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punir avec une sévérité extrême les juges prévaricateurs : l'histoire a recueilli quelques-uns des supplices qui leur furent infligés; la mort déployait une rigueur nouvelle pour un crime si grave 1. La loi des Douze Tables, empruntant cette peine à la Grèce, l'appliquait uniformément à tous les cas de corruption: Si judex aut arbiter jure datus ob rem judicandam pecuniam acceperit, capite luito.

Cependant cette sévérité ne fut qu'un frein impuissant contre la corruption qui envahissait la république romaine; le temps vint où un citoyen riche, quel que fût son crime, n'avait point de juges à craindre Pecuniosum hominem, quamvis sit nocens, neminem posse damnari. Ces mœurs durent réagir sur les lois et en modifier les dispositions. La loi Julia repetundarum porta pour toute peine une amende égale au quadruple des sommes reçues. Postérieurement le juge eut la faculté de réunir à cette peine pécuniaire une peine corporelle plus en proportion avec la gravité du crime. Hodiè ex lege repetundarum extra ordinem puniatur, et plerumquè vel exilio, vel etiam duriùs, prout admiserint 2. La peine s'élevait jusqu'à la déportation, et même jusqu'à la mort, si la corruption avait eu pour effet de sacrifier la vie d'un homme innocent. Enfin, dans le dernier état de la législation romaine, novo jure, suivant l'expression du Code, une distinction avait été faite entre les causes civiles et les causes criminelles en matière civile, la peine de la corruption n'était qu'une amende double ou triple de la valeur des choses promises ou reçues et la perte de l'emploi ; en matière criminelle, la peine était la confiscation des biens et l'exil. Sed qui accepit vel promissionem suscepit, si causa pecunaria sit dati triplum, promissi duplum exigatur, dignitate seu cingulo amisso; si vero criminalis causa fuerit, confiscatis omnibus bonis in exilium mittatur 3 ̧

1. Valère Maxime, 1, 6, c. 3, Hérodote in Polymniá, c. 194, rapportent que Cambysc fit écorcher vif un juge coupable de corruption et employa sa peau à recouvrir son siége de juge; que Darius fit attacher à une croix un autre juge coupable du même crime.

2. L. 7, § 3, Dig. ad leg. Jul. repetundarum.

3. L. 1, 2, Cod. de poena judicis qui malè judicaverit.

Cette distinction avait été adoptée dans notre ancien droit les peines étaient plus ou moins fortes, suivant que l'acte de corruption avait été commis en matière civile ou criminelle. Mais cette règle, constante dans la jurisprudence des parlements, ne résultait que vaguement des ordonnances, qui se bornaient à prononcer les peines de la concussion contre les juges prévaricateurs 2, et à recommander aux juges de proportionner les peines à la qualité du délit et aux circonstances 3. Les peines ordinaires étaient l'interdiction à temps, la privation d'office, la restitution du quadruple et les dommages-intérêts; dans les cas graves, ces peines s'élevaient juqu'au blâme et au bannissement; elles pouvaient devenir capitales à l'égard du juge qui avait reçu de l'argent pour prononcer une condamnation à mort 4.

832. L'Assemblée constituante édicta des peines sévères contre les officiers dont la corruption avait dirigé les actes. Tout fonctionnaire, tout citoyen placé sur la liste des jurés, convaincu d'avoir, moyennant argent, présents ou promesses, trafiqué de son opinion ou de l'exercice du pouvoir qui lui était confié, était puni de la dégradation civique; or on sait que cette peine n'était pas alors une pure abstraction, et qu'elle s'exécutait en place publique, où le coupable était à haute voix proclamé infâme et attaché pendant deux heures à un carcan. Tout juré, après le serment prêté, tout juge criminel, tout officier de police en matière criminelle, convaincu du même crime, était puni de vingt ans de gêne, c'est-à-dire de réclusion solitaire. Enfin les membres de la législature étaient, dans le même cas, punis de mort 5. Le Code du 3 brumaire an IV ne changea rien à ces pénalités; à la vérité, son art. 644 déclara coupable de forfaiture: « tout juge civil

1. Muyart de Vouglans, p. 165.

2. Ord. de Blois et de Moulins, art. 19 et 20, ct art. 154; ord. 1667, t. 21, art. 15.

3. Jousse, t. 3, p. 779.

4. Muyart de Vouglans, 165.

5. Art. 7, 8, 9 et 10, S. 5, t. 1o, 2o part. L. du 25 sept.-26 oct. 1791.

ou criminel, tout juge de paix qui, moyennant argent, présents ou promesses, a trafiqué de son opinion ou de l'exercice du pouvoir qui lui est confié. » Mais la peine de la forfaiture, qui consistait dans l'incapacité de remplir aucune fonction, était indépendante, dans le système du Code, de celles établies par les lois pénales; elle se prononçait cumulativement. Au reste, cette législation intermédiaire était défectueuse sous un double rapport: l'inflexible uniformité de la peine de la dégradation civique s'appliquait à des actes dont la moralité pouvait essentiellement différer ; et si la loi prononçait une autre peine, c'est dans la qualité du coupable et non dans la gravité du crime et de ses résultats qu'elle en cherchait le principe.

