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Que faut-il décider des réparations qui étaient devenues nécessaires au moment où l'usufruitier fait l'abandon de l'usufruit? Sur ce point il y a une grande divergence d'opinions. Pothier n'hésite pas à décider que l'usufruitier peut se décharger des réparations survenues pendant le temps de sa jouissance, en abandonnant l'usufruit pour le passé, c'est-à-dire qu'il devra restituer les fruits qu'il a perçus (1). Nous croyons que cette opinion doit encore être suivie sous l'empire du code. Elle découle logiquement de ce principe que tous les auteurs admettent, que l'usufruitier n'est pas obligé personnellement, qu'il ne l'est qu'à cause de la chose; s'il abandonne cette chose avec tous les fruits qu'il en a retirés, la cause de son obligation cesse et, la cause cessant, l'effet doit aussi cesser. Toutefois il y a quelque doute. L'adage ne reçoit pas d'application aux effets déjà produits. Or, dans l'espèce, l'effet était si bien produit que l'usufruitier pouvait être actionné devant les tribunaux et contraint à remplir l'obligation que la loi lui impose. Il y a une réponse à l'objection, et elle est péremptoire. Oui, l'usufruitier pouvait être poursuivi, mais il pouvait l'être, non comme débiteur personnel, il ne l'est pas; il ne pouvait donc être actionné qu'à cause de la chose qu'il détient; s'il l'abandonne, la base de l'action qui appartient au nu propriétaire fait défaut. Il faut ajouter, comme Pothier le dit, que les réparations sont une charge des fruits; si l'usufruitier abandonne les fruits, l'obligation d'entretien n'a plus de raison d'être. Aussi les auteurs qui soutiennent l'opinion contraire sont-ils très-embarrassés pour préciser la cause juridique de l'obligation dont l'usufruitier, selon eux, ne peut pas se décharger. L'un dit que l'usufruitier est tenu en vertu d'un quasi-contrat (2). Un quasi-contrat se forme sans concours de consentement, mais le fait qui y donne naissance est assimilé à un contrat; il y a donc, dans les quasi-contrats aussi bien que dans les contrats, un débiteur personnel. Or, nous venons de dire que, de l'aveu de tous les auteurs, l'usufruitier n'est pas débiteur

(1) Pothier, Du douaire, no 237. Voyez, dans le même sens, les auteurs cités par Dalloz, au mot Usufruit, no 530.

(2) Bugnet sur Pothier, t. VI, p. 414, note 2.

personnel, ce qui décide la question en sa faveur. Aussi Demolombe n'ose-t-il pas affirmer que l'usufruitier soit tenu en vertu d'un quasi-contrat; il dit que l'usufruitier, en acceptant l'usufruit, s'oblige à faire les réparations par une sorte de quasi contrat (1). Voilà une source d'obligations que le code ignore : il y a des quasi-contrats, mais nous ne connaissons pas des sortes de quasi-contrats. Bannissons les vains sons de mots d'une science qui est logique par excellence.

548. L'article 605 dit que les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire. » Comment faut-il entendre cette disposition? Cela veut-il dire que l'usufruitier a une action contre le nu propriétaire pour le contraindre à faire ces réparations? Si la question pouvait être décidée d'après la rigueur des principes, tels que les jurisconsultes romains les professaient, tels que Pothier les enseignait, il faudrait décider; sans doute aucun, que le nu propriétaire ne peut pas être forcé à faire les grosses réparations. En effet, l'usufruit est une servitude; or, le propriétaire du fonds servant est tenu à souffrir ou à ne pas faire; jamais il n'est tenu à faire. Cela est décisif : l'usufruitier est propriétaire du fonds servant, donc il est seulement tenu à laisser jouir l'usufruitier, il n'est pas tenu à faire quoi que ce soit. La jurisprudence est en ce sens ainsi que la plupart des auteurs (2). Nous croyons que cette opinion est contraire au texte précis de la loi, ce qui doit la faire rejeter quoiqu'elle soit fondée sur les vrais principes. L'article 605 est formel. Dire que les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire, c'est dire qu'il doit les supporter; s'il ne devait pas les supporter, il n'y aurait pas de charge: Voilà certes le sens littéral de la loi. Est-ce que l'expression à la charge a peut-être un autre sens en droit? Nous la rencontrons dans l'article 664, au titre des Servitudes; il y est dit que lorsque les étages

(1) Demolombe, t. X, p. 516, no 579.

