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sur lequel brûlerait un feu perpétuel, la Commune arrêta «< qu'aucun signe matériel ne serait élevé dans aucun temple (1) ».

Le même jour, aux Jacobins, Robespierre, fort de l'appui de Danton, avait commencé l'attaque contre le culte de la Raison et prononcé son célèbre discours en faveur des idées religieuses.

La Commune résolut alors de brusquer les choses, de sauter le pas plus tôt qu'elle ne l'aurait fait et de tâcher d'entraîner décidément l'opinion en frappant un grand coup, c'est-à-dire en déclarant le catholicisme déchu à Paris.

Le 3 frimaire, Chaumette prit occasion d'une lettre de Laval (où deux commissaires de la Commune exposaient les crimes des prêtres contre la patrie) pour dénoncer une conspiration cléricale à Paris :

« Vous avez, dit-il, proscrit les femmes publiques, vous avez opéré un grand bien pour l'avancement des mœurs. Eh bien! que font ces femmes aujourd'hui ? Stimulées par les prêtres, elles se sont données à la dévotion; le fanatisme est substitué à la débauche; elles vont dans les temples, elles font des rassemblements dans des maisons particulières avec des prêtres, pour exciter ainsi parmi nous la guerre civile. Les prêtres sont capables de tous les crimes : ils se servent du poison pour assouvir leur vengeance; ils feront des miracles, si vous n'y prenez garde; ils empoisonneront les plus chauds patriotes;

(1) Les articles de Salaville, dont nous parlons plus loin, ne furent sans doute pas étrangers à cet arrêté.

ils mettront le feu à la maison commune, à la trésorerie nationale; ils renouvelleront les mines, et, quand ils verront brûler leurs victimes, ils diront que c'est la justice du ciel qui les punit. >>

Cette déclamation est véhémente; mais remarquez qu'il ne s'y mêle aucune hardiesse philosophique. Chaumette attaque plutôt les prêtres que le dogme. C'est un aveu implicite que les consciences à Paris ne sont pas encore mûres pour une radicale rénovation. Néanmoins il requiert l'expulsion totale du catholicisme hors des temples et fait prendre l'arrêté suivant :

<< Attendu que le peuple de Paris a déclaré qu'il ne reconnaissait d'autre culte que celui de la Vérité et de la Raison, le Conseil général de la Commune arrête : 1o que toutes les églises ou temples de toutes religions et de tous cultes qui ont existé à Paris seront sur-le-champ fermés; 2° que tous les prêtres ou ministres de quelque culte que ce soit demeureront personnellement et individuellement responsables de tous les troubles dont la source viendrait d'opinions religieuses; 3° que celui qui demandera l'ouverture, soit d'un temple, soit d'une église, sera arrêté comme suspect; 4° que les Comités révolutionnaires seront invités à surveiller de bien près tous les prêtres; 5° qu'il sera fait une pétition à la Convention pour l'inviter à porter un décret qui exclue les prêtres de toute espèce de fonction publique ainsi que de tout emploi dans les manufactures d'armes. >>

CHAPITRE VI

Le culte de la Raison dans les sections de Paris.

Nous avons indiqué plus haut comment plusieurs sections, celles des Droits de l'Homme, de Beaurepaire, du Muséum, des Champs-Élysées, BonneNouvelle, de la Fraternité, de l'Homme-Armé, de la Réunion, de Mucius-Scévola, de l'Arsenal, des QuinzeVingts, de Montreuil, de la Maison-Commune et de la Fontaine de Grenelle, adhérèrent au mouvement de déchristianisation. Mais il ne s'agissait là que du début de ce mouvement, des premières impressions, des premières attitudes. Dans l'organisation, la propagation et le maintien du culte de la Raison, les sections jouèrent un rôle considérable, sous l'autorité et l'impulsion de la Commune de Paris, dont le Conseil général prit, le 1er pluviôse, l'arrêté suivant :

