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Ces remarques nous menent naturellement aux regles fuivantes. » 1o. Ce» lui qui conftitue dûment un Procureur par une procuration générale, » en le chargeant de finir les conventions, eft obligé de ratifier tout ce » que fon Procureur a fair, & les conventions font valables, de telle foi » qu'il les exécute; pourvu qu'il n'y ait point de collufion entre le Procu » reur & la perfonne avec qui il a été chargé de traiter. « Je dis, de telle foi qu'il les exécute; parce que je ne puis pas approuver la reftriction que quelques jurifconfultes y apportent, pour obliger le maître à ratifier la convention, favoir que le Procureur l'ait exécutée de bonne foi. Car en fuppofant qu'il n'y ait point de collufion entre les parties contractantes, fi le Procureur trahit les intérêts de fon maître, pourquoi la convention ne feroit-elle pas valable? Seroit-il jufte que la perfonne, qui a traité avec le Procureur, für la dupe de la perfidie du procureur, & de l'imprudence du maître qui a confié fes intérêts à une perfonne dont il ne connoiffoit pas le mauvais caractere? Ainfi un négociant eft refponfable de tout ce que fes facteurs ou fes commis font en fon nom, dès qu'il les en a autorisés; de même un maître de navire, pour le fait de les patrons; &c. ils font obligés de ratifier ce qui a été traité avec leurs prépofés. Ainfi ils répondent du fait, du dol, & des tromperies de leurs gens. Aquum prætori vifum eft, ficuti commoda fentimus ex adu inftitorum, ita etiam obligari nos ex contractibus ipforum & conveniri. L. 1. ff. de inftit. ad. Mais s'il y a eu de la collufion entre le Frocureur & la partie contractante, la convention eft nulle; car alors la partie contractante avec le Procureur se rend indigne du bénéfice de la loi par fa mauvaise foi. Ainfi, un marchand qui reçoit des marchandifes d'une maifon dont le commis eft un coquin, qui ne les infcrit pas dans les livres, pour en tirer pour fon propre ufage la valeur, ce marchand, dis-je, connoiffant la mauvaife foi du commis, & recevant la marchandife, fans en donner avis à fon maître, pour l'avoir peut-être meilleur marché, eft tenu à la reftitution.

2o. » Si le maître s'eft réfervé le pouvoir de confirmer & de ratifier la >> convention faite par fon Procureur, la convention n'entre en vigueur » qu'après la ratification. » C'eft ici où il faut appliquer la diftinction que les Romains faifoient entre les mots fœdus & fponfio. Ils fe fervoient du premier terme pour marquer une convention valide, parce qu'elle étoit ratifiée par le fouverain ou par le maître : & ils faifoient ufage du fecond pour exprimer une convention faite par Procureur, fans la ratification. néceffaire du maître, & pour cela nulle en cas que le maître refufât ou négligeât de la ratifier. Le fimple filence du maître ne peut pas être pris pour une ratification, à moins qu'il ne foit accompagné de quelqu'acte ou de quelqu'autre circonftance, qui ne puiffe vraisemblablement fouffrir d'autre explication. Voyez TRAITÉ.

3o. » Enfin, si la convention demande que l'on fache an jufte le pou» voir du Procureur, & que la perfonne avec qui le Procureur doit traiter

» ne peut le favoir autrement que par le maître ou le Procureur lui-même ; » fi ceux-ci négligent de l'en informer, la convention eft valide, quand » même le Procureur auroit paffé les bornes de fon pouvoir. » Car le Procureur eft cenfé avoir tout le pouvoir néceffaire de traiter : & comme ce n'eft pas à la perfonne avec qui il traite, à lui fixer les bornes, il n'eft pas obligé par conféquent de les connoître, fi on les lui cache. C'eft pourquoi dans les traités, les miniftres des puiffances contractantes ont des ordres connus, qu'ils produifent, afin que les parties contractantes puiffent compter furement fur ce que l'on auroit conclu avec une perfonne qui agit au nom d'une autre; car il auroit toujours lieu d'appréhender que les inftructions fecretes ne fuffent différentes des ordres connus, ou que les maîtres n'accufaffent leurs Procureurs d'avoir paffé les bornes de leur pouvoir, lorsqu'ils ne trouveroient pas à propos de ratifier une convention ou

un traité.

PRODIGALITÉ, f. f.

LA Prodigalité est une vaine profufion qui dépense pour foi, ou qui

donne avec excès, fans raifon, fans connoiffance & fans prévoyance. Ce défaut eft oppofé d'un côté à la mesquinerie, & de l'autre à l'honnête épargne, qui confifte à conferver pour se mettre à l'abri contre les coups du fort.

