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riels. Quant aux Cyniques, ils poussent la maxime socratique que moins on a de besoins, plus on est heureux, jusqu'à sa dernière exagération. Diogène se passe non pas seulement de luxe, mais des choses les plus nécessaires, afin de ressembler aux animaux, aux chiens, dont il adopte orgueilleusement le nom. Quand on le voit nu-pieds, n'ayant pour vêtement qu'un manteau, sans tuniques, c'est-à-dire sans chemise, dormant sur la terre, on comprend qu'un historien de la philosophie, M. Éd. Zeller, ait appelé les Cyniques « les capucins de l'antiquité. » Les Cyniques sont, en outre, des mendiants, du moins à partir de Diogène. De plus, ce sont des communistes. Diogène tend la main; mais il n'a aucune reconnaissance à ceux qui lui font l'aumône. Orgueilleux jusque dans sa pauvreté systématique, il prétend que ce qu'on lui donne lui appartenait d'avance, et que c'est au donateur à remercier le mendiant, parce que celui-ci rend service à l'autre, en lui fournissant l'occasion de restituer ce qu'il possède indûment sur le fonds commun. Ainsi, aux yeux du Cynique, il n'y a ni richesse individuelle légitime, ni luxe modéré permis, ni luxe immodéré défendu. Je le répète, les Cyniques n'ont aucun droit de figurer dans une discussion sur l'usage de la richesse et sur ce qu'on appelle le luxe, quelle que soit l'extension que l'on donne ou que l'on refuse à ce terme.

M. A. Himly se contente de présenter deux brèves observations. L'histoire, qu'on a invoquée de part et d'autre, lui paraît fournir des arguments également nombreux et également probants aux défenseurs et aux adversaires du luxe : si des peuples barbares ont plus d'une fois mis fin à des empires amollis par le luxe, on a vu peut-être plus souvent encore les états les plus adonnés au luxe triompher de leurs voisins barbares. Mais surtout il lui semble que la discussion entière ne saurait aboutir aussi longtemps qu'elle se maintient dans les généralités. Tout le monde est d'accord que dans une société civilisée il y a un luxe permis, même un luxe nécessaire; personne ne nie que l'exagération du luxe est un malheur public et privé; mais quant à fixer exactement le

point où commence cette exagération, cela lui paraît difficile dans les cas particuliers, impossible en théorie.

M. Maurice Block, sans vouloir aborder le fond de la question, fait remarquer que la discussion s'est occupée du luxe au point de vue moral plutôt qu'au point de vue économique qui paraissait d'abord l'avoir inspirée.

La peine de mort devant l'histoire et devant la science

Par M. Pierre BUJON, officier d'Académie

M. Charles Lucas: J'ai l'honneur de faire hommage à l'Académie, au nom de M. Pierre Bujon, d'un livre intitulé: La peine de mort devant l'histoire et devant la science. Ce livre a une véritable valeur, surtout sous le rapport historique. L'auteur qui est fort érudit, s'abstient de tout étalage d'érudition. Il expose avec exactitude les faits qu'il a puisés aux sources les plus autorisées.

I

Dans un remarquable avant-propos, il exprime ainsi le point de vue auquel il s'est placé :

« Montesquieu, dans « l'Esprit des lois » a dit que pour être profi<table, une réforme ne devait pénétrer dans la législation d'un pays << que lorsqu'elle avait atteint le caractère d'un esprit général. Cette <<< marche rationnelle a été préconisée depuis par tous les hommes sages << et éclairés.

« Profondément pénétré nous-mêmes de cette vérité, nous nous << sommes demandé comment, en ce qui concerne l'abolition de la peine « de mort, nous pourrions nous associer à la poursuite d'un résultat défi<< nitif. Il y a, en effet, trois grands moyens de contribuer aux progrès « sociaux créer, propager, consacrer.

« La création humaine, apanage du seul génie, ne devient guère << divulgable que secondée par l'action du temps. Les conceptions les << plus élevées, les plus utiles, qui sont appelées à exercer sur les desti« nées d'un pays, les effets les plus salutaires, ne naissent jamais par« faites du cerveau de l'homme.