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(2) Voyez les autorités dans Aubry et Rau, t. II, p. 506 et note 2, et dans Dalloz, au mot Usufruit, no 531. Il faut ajouter un arrêt de Toulouse du 9 février 1865 (Dalloz, 1866, 2, 19), et de Liége du 30 juin 1841 (Pasicrisie, 1841, 2, 300).

d'une maison appartiennent à divers propriétaires, les gros murs et le toit sont à la charge de tous; dans ce cas, il est hors de doute que chacun des copropriétaires peut être contraint à réparer les gros murs et le toit. Pourquoi les mots à la charge auraient-ils dans l'article 605 un autre sens que dans l'article 664? Ce n'est pas le seul. L'article 655, toujours au titre des Servitudes, dit que la réparation et la reconstruction du mur mitoyen sont à la charge de tous ceux qui y ont droit; et il n'est pas contesté que cela veut dire que tous sont tenus de supporter les frais de ces réparations. L'article 682, encore au titre des Servitudes, dit que le propriétaire enclavé peut demander un passage sur les fonds de ses voisins, à la charge d'une indemnité; ce qui veut bien dire qu'il doit la payer. Cette expression a donc dans le code le sens qu'elle a dans le langage ordinaire: elle implique une obligation. Y a-t-il des motifs pour admettre que dans l'article 605 elle ait une signification exceptionnelle, qu'elle dise le contraire de ce qu'elle veut dire? Car c'est bien là ce que l'on soutient la loi dit que les réparations sont à la charge du propriétaire, et les interprètes lui font dire qu'elles ne sont pas à sa charge.

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Rien de plus faible que ce que l'on dit à l'appui de cette singulière interprétation. L'article porte que les grosses réparations demeurent à la charge du nu propriétaire. Cela signifie, dit-on, qu'elles restent après la constitution de l'usufruit ce qu'elles étaient avant, une charge de la propriété, en ce sens que le propriétaire peut les faire où ne pas les faire, à sa guise. Nous demanderons si jamais un jurisconsulte a dit que le propriétaire ait des charges? Et le bon sens permet-il de dire que les grosses réparations sont une charge pour le propriétaire, alors qu'il est libre de ne pas les faire? Il y a une autre explication tout aussi étrange. Le code dit : les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire. Cela signifie, dit-on, que l'usufruitier ne doit pas les faire. Si c'est là le sens de cette disposition, elle était parfaitement inutile, car le législateur venait de dire que l'usufruitier n'est tenu qu'aux réparations d'entretien, ce qui signifie certainement qu'il

n'est pas tenu de supporter d'autres réparations. Nous demanderons de nouveau si un jurisconsulte peut admettre que dans un premier alinéa la loi dise: l'usufruitier n'est pas tenu des grosses réparations, et qu'elle répète la même chose dans le second? L'on insiste et, pour se tirer d'embarras, on prétend que le code ne traite pas des obligations du nu propriétaire, que son unique objet est de déterminer les obligations de l'usufruitier. S'il en est ainsi, pourquoi le code parle-t-il du nu propriétaire? Il est inouï que, voulant décider que l'usufruitier n'est pas tenu des grosses réparations, le législateur exprime sa pensée en disant que ces réparations sont à la charge du propriétaire. N'était-il pas plus simple de dire : L'usufruitier doit faire les réparations d'entretien, il n'est pas tenu des grosses réparations? Au lieu de cela, le législateur dit dans un premier alinéa : L'usufruitier n'est tenu qu'aux réparations d'entretien. Puis, dans un second alinéa, il parle du propriétaire et dit que les grosses réparations demeurent à sa charge. N'est-ce pas déclarer bien clairement que les réparations se partagent entre le propriétaire et l'usufruitier, de même que l'un et l'autre contribuent à certaines charges qui pèsent tout ensemble sur la nue propriété et sur l'usufruit?