833. Pour apprécier le caractère de la corruption, il faut en dévoiler les éléments. Quelque odieuse que soit la prévarication du fonctionnaire ou du juge, cette prévarication ne constitue, dans la plupart des cas, qu'un simple abus de confiance commis au préjudice de l'Etat. De même que le mandataire privé qui trahit les ordres de ses commettants et dilapide les deniers déposés entre ses mains, le fonctionnaire, mandataire du pouvoir social, abuse de sa mission et trahit le dépôt de l'autorité confiée à sa foi. Ce fait ne devrait donc être considéré que comme un simple délit, si la qualité du coupable et les résultats de l'action ne venaient ajouter à sa gravité : la qualité du coupable, car la prévarication d'un magistrat, d'un fonctionnaire, lèse plus profondément la société que celle d'un mandataire privé; les résultats de l'action, car la corruption s'aggrave quand elle est commise pour arriver à un autre crime, et que celui-ci s'exécute. Tel est donc le caractère de ce crime : c'est un abus de confiance qui puise sa qualification criminelle, soit dans la qualité de l'agent, soit dans les résultats de l'acte lui-même.

Cette appréciation semble confirmée par le choix et la gradation des peines que les diverses législations ont imposées à la corruption des fonctionnaires. Les statuts anglais, les lois pénales des Etats de New-York et de Géorgie, prononcent pour tous les cas de corruption (bribery) une triple peine l'incapacité de remplir un office public, l'amende et

T'emprisonnement. Cette dernière peine peut s'étendre depuis un jusqu'à dix ans 1. Le Code de la Louisiane limite à deux années la durée de l'emprisonnement, et même, dans les cas les moins graves, se borne à punir l'officier d'une suspension momentanée de ses fonctions 2. La loi brésilienne, dont les peines portent l'empreinte d'une extrême mansuétude, n'ajoute à l'amende et à la perte de l'emploi qu'un emprisonnement de trois à neuf mois (article 130). Les législations européennes, quoique en général les plus rigoureuses, n'ont pas excédé la mesure des lois américaines: le Code pénal belge ne prononce qu'un emprisonnement qui ne s'élève pas au delà de trois ans et une amende de 100 à 3,000 fr. (art. 246 et 247); le Code d'Autriche prescrit la prison dure d'un an à cinq ans, avec la faculté de l'étendre jusqu'à dix ans, selon le degré de criminalité et l'importance du préjudice qui en est résulté 3. En outre, dans quelques-unes de ces législations, ainsi que nous aurons lieu de le faire remarquer plus loin, la pénalité s'élève lorsque l'acte a eu pour effet une condamnation criminelle injuste. Ainsi donc, si l'on tient compte des différences qui séparent ces diverses dispositions, on ne pourra méconnaître qu'une double pensée leur est commune et les anime d'une part, la minimité de leurs peines assigne en général aux faits de corruption le caractère que nous leur avons reconnu; d'un autre côté, c'est à raison seulement des résultats qu'ils peuvent avoir, que ces faits, soit qu'ils prennent ou non une autre qualification, sont frappés d'une pénalité plus grave.

1. Revised statutes of New-York, t. 4, art. 2, § 10; Penal Code of the state of Georgia, 8 div., s. 10; Stephen's Summary, p. 75.

2. Code of crimes and punishments, art. 126 et suiv, 438 et suiv. 3. ** Le Code pénal allemand (art. 331, 332) distingue entre le cas où l'acte fait par corruption n'a pas de caractère illégal, et celui où il est contraire aux devoirs de la fonction dans le 1er cas, il prononce soit une amende, soit un emprisonnement de six mois au plus ; dans le 2o, la réclusion pendant 5 ans au plus, sauf les circonstances atténuantes, qui peuvent convertir la peine en emprisonnement. La réclusion est également prononcée contre la corruption et la prévarication des juges (art. 334, 336, 346).

834. Le législateur de 1810, quoique les dispositions du Code relatives à cette matière renferment plus d'une imperfection, n'a point, en général, dévié de ces principes. On lit dans l'exposé des motifs : « Les crimes de corruption ont des nuances que la loi doit sagement distinguer et punir, suivant leur gravité, d'une peine plus ou moins forte: aussi celle que nous vous présentons atteint-elle les divers coupables, suivant que leur prévarication annonce plus ou moins de perversité, ou cause de plus grand dommage... Le fonctionnaire public qui retire de ses fonctions un lucre illicite devient criminel par ce seul fait; mais ce crime peut s'aggraver beaucoup quand il est commis pour arriver à un autre, et que celui-ci a été suivi d'exécution: c'est surtout dans les jugements criminels que cette aggravation peut se faire remarquer ». Nous allons examiner, en discutant les textes du code, si les distinctions que mentionnent ces termes sont suffisamment tranchées, et si les nuances qui séparent les différentes espèces du crime ont été fidèlement observées.

Remarquons, en premier lieu, pour l'ordre de cette discussion, que le crime de corruption renferme deux faits distincts, le crime du corrupteur et celui du fonctionnaire qui se laisse corrompre: nous traiterons successivement de ces deux faces de la matière. Le crime du fonctionnaire, considéré par la loi pénale comme auteur principal, réclame d'abord notre examen.

L'art. 177 est ainsi conçu : « Tout fonctionnaire public de l'ordre administratif ou judiciaire, tout agent ou préposé d'une administration publique, qui aura agréé des offres ou promesses ou reçu des dons ou présents pour faire un acte de sa fonction ou de son emploi, même juste, mais non sujet à salaire, sera puni de la dégradation civique, et condamné à une amende double de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues, sans que ladite amende puisse être inférieure à 200 fr. La présente disposition est applicable à tout fonctionnaire, agent ou préposé de la qualité ci-dessus exprimée, qui, par offres ou promesses agréées, dons ou présents reçus, se sera abstenu de faire un acte qui entrait dans l'ordre de ses devoirs. » La loi du 13 mai a ajouté à cet article un

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