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tillon, Contade, Belleisle et Saint-Fremont. Il arriva le 26 à quatre heures après midi, et le prince de Savoye une demi-heure après. Dès que le maréchal de Villars apprit qu'il arrivoit, il alla au-devant de lui, au haut du degré, lui faisant des excuses de ce qu'un estropié ne pouvoit descendre. Ils s'embrassèrent tous deux avec les sentiments d'une ancienne et véritable amitié, que les longues guerres et les différentes actions n'avoient pas altérée.

Le maréchal de Villars mena le prince Eugène dans son appartement, et, un quart d'heure après, ce prince vint rendre visite au maréchal de Villars. Il demeura chez lui une demi-heure, et, après être retourné quelque temps chez lui, il revint chez le maréchal et lui dit, les visites de cérémonie rendues : « J'avois impatience de rendre celle d'amitié, et j'aurois été bien fâché que vous eussiez pu me prévenir dans celle-là; › ajoutant que, puisqu'ils étoient si voisins, il ne pouvoit pas être plus longtemps sans en profiter.

Ils réglèrent ensuite leur journée, de manière qu'ils dinoient alternativement l'un chez l'autre, avec les principaux des deux partis, et que, tous les soirs, ils avoient un jeu.

Les premiers jours, ce fut au piquet, où le maréchal avoit gagné beaucoup d'argent au prince Eugène, à Vienne. Dans les commencements, la fortune favorisa le maréchal, à Rastatt, mais, comme la fortune au jeu peut à la fin produire quelque altération, le maréchal ne voulut plus jouer au piquet, et l'on convint d'un petit brelan très médiocre, qui se faisoit sur les six heures du soir chez le maréchal de Villars.

Son appartement étoit le plus grand et le plus com

mode. Le prince Eugène désira celui de la droite, parce que tout ce qui lui arrivoit de l'Empire entroit chez lui, de même que ce qui venoit de France entroit chez le maréchal de Villars sans passer dans les logements l'un de l'autre. Ainsi, les Impériaux et Allemands tenoient toute la droite du château et de la ville, et les François tenoient toute la gauche.

Dans les premières conférences, le prince Eugène dit très naturellement au maréchal de Villars que l'empereur vouloit sincèrement la paix, mais qu'il étoit obligé aux égards convenables avec l'Empire; que, pour lui, il étoit persuadé que, si du côté de son maître on n'avoit eu d'autre objet que d'amuser, un autre que lui auroit été chargé de la commission, et cela étoit d'autant plus vraisemblable que le prince de Savoye, comme le plus ancien conseiller d'État, étoit naturellement premier ministre, qu'il n'y avoit que ces seules commissions sérieuses et importantes qui pussent le porter à vouloir s'éloigner de son maître.

Les premières conférences furent si vives et si sérieuses de part et d'autre, quoique toute la politesse et tous les termes de respect et de vénération fussent employés réciproquement pour le roi et pour l'empereur, que l'on auroit pu penser que ces deux généraux n'auroient pas été deux jours ensemble.

Le prince Eugène dit que les ministres de l'électeur palatin avoient toujours fait entendre que les premières avances pour la paix venoient du côté de la France. Le maréchal répondit que l'on s'en rapportoit à la probité du baron de Hundheim, qui, ayant désiré de se rendre auprès du maréchal de Villars où le s' Becker, autre ministre de l'électeur palatin, étoit depuis les premiers

jours de la campagne, il leur avoit été permis d'y venir, mais en leur déclarant hautement que jamais le roi n'abandonneroit les intérêts des électeurs de Bavière et de Cologne, et qu'il ne feroit point de paix que les dernières conquêtes ne lui demeurassent; que ces discours avoient sans doute passé à la cour de Vienne, et que, si elle avoit trouvé les propositions inadmissibles, apparemment les conférences n'auroient pas commencé.

Les intérêts de Mme des Ursins1 furent rejetés avec beaucoup de dédain par le prince de Savoye, et, autant il avoit de politesse dans sa conversation, autant marquoit-il de hauteur pour la dignité de son maître.