Quand la loi est claire, l'interprète n'a pas le droit de la rendre obscure, pour aboutir à lui faire dire le contraire de ce qu'elle dit. Il y a encore un autre texte tout auss décisif. L'article 607 dit que le propriétaire n'est pas tenu de rebâtir ce qui est tombé de vétusté ou ce qui a été détruit par cas fortuit. Si, comme on le prétend, le nu propriétaire n'est jamais tenu à faire, si l'article 605 signifie qu'il ne peut être forcé à faire les grosses réparations, alors il est plus qu'évident qu'il n'est pas tenu de rebâtir ce qui tombe de vétusté ou ce qui périt par accident; et partant l'article 607 n'a plus de sens en ce qui concerne le nu propriétaire. En effet, nous le demandons de nouveau à tout jurisconsulte: conçoit-on que dans un premier article le législateur dise: le nu propriétaire n'est jamais tenu à faire; puis qu'il ajoute immédiatement que le nu propriétaire n'est pas tenu de rebâtir? Il suit de là que le but de

l'article 607 n'est pas d'appliquer une règle, le but est de déroger à une règle; c'est une exception, et toute exception implique une règle contraire à ce qui est dit dans la disposition exceptionnelle. Or, l'article dit que le propriétaire n'est pas tenu de rebâtir, donc il est tenu à faire; à faire quoi? les grosses réparations dont il vient d'être traité dans les articles 605 et 606.

Il y a une objection très-sérieuse contre l'opinion que nous soutenons. L'article 600 dit que l'usufruitier prend les choses dans l'état où elles sont. C'est dire qu'à l'ouverture de l'usufruit il n'a aucune action contre le nu propriétaire pour le forcer à faire les réparations quelconques qui seraient nécessaires : voilà l'application du principe romain en vertu duquel le propriétaire du fonds servant n'est jamais obligé à faire. Conçoit-on qu'après avoir dit dans l'article 600 que le nu propriétaire n'est pas tenu à faire, le législateur dise dans l'article 605 qu'il est tenu à faire? Il y aurait contradiction, que nous renverrions l'objection au législateur. C'est son affaire, ce n'est pas celle de l'interprète. Dans notre opinion, l'article 607 déroge aux principes romains; il faut entendre l'article 600 dans le même sens. En d'autres termes, il n'y est pas question des grosses réparations, celles-ci sont réglées par l'article 605. Dans l'article 600, il n'est question que des réparations que l'usufruitier est tenu de faire, c'est-à-dire des réparations d'entretien, et le but de l'article est de prévenir les difficultés qui pourraient s'élever à la fin de l'usufruit sur les réparations que l'usufruitier aurait négligé de faire, c'est-à-dire les réparations d'entretien. A cet effet, la loi veut que l'on dresse un état des biens; s'il est constaté que les biens sont dans un mauvais état au commencement de l'usufruit, l'usufruitier les rendra dans un mauvais état. Le texte ne peut pas s'appliquer aux grosses réparations, puisque l'usufruitier n'y est pas tenu. Nous arrivons à cette conclusion qui n'est pas logique, mais qui résulte de la loi. Y a-t-il des réparations d'entretien à faire lors de l'ouverture de l'usufruit, l'usufruitier n'a aucune action de ce chef contre le nu propriétaire; mais si le défaut de réparations rend une grosse réparation nécessaire, le nu propriétaire

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