et retrouve ses forces. Le titre des lettres de convocation de 1614, et précédentes assemblées nationales, est contraire à la demande du tiers-état; mais les faits y sont favorables, puisqu'en réalité, le nombre des députés de cette classe de citoyens a toujours passé la troisième partie du nombre général des députés. Au commencement du 14° siècle, Philippe-le-Bel, guidé par une vue simplement politique, a pu introduire le tiers-état dans les assemblées nationales; Votre-Majesté, à la fin du 18o, déterminée seulement par un senti

ment d'équité, n'aurait-elle pas le droit de satisfaire au vœu général des communes de son royaume, en leur accordant un petit nombre de représentans de plus qu'elles n'ont eu à la dernière tenue, époque loin de nous de près de deux siècles? Cet intervalle a apporté de grands changemens à toutes choses. Les richesses mobilières et les emprunts du gouvernement ont associé le tiers-état à la fortune publique; les connaissances et les lumières sont devenues un patrimoine commun; les préjugés se sont affaiblis; un sentiment d'é quité général a été noblement soutenu par les personnes qui avaient le plus à gagner au maintien rigoureux de toutes les distinctions. Partout, les ames se sont animées, les esprits se sont exhaussés, et c'est à un pareil essor que la nation doit en partie le renouvellement des Etats-Généraux. Il n'eût point eu lieu, ce renouvellement, si, depuis le prince jusqu'aux sujets, un respect absolu pour les derniers usages eût paru la seule loi. L'ancienne délibération par ordre ne pouvant être changée que par le concours des trois ordres et par l'approbation du Roi, le nombre des députés du tiers-état n'est jusque-là qu'un moyen de rassembler toutes les connaissances utiles au bien de l'Etat, et l'on ne peut contester que cette variété de connaissances appartient surtout à l'ordre du tiers-état, puisqu'il est une multitude d'affaires publiques dont lui seul a l'instruction, telles que les transactions du commerce intérieur et extérieur, l'état des manufactures, les moyens les plus propres à les encourager, le crédit public, l'intérêt et la circulation de l'argent, l'abus des perceptions, celui des priviléges, et tant d'autres parties dont lui seul a l'expérience. La cause du tiersétat aura toujours pour elle l'opinion publique, parce qu'une telle cause se trouve liée aux sentimens généreux, les seuls que l'on puisse manifester hautement. Ainsi, elle sera constamment soutenue, et dans les conversations, et dans les écrits, par les hommes animés et capables d'entraîner ceux qui lisent ou qui écoutent. Votre Majesté a été touchée de l'amour, de la confiance, de l'abandon dont le tiers-état fait profession pour elle dans toutes les supplications des villes et des communes qui lui ont été adressées. Votre Majessé a sans doute d'autres manières de répondre à tant de dévouement que par l'admission des députés du tiers-état aux Etats-Généraux dans un nombre plus ou moins étendu; cependant il est juste, naturel et raisonnable que Votre Majesté prenne en considération particulière l'intérêt qu'une si nombreuse partie de ses sujets attache à la décision de cette question. On dit que dans l'assemblée des Etats-Généraux, les deux premiers ordres examineront la pétition du tiers-état, et que peut-être alors ils y accéderont; mais si, selon l'avis de plusieurs publicistes et selon l'arrêté du parle