<< Le Conseil général arrête: 1° que tous les mois, il se rendra au temple de la Raison, pour y faire lecture des lois et du recueil des actes de vertus civiques, morales et guerrières; 2° que les présidents des quarante-huit sections seront invités à en agir de même tous les décadis; 3° que l'administra

teur des travaux publics présentera incessamment au corps municipal l'état des bâtiments à la disposition de la commune, afin qu'il en soit assigné un à chaque section, pour son temple de la Raison (1). »

C'est la section de Guillaume-Tell (2) qui montra, en cette matière, le plus de zèle et de fidélité, jusqu'à exercer un véritable apostolat.

Elle transforma l'église paroissiale en Temple de Morale, et inaugura ce temple, en grande pompe, le 30 brumaire an II. Il n'y eut point là de déesse de la Raison. On se borna à placer une statue de la Liberté sur le maître-autel et, au son de la Marseillaise, il fut fait un autodafé des objets qui avaient servi au culte catholique.

Le citoyen Etienne Barry prononça un discours à peu près athée, mais fort tolérant :

<«< Nous ne nous battrons plus, dit-il, pour Jéhovah ou pour Baal, pour la religion de Mahomet voyageant de la terre à la lune, monté sur są jument, ou pour celle de Jésus, fils de Dieu, Dieu lui-même et homme tout ensemble, né dans une étable, d'une vierge mortelle, non par l'opération de Joseph, son mari, mais par celle du Saint-Esprit, mort sur une croix devant tout le monde et ressuscité trois jours après

(1) Moniteur, XIX, 262.

(2) La section de Guillaume-Tell, ci-devant du Mail, et auparavant de la place de Louis-XIV, était bornée au nord par la rue des FillesSaint-Thomas, à l'est par les rues Montmartre, de la Jussienne et Coq-Héron, au sud par les rues Coquillière, de la Vrillière et Neuvedes-Petits-Champs, à l'ouest par les rues Vivienne et Notre-Dame-desVictoires. L'assemblée de cette section siégeait aux ci-devant Petits-Pères (Almanach indicatif des rues de Paris· Paris, Janet, an III, in-12).

devant personne. Mais nous n'empêcherons pas que ceux à qui ces opinions paraissent claires, satisfaisantes, raisonnables, ne les conservent pour leurs menus plaisirs. Juifs, chrétiens, Turcs, théistes, polythéistes, que tous croient et adorent à leur manière, pourvu qu'ils ne veuillent pas nous forcer à les imiter, qu'ils ne troublent par l'ordre social, et surtout qu'ils n'exigent pas que ceux qui ne pensent pas comme eux contribuent aux frais de leurs cultes; car il n'est pas juste qu'on paie les violons pour faire danser les autres.

<< Quant à nous, adoptons la religion des philosophes, celle de la Liberté, de l'Égalité, de l'Humanité. C'est là toute la morale, et la morale ne veut aucun culte (1) ».

Le 20 frimaire suivant, la section prit un arrêté où, tout en rendant hommage à l'Être suprême, elle décidait implicitement de continuer le culte de la Raison et d'élire des orateurs de morale (2), qui furent les citoyens Étienne Barry, Gérard-Michel Bontems,

(1) Déjà la section du Panthéon français, le 12 septembre 1793, bien avant le mouvement que nous racontons, avait adressé une pétition à la Convention pour qu'il fût créé dans chaque canton de la République une École de la liberté, où deux instituteurs, nommés Apôtres de la liberté, joueraient le rôle d'évangélistes de la raison et, au besoin, « se transporteraient dans les temples pour y combattre Je fanatisme. >> (La section du Panthéon français à la Convention nationale. Imp. Lion, s. d., in-4 de 4 pages. - Bibl. de Grégoire, t. IX.)

(2) Section Guillaume-Tell. Assemblée générale. Séance du 20 frimaire an II. Imp. Massot, s. d., in-8 de 19 pages. Bibl. nat., Lb 40/442.

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