mots: nous avons suivi une méthode moins ennuyeuse; en ramenant les mêmes termes, en répétant les mêmes idées, nous avons accoutumé vos esprits à les comprendre. Le ministère n'auroit pas demandé mieux que de nous fournir des secours ; mais nous aurions par-là reçu des liens, et nous voulions être indépendans de tout pouvoir. Des clubs et des sociétés s'offroient pour faciliter notre travail; mais en facilitant notre travail, ils auroient voulu le diriger, et nous voulions être indépendans de tout parti et de toute opinion. Le zèle patriotique nous a servis à notre gré : une foule de bons pasteurs et d'honnêtes propriétaires, résidant à côté de vous, et adoptant notre plan, se sont chargés de vous expliquer nos leçons, d'en éclaircir les passages obscurs, et d'ajouter enfin leurs Jumières voisines à la clarté éloignée que nous cherchions à répandre sur vous. Ils nous rendoient compte de vos progrès; ils nous suggéroient les articles sur lesquels vous aviez le plus de besoin d'être instruits. Combien de fois nous avons regretté que le court espace de notre Feuille ne nous permît pas d'insérer leurs lettres et leurs observations! Graces à leurs soins, nous avons vu croître dans les campagnes les premiers germes des connoissances utiles; graces à leurs soins, nous avons réussi à extirper quelques erreurs, qui, pour être anciennes, n'étoient pas moins funestes. Nous allons commencer un second cours d'études. Nous espérons qu'il réussira comme le premier. Rien me sora négligé pour la perfection de notre Feuille, Bons et utiles Villageois, votre bonheur a été le principal objet de la Constitution française; votre principal intérêt est de la connoître à fond, de l'observer religieusement, et de la maintenir avec courage; et si quelqu'un s'arme contre elle, vous devez le regarder comme votre principal ennemi : quiconque veut blesser la Constitution, veut tuer le peuple. Hélas! que de mauvais citoyens, ou de faux pc. litiques s'affligent de vous voir sortir de l'ignorance! Nous en avons entendu plusieurs condamner notre Feuille, pour le bien même qu'elle vouloit vous faire. "Comment, s'écrioient-ils, vous allez attenter à l'heu" reuse simplicité des paysans; soulever sur leur front "le voile salutaire qui leur cache la moitié de leurs " peines; leur apprendre à disputer avec leurs maîtres; " les affamer de nouveautés et de nouvelles; les dé,, goûter enfin de leur vie monotone et de leurs plaisirs " rustiques! Tant de discussions politiques convien"nent-elles à ces hommes agrestes, et rendront-elles "leur condition meilleure ? Voici comme nous avons répondu à cette objection misérable : Nous prions, et nos censeurs, et nos souscripteurs, de peser attentivement notre réponse ou nos maximes. Lorsque dans un Etat la servitude politique est " abolie, on y retrouve encore deux servitudes naturelles et terribles, la pauvreté et l'ignorance. "Un peuple misérable est au premier tyran qui , l'achète : un peuple idiot est au premier fourbe "' qui le flatte. Ne pouvant semer la richesse dans les hameaux, " nous essayons du moins d'y porter la vérité et "l'instruction. No. 1er. Seconde année. A 3 L'instruction est elle-même un trésor, et, ce qui vaut mieux, un bonheur. ,, Elle dirige le travail, et prête de nouveaux instru"mens à l'industrie. ,, Elle embellit et anime le repos, en l'entourant de jouissances pures, et en le préservant du cortège ,, hideux de la débauche. 99 Elle honore et conserve la piété qu'elle dégage des superstitions et sauve de l'hypocrisie. "Elle consacre la loi dont elle explique les bienfaits " et les oracles. ,, Elle veille sur la liberté, pour empêcher que sa flamme ne s'éteigne dans les cœurs, ou que ses ,, étincelles n'allument la discorde. ,, La liberté aveugle est une bacchante; la liberté ,, instruite, une divinité. "Enfin on demandoit au premier moraliste de ,, l'Asie, au célèbre CONFUTZÉE, quelle nation il croyoit la plus heureuse : celle, répondit-il, qui " instruit le mieux ses citoyens, et qui cultive le "" ,, mieux ses temes. La science du bonhomme Richard. L'ILLUSTRE Franklin, le premier fondateur de la liberté américaine, ayant observé combien le peuple qu'il vouloit affranchir manquoit encore de lumières, imagina de publier chaque semaine une feuille, où la morale étoit présentée sous des formes variées et piquantes, et où la politique étoit enseignée dans un langage clair et naïf. C'est par ce procédé si simple qu'il réussit à rectifier les idées populaires, et à créer, en quelque sorte, pour la multitude, un nouvel esprit, capable également de braver les périls. et d'éviter les excès. Sa feuille eut un succès prodigieux: elle étoit entre les mains des ignorans et des savans; et plusieurs des articles qu'elle renfermoit, dignes de Voltaire et de Montesquieu, ont circulé dans le monde entier. Tel est celui qui a pour titre : La science du bonhomme Richard. C'est une science faite pour nos Villageois. et ils seront bien aises d'en parcourir l'extrait : le voici tel qu'il vient d'être publié dans les Mémoires de Benjamin Franklin, imprimés chez Buisson, Libraire. Nous avons cru devoir seulement retoucher le style et animer Le récit. Se promenant un jour, selon sa coutume, après un long travail et un court repas, le bonhomme Richard s'arrêta devant une porte, où beaucoup de monde s'étoit assemblé pour une vente qu'on alloit faire. L'heure de la vente n'étant pas encore venue, la compagnie causoit sur les impôts. Quelques-uns se plaignoient de leur pesanteur; d'autres en représentoient la nécessité; d'autres ajoutoient que plus un pays étoit libre, plus il exigeoit d'établissemens publics, et par conséquent de