« Le plus souvent confuses à leur origine, elles n'arrivent que gra<duellement à la lumière et ne prennent corps qu'avec le concours de

« discussions, de collaborations multiples, souvent anonymes, qui en << perfectionnent les formes, en expurgent les défectuosités. »

L'auteur indique ensuite comment l'esprit humain propage l'idée nouvelle et en obtient la consécration.

« C'est à l'œuvre de propagande, dit-il, que nous nous sommes voué « en nous livrant à cette étude analytique et historique sur la peine de « mort, et l'agitation qui, depuis un siècle, s'est manifestée en faveur a de son abolition.

« Ce travail n'a donc pas été entrepris pour édifier les savants; mais « pour essayer de répandre dans les couches populaires les saines << notions de la justice et du droit. >>

Et il ajoute : « Si cette vulgarisation atteignait les proportions que << nous appelons de tous nos vœux, si l'abolition de la peine de mort a devenait le desideratum de la majorité de nos concitoyens, c'est alors « que viendrait le rôle du législateur de consacrer cette grande réforme « de civilisation. >>

Le livre de M. Bujon comprend deux parties: la partie historique et la partie scientifique.

La première divise l'exposé historique de la peine de mort en trois titres, relatifs à la peine de mort devant l'histoire jusqu'à 1789; la peine de mort en France depuis 1789, et la peine de mort à l'étranger.

Le coup d'œil rapide que l'auteur trace dans le premier titre, sur « les << pratiques anciennes de la Justice criminelle, lui paraît révéler que « l'idée d'abolir la peine de mort est une revendication presque << moderne. Elle ne remonte pas, en effet, dit-il, au delà de la deuxième << moitié du XVIII° siècle, époque où tant d'esprits généreux sapaient de « leur plume puissante les fondements d'une organisation sénile.

« Un jeune penseur, originaire de Milan, âgé de vingt-quatre ans, << écrivit un petit livre qu'on ne lit plus aujourd'hui qu'à titre de docu<<ment historique, mais dont, pour l'époque, la hardiesse peut paraître << encore surprenante. Rien n'étonna plus César Beccaria, dit l'historien « Cantù, que l'effet produit par l'apparition de son livre.

« L'ouvrage des Délits et des peines, selon M. Bujon, qui, d'abord parut << à Monaco sans nom d'auteur, en 1764, n'est pas une théorie d'où

<< s'échappe un système propre. C'est, dit M. Hans, une bonne action << plutôt qu'un bon livre. Un grand progrès, continue M. Bujon, fut a alors accompli, le principe de l'intimidation fut épuré; mais celui de « l'amendement échappa à Beccaria, ainsi qu'aux encyclopédistes. Beccaria n'avait donc obéi qu'à des inspirations philanthropiques, et c'est << peut-être à son absence de profondeur philosophique et juridique que « le livre des Délits et des peines dut sa popularité. »

II

En arrivant en 1789 à la Révolution française, M. Bujon rappelle que ce fut dans les Mémoires fournis à la Société royale des Sciences et des Arts de Metz, en 1785, que Robespierre affirma tout d'abord ses convictions abolitionnistes.

« L'Assemblée constituante fut la première assemblée législative qui < se préoccupa de résoudre le redoutable problème de la suppression de < la peine de mort.

< En 1791, son comité de législation proposa résolument l'abolition « de la peine de mort pour les crimes de droit commun; mais au point « de vue de la sûreté de l'État il la maintenait en matière politique. » Aujourd'hui, au contraire, c'est en matière politique que l'échafaud est supprimé, et si en matière de droit commun il est maintenu; du moins l'exécution capitale qui, en 1789, était la règle est aujourd'hui l'exception et rien ne saurait arrêter dans son cours le développement progressif du mouvement abolitionniste en France.

Le mouvement abolitionniste n'est pas moins accentué à l'étranger, ainsi que le constate M. Bujon, en passant succinctement en revue les principaux États de l'Europe.

« Ce résumé historique, dit-il, nous fait assister au fâcheux spectacle << des versatilités de l'esprit humain lorsqu'il n'obéit qu'à des impres<<sions ou ne s'appuie que sur de faux principes. Rousseau, dans son << contrat social, ne contestait pas à la Société le droit de tuer et Beccaria demandait la disparition du bourreau au nom du même contrat « social. Le philanthrophe milanais ne faisait porter ses généreuses << revendications qu'en faveur des criminels de droit commun, gardant

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