Pour le maréchal de Villars, il évitoit ce qui paroissoit uniquement hauteur, et s'en tenoit à la fermeté. Quant à ce qui concernoit Mme des Ursins, le prince Eugène dit au maréchal : « Si le roi d'Espagne demandoit une souveraineté pour un premier ministre ou pour un général auquel il eût d'aussi grandes obligations qu'à vous, l'empereur n'en seroit pas surpris, mais de la demander pour cette dame, vous me pardonnerez de vous en faire paroître mon étonnement. ›

Il arriva deux ou trois fois que le prince de Savoye dit : « Nous n'avons qu'à nous séparer. » — « C'est au moins, » dit le maréchal de Villars, « une grande satisfaction pour moi d'avoir passé deux jours avec l'homme

1. On sait que la célèbre camerara-major de la reine MarieLouise d'Espagne, l'énergique et utile confidente de Philippe V, Anne-Marie de la Trémoille, princesse des Ursins, avait obtenu des deux rois qu'une des conditions de la paix fût la création, dans les Pays-Bas, d'une principauté indépendante dont elle aurait eu la souveraineté sa vie durant.

du monde pour lequel j'ai l'attachement le plus vif. » Quand on parloit des moyens de soutenir la guerre: « Ils vous manqueront assurément, » disoit le prince, < pour nous, je vous assure que nous la commençons toujours sans argent. » A cela, le maréchal de Villars répondit : « Pauvres états de l'empire, on ne vous demande pas votre avis sur de tels projets! La France du moins n'a guère mis la nappe. »

Le 3 décembre, le maréchal dépêcha un courrier au roi, pour le supplier que ses intentions fussent clairement marquées, en sorte qu'en demandant plus qu'on ne pouvoit obtenir il ne fût pas obligé de rompre légèrement, et que, sur les articles, il fût dit positivement : Article que l'on doit ménager, article sur lequel on doit rompre plutôt que de se relâcher.

Cependant le prince de Savoye n'éloignoit aucune troupe, et laissoit toutes celles qui étoient sous ses ordres à portée de se rassembler en quatre jours. Sur cette disposition, le maréchal de Villars conserva aussi un grand nombre de troupes sur la Lutter. Le 5, il manda au roi que les dix premiers jours des conférences s'étoient passés à paroître d'un moment à l'autre près de se séparer, et qu'enfin, insistant avec force sur la conservation des dernières conquêtes, comme sur le rétablissement entier des électeurs, et le prince Eugène les refusant totalement, il étoit convenu cependant que l'on traiteroit sur la base de la paix de Riswick.

Sur tout le reste, il fut dit que l'on attendroit des ordres ultérieurs des cours de France et de Vienne. Dès ce jour là, il ne fut plus question de séparation si subite, et l'on travailla sur le plan de la paix de Riswick.

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Un des articles sur lesquels le maréchal de Villars insista le plus étoit le dédommagement des électeurs. < Mais, répondit le prince de Savoye, « demander le rétablissement des électeurs, et en même temps des dédommagements qui ne se peuvent jamais prétendre en faveur de princes qui ont attaqué l'empereur et l'Empire, c'est vouloir rompre. Ainsi il vaut mieux que ce soit aujourd'hui que demain. » Il ajouta que l'électeur de Saxe, qui avoit moins manqué à l'empereur que l'électeur de Bavière, son gendre, n'avoit jamais pu être rétabli; que l'électeur palatin, dans le temps que les armées de France et de Suède partageoient l'Empire, n'avoit pu de même obtenir son rétablissement qu'en perdant le haut Palatinat, et en créant un huitième électorat.

Sur cela, le maréchal prit la liberté de mander au roi que sa gloire étant pleinement satisfaite par le rétablissement entier des électeurs et par la cession de Landau fortifié, il lui paroissoit plus juste de songer aux intérêts de Sa Majesté, que de faire des demandes qui paroissoient contre la dignité de l'empereur et de l'Empire, et que, s'il étoit possible de lui donner la loi, espérance sur laquelle on ne pouvoit entièrement compter, il falloit retirer des avantages considérables pour le roi et pour la France. On verra mieux tout ce détail important par la lettre même du maréchal.

Lettre du maréchal de Villars au roi, du 5 décembre 1713. Sire,

Voici la dixième journée qui se passe en disputes fréquentes, et très vives, entre M. le prince Eugène et moi, ne voulant, de ma part, discuter aucune matière que préalablement Landau fortifié ne soit laissé à Votre Majesté, et M. le prince Eugène

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