Se jeter dans la fomptueufe profufion, c'eft étendre fa queue aux dépens de fes ailes. Les aréopagiftes la puniffoient, & les prodigues en pluGeurs lieux de la Grece étoient privés du fépulchre de leurs ancêtres. Lucien les compare au tonneau des Danaïdes, dont l'eau fe répand de tous côtés. Le philofophe Bion fe moqua de l'un d'eux qui avoit confommé un fort grand patrimoine, en ce qu'au rebours d'Amphiaraus que la terre avoit englouti, il avoit englouti toutes les terres. Diogene voyant l'écriteau d'une maifon à vendre qui appartenoit à un autre prodigue, dit plaifamment qu'il fe doutoit bien que les profufions de ce logis feroient enfin arriver un maître.

La dépouille des nations produifit dans Rome tous les excès du luxe & de la Prodigalité. On n'y voyoit que des partifans de ce Duronius qui étant tribun du peuple, fit caffer les loix fomptuaires des feftins, criant que c'étoit fait de la liberté, s'il falloit être frugal contre fon gré, & s'il n'étoit pas permis de fe ruiner par fes dépenfes fi on en avoit la volonté. Il y a déjà long-temps, dit Caton en plein fénat, que nous avons perdu La véritable dénomination des choses; la profufion du bien d'autrui s'appelle libéralité, & ce renversement a finalement jeté la république fur le penchant de fa ruine,

Les

Les rois doivent fur-tout fe précautionner contre la Prodigalité, parce que la générofité bien placée eft une vertu royale. C'eft un confeil que donne la reine Vérité à Charles VI, dans le fonge du vieil pélerin, adreffant au blanc faucon à bec & pieds dorés. On fait que ce livre fingulier eft un ouvrage écrit l'an 1489 par Philippe de Mayzieres, l'un des plus célébres perfonnages du regne de Charles V. On en conferve le manufcrit dans la bibliotheque des céleftins de Paris, & dans celle de faint Victor, Voici comme la reine Vérité, chap. lviij. parle à Charles VI, dans son vieux langage.

»Tu dois avoir, beau fils, une fraifche mémoire de ton befayeul, le vaillant roi de Béhaigue, qui fut fi large & fi folage que fouventefois advint que en fa cour royale les tables étoient dreffées, & en la cuifine n'avoit pas trop grand funcert de viandes: il donna tant à héraulx » & à méneftreils & vaillans chevaliers, que souvent lui étant en Prague » fa maiftre cité, il n'avoit pas puiffance de réfifter aux robeurs du royau» me qui en fa préfence venoient rober jusqu'à la dite cité. Au contraire beau fils, tu as exemple de ton grand oncle Charles, empereur de Ro» me, fils du fufdit roi de Béhaigue, lequel empereur grand clerc, faige » foubtil & chault, felon la renommée commune de l'empire, fut fi ef» chars & avaricieulx, qu'il fut de fes fujets trop plus doubté que amé. «

Cependant un prince doit être en garde contre le piege que d'avides courtifans lui tendent quelquefois en affectant de faire devant lui l'éloge de la libéralité : ils cherchent, continue la reine, à vous rendre magnifique, dans l'efpérance que vous deviendrez prodigue. Mais fouvenez-vous que fi vous donnez trop à quelques-uns, bientôt vous ne ferez plus en état de donner à tous dans le fuperflu d'un feul, plufieurs trouveroient le néceffaire.

» Beau fils, fe tu vouldras trouver les chevaliers qui ont couftume de » bien plumer les rois & les feigneurs, & par leurs foubtiles pratiques, » fur fourme de vaillance rempli de flatterie, te feront vaillant & large » comme Alexandre, en récitant fouvent le proverbe du maréchal Bouci» quault, difant Il n'eft pefchier que en la mer; & fi n'eft don que de »roi; attrayant de toy & de ta vaillante largeffe tant d'eau en leur moulin, qu'il fuffiroit bien à trente-fept moulins qui, par défault d'eau, les » deux parts du jour font oifeuls. «

:

La difpenfation des graces, felon la reine Vérité, exige encore une attention: il faut qu'elles foient proportionnées au rang de ceux qui les reçoivent & à la qualité de leurs fervices.

» Beau fils, il te devroit fouvenir des dons & de dépenfe de tes vail»lans & prud'hommes rois anceffeurs, defquels le domaine étoit plein » comme un œuf, & de leurs fubjets ne tiroient nulle aide; ils avoient » grand tréfor & fans guere : & toutesfois, quant à leur largeffe & aux dons, tu trouveras en la chambre des comptes que quant il venoit d'oul» tre-mer un très-vaillant chevalier qui étoit tenu preux pour une grante Tome XXVII.

I

largeffe audit chevalier, le roi lui faifoit donner cent livres tournois, & » à un bon efcuyer cinquante. Mais aujourd'hui, beau fils, un petit hom» me de nulle condition, mais qu'il ait des amis à la cour, & à un valet de chambre, tu donneras légérement mille & deux mille livres.... » Que fe dira, beau fils, des dons mal-employés des héraults, & des me» neftreils, & des faifeurs de bourdes? «<

Dans la jurifprudence, les prodigues font de même condition que les furieux; ils font incapables, comme eux, de fe gouverner & de régir leurs biens, ni d'en difpofer, foit entre-vifs ou par teftament.