ment de Paris, le nombre respectif des trois ordres, opinant séparément, peut être légitimement déterminé par le Roi, serait-il absolument égal que le tiers-état obtint de Votre Majesté, où des deux autres ordres de son royaume, le succès de ses sollicitations? et peut-il être indifférent à Votre Majesté d'être la première à lui accorder une justice ou un bienfait? Il est remarquable que le Languedoc, la Provence, le Hainaut, le Dauphiné, enverront nécessairement, selon leurs formes constitutives, autant de députés du tiers-état que des deux premiers ordres. Ces deux ordres n'ont pas fait attention, peut-être, que dans le tiers-état beaucoup de personnes sont associées, en quelque manière, aux priviléges de la noblesse; ce sont les habitans des villes connues sous le nom de villes franches, villes en très-grand nombre aujourd'hui, et où la taille n'existe plus, parce qu'elle y a été convertie en des droits sur les consommations, payés également par toutes les classes de citoyens. On peut supposer, contre la vraisemblance, que, les trois ordres venant à faire usage réciproquement de leurs droits d'opposition, il y eût une telle inaction dans les délibérations des Etats-Généraux, que, d'un commun accord, et sollicités par l'intérêt public, ils désirassent de délibérer en commun, fût-ce en obtenant du souverain que leur vou pour toute innovation exigeât une supériorité quelconque de suffrages. Une telle disposition, ou toute autre du même genre, quoique nécessitée par le bien de l'Etat, serait peut-être inadmissible ou sans effet, si les représentans des communes ne composaient pas la moitié de la représentation nationale. La déclaration généreuse que viennent de faire les pairs du royauine, si elle entraîne le suffrage de la noblesse et du clergé aux Etats-Généraux, assurera à ces deux ordres de l'Etat des hommages de reconnaissance de la part du tiers-état; et le nombre de ces hommages sera pour eux un tribut d'autant plus glorieux et plus éclatant. Cependant, lors même qu'il ne subsisterait aucune inégalité dans la répartition des impôts, il y aurait encore de la convenance à donner ly au tiers-état une représentation nombreuse, puisqu'il importerait que la sagesse des délibérations des Etats-Généraux, que la bonté et la justice du souveraiu fussent annoncées et expliquées, dans tout le royaume, par une diversité d'interprètes et de garans suffisante pour éclairer et pour affermir la confiance de vingt-quatre millions d'hommes. On place encore ici une réflexion : la défaveur auprès des deux premiers ordres peut perdre facilement un ministre. Les mécontentemens du troisième n'ont pas cette puissance; mais ils affaiblissent quelquefois l'amour public pour la personne du souverain. Enfin, le vœu du tiers-état, quand il est unanime, quand il est

conforme aux principes généraux d'équité, s'appellera toujours le vœu national; le temps le consacrera, le jugement de l'Europe l'encouragera, et le souverain ne peut que régler dans sa justice ou avancer dans sa sagesse ce que les circonstances et les opinions doivent amener d'elles-mêmes.

Votre Majesté, qui a lu attentivement tous les écrits remarquables publiés sur la question soumise à son jugement, aura présentes à l'esprit toutes les considérations qui ne lui sont pas rappelées dans ce mémoire.

Obligé, maintenant, pour obéir à ses ordres, de donner mon avis avec les autres ministres de Sa Majesté, sur l'objet essentiel traité dans ce moment, je dirai donc, qu'en mon ame et conscience, et en fidèle serviteur de Votre Majesté, je pense décidément qu'elle peut et qu'elle doit appeler aux EtatsGénéraux un nombre de députés du tiersétat égal en nombre aux députés des deux autres ordres réunis, non pour forcer, comme on paraît le craindre, la délibération par têtes; mais pour satisfaire le vœu général et raisonnable des communes de son royaume, dès que cela se peut sans nuire aux intérêts des deux autres ordres.

On a dit que, si les communautés envoyaient d'elles-mêmes un nombre de députés supérieur à celui qui serait déterminé par les lettres de convocation, on n'aurait pas le droit de s'y opposer. Que signifierait donc l'autorité du souverain, s'il ne pouvait pas mettre la règle à la place du désordre? car c'en serait un véritable, que la pleine liberté, laissée au tiers-état, de se conformer ou non aux lettres de convocation, pour le nombre de ses députés. La noblesse et le clergé, qui ont maintenant fixé leur attention sur la quotité respective du nombre des représentans de chaque ordre, ne manqueraient pas d'excéder aussi, dans leur députation, le nombre prescrit; et, par une rivale imitation, il arriverait peut-être aux Etats-Généraux une foule de députés qui produirait le désordre et la confusion.

Votre Majesté a des intentions droites, et ne veut que la justice envers tous, et le bonheur de ses peuples; et ce n'est pas selon la rigueur d'une ancienne forme et d'une forme diversement entendue, diversement interprétée, qu'elle voudra décider d'une question intéressante pour la tranquillité publique. Que l'on ait pris de vaines alarmes, que l'on conçoive de faux ombrages, Votre Majesté les dissipera, en se montrant le gardien des droits de tous les ordres de son royaume; elle ne se déterminera dans la question présente, que par un sentiment de justice; et ce même sentiment deviendra le garant de toutes les propriétés, et servira de défense à tous les ordres de l'Etat. Ce serait faire tort aux sentimens élevés de la noblesse, ce se

rait mal juger de l'esprit de justice et de paix qui appartient au clergé, d'imaginer une résistance de leur part à la décision que donnera Votre Majesté sur une question long-temps débattue, et dont le résultat ne doit conduire avec justice à aucune conséquence importante.

Proposition. Je crois que le nombre de mille députés, ou environ, est le plus convenable; il ne présente pas la crainte d'une trop grande confusion, et, en même temps, il devient nécessaire pour représenter suffisamment la nation, dans une circonstance si grave et si majeure, et où les plus grands intérêts de l'Etat pourront être traités.