Mais il y a certe différence entre l'incapacité qui procede du vice de Prodigalité, & celle qui provient de la fureur ou imbécillité, que celleci a un effet rétroactif au jour que la fureur ou imbécillité a commencé, au-lieu que l'incapacité réfultante de la Prodigalité ne commence que du jour de l'interdiction.

Pour faire interdire un prodigue, il faut que quelqu'un des parens ou amis préfente requête au juge du domicile ; & fur l'avis des parens, le juge prononce l'interdiction, s'il y a lieu. Si les faits de diffipation ne font pas certains, on ordonne une enquête.

Le pere peut grever fon fils ou fa fille d'une fubftitution exemplaire, Voyez la loi z. au ff. de curator. furiof.

LA

PROPORTION, f. f.

A Proportion, dans le droit politique, eft l'ordre qu'un fage gouvernement doit fuivre dans l'adminiftration de la juftice. Quoique dans l'intention, la juftice foit la bafe de tout gouvernement, les différentes manieres d'appercevoir les chofes & leurs rapports ont introduit plufieurs opinions fur la méthode de l'établir.

Quelques favans parmi les anciens affecterent des myfteres, qu'ils cachoient fous la figure des nombres. C'est ainfi que l'on voit de nos jours des vérités très-fimples enveloppées fous des expreffions & des calculs algébriques, jufques dans des ouvrages que l'on deftine à l'inftruction publique. Platon vouloit qu'un Etat fût gouverné par la Proportion géométrique, dont le semblable dirige les raisons, & d'où dérive la justice distributive. Xénophon, fon rival, tenoit pour la Proportion arithmétique fondée fur Pégalité, & qui produit la juftice commutative. Ariftote foutint une troifieme opinion compofée des deux autres : il prétendoit que l'on devoit ufer de la juftice arithmétique ou égale, quand il s'agiffoit de régler la quantité de la fortune de chacun, ou de la punition des fautes; & de la géométrique ou femblable dans le partage des terres conquifes, eu égard la différence du mérite & des actions. C'étoit fimplement employer les

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deux Proportions féparément, en appliquant chacune à des objets différens. Il fera peut-être utile pour quelques lecteurs d'obferver, avant que d'expliquer la nature des Proportions, que Pon ne doit pas confondre l'égal avec le femblable. Deux bâtons, dont l'un fera de chêne & l'autre de faule, pourront être égaux, & ne feront pas femblables: deux triangles rectangles feront femblables, & ne feront pas égaux.

La Proportion arithmétique eft celle dont les raifons font conftamment les mêmes, augmentant toujours du même nombre 3, 9, 15, 21, 27; où l'on voit que la progreffion n'eft autre chofe que d'ajouter continuellement au dernier nombre le nombre 6 ou tel autre toujours égal.

La Proportion géométrique eft celle qui a fes raifons feulement femblables 3, 9, 27, 81; c'est-à-dire, dont la progreffion va croiffant par la multiplication du dernier nombre par le premier 3: elle eft uniforme fans être égale. Voyez ci-deffus.

Pour fimplifier les idées de ce langage mystérieux, il fuffit de dire que Xénophon, en préférant la Proportion arithmétique, vouloit que la justice publique, comme la privée, c'est-à-dire, celle qui fait les loix, qui ordonne des biens en général, des dignités & des récompenfes, fût réglée par une égalité abfolue: l'Etat populaire eft le mot de l'énigme.

Platon fous fon emblême défignoit le gouvernement ariftocratique. Cet état, de même que la Proportion géométrique, affocie les femblables; mais féparément dans deux ordres, dont la regle conftante eft l'inégalité. Ariftote faifoit un mélange; il appliquoit la Proportion géométrique à la juftice publique; & l'arithmétique plus particuliérement à la privée.

Je ne fais fi Bodin eft l'inventeur de la Proportion harmonique; il eft du moins le premier qui l'ait adaptée au gouvernement. Sa marche eft 3, 4, 6, 8, 12, 16. Bodin imitant le myftere des grands philofophes, n'en a point donné la regle; mais il eft aisé d'appercevoir que fa progreffion eft alternativement du tiers ou de la moitié du dernier nombre; elle est conf, tante dans cette variation : l'augmentation tantôt eft la même, & tantôt ne l'eft pas, quoique toujours foumife à la regle une fois donnée. Ainfi elle n'eft ni femblable, ni égale absolument; elle est l'une & l'autre dans fon alternative.

C'est la monarchie tempérée que cette Proportion repréfente. J'entends par l'épithete de tempérée, celle qui emprunte des regles modifiées des deux autres rconftitutions. Elle ne mettra point de barrieres entre les ordres, comme la loi des douze tables qui interdifoit le mariage entre les nobles & les plébéïens ; & cependant elle accordera à la nobleffe une partie des diftinctions dont elle jouit dans l'ariftocratie. Le peuple auquel il ne fera point défendu de s'allier au noble, ni d'aspirer aux dignités, confervera une portion de la liberté de l'état populaire. Moins d'éloignement caufera moins de difcordance; il régnera plus d'harmonie.

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