Ce nombre des représentans des trois ordres devrait être réparti entre les grands bailliages, en raison combinée de lur population et de leurs contributions, et, en assignant un nombre proportionnel à chaque pays d'états, qui est dans l'usage de choisir les députés dans ses propres assemblées. La manière la plus raisonnable de répartir mille députés entre les différens ordres de l'Etat, serait peut-être d'en accorder deux cents à l'ordre du clergé, trois cents à l'ordre de la noblesse, et cinq cents aux communes du royaume; mais, comme Votre Majesté, sans le concours des Etats-Généraux, ne veut apporter aux anciennes formes que les changemens les plus indispensables, on propose à Votre Majesté de ne point s'écarter de la parité établie entre les deux ordres privilégies; et, alors, les mille députés qu'elle appellerait aux Etats-Généraux devraient être composés de deux cent cinquante du clergé, de deux cent cinquante de la noblesse, et de cinq cents du tiers-état.

On a rendu compte à Votre Majesté des diverses modifications qui pouvaient concilier ce doublement du tiers-état, avec une sorte de ménagement pour l'ancienne teneur des lettres de convocation; ces lettres appelaient aux Etats-Généraux un de chaque ordre. Ainsi, on aurait pu maintenir la même formule, en répartissant l'élection de la moitié des députés du tiers-état, entre les villes principales du royaume; mais l'avantage particulier que ces villes obtiendraient, deviendrait un sujet de jalousie pour toutes celles dont l'importance serait à peu près semblable, et cette même disposition pourrait encore exciter la réclamation des autres communautés du royaume. Quelques objections naîtraient aussi de ce que les trois ordres, se trouvant réunis et confondus dans les communes des villes, il faudrait, par des réglemens nouveaux et particuliers, séparer le tiers-état des autres classes de la société ; et, de pareils réglemens, appliqués à un nombre très-considérable de villes, entraîneraient de grands embarras et de grandes longueurs. Il était bien naturel et bien digne de la pro

tection que Votre Majesté accorde également à tous les ordres de son royaume, de chercher avec attention et avec suite tous les moyens qui pouvaient lui donner l'espérance de concilier leurs diverses prétentions et leurs différens intérêts; mais, dans la circonstance où se trouvent les affaires publiques, toute modification nouvelle qui n'aurait pas été motivée, ou par un principe évident de justice, ou par l'expression générale de l'opinion publique, exposerait peut-être à des contradictions difficiles à surmonter.

Votre Majesté en augmentant le nombre des députés du tiers-état aux assemblées nationales, cédera principalement à un sentiment d'équité; et, puisqu'en toutes choses, la manière la plus simple est la plus assortie à la dignité royale, c'est sous une telle forme qu'il faut livrer à la garde du temps une délibération qui fera quelque jour une des époques glorieuses du règne de Votre Majesté.

On proposerait donc à. Votre Majesté d'exprimer ses intentions dans les lettres de convocation même. On doit observer cependant que, si Votre Majesté veut accorder une députation particulière au très-petit nombre de villes qui ont joui de ce privilége, en 1614, il faudrait les astreindre pour leurs élections, aux dispositions qui seront suivies dans les bailliages, afin que le nombre des députés du tiers-état ne puisse jamais excéder le nombre des députés des deux premiers ordres.

Sur la troisième question. Chaque ordre doit-il être restreint à ne choisir des députés que dans son ordre?

Les lettres de convocation ayant toujours porté un de chaque ordre, annonçaient, par cette expression, que les députés choisis par un ordre, devaient en faire partie. Cependant, le parlement de Paris, aux termes de son arrêté du 5 décembre, semble penser que la plus parfaite liberté dans l'élection de chaque ordre est constitutionnelle. Il paraît donc douteux que, pour la prochaine assemblée des Etats-Généraux, l'on fût en droit de s'opposer à tel usage que chaque ordre pourrait faire de cette liberté; et cette considération doit engager le tiers-état à diriger son choix avec d'autant plus d'attention vers les personnes qui lui paraitront le plus dignes de sa confiance. La plus grande partie du tiers-état désire que ses députés soient nécessairement pris dans son ordre; mais si les électeurs, dans quelque bailliage, pensaient différemment, et préféraient, pour leur représentant, un membre de la noblesse, ce serait peut-être aller bien loin, que de s'élever contre une pareille nomination, du moment qu'elle serait l'effet d'un choix parfaitement libre. Le tiers-état doit considérer:

que les nobles choisis par lui, pour ses représentans, ne pourraient abandonner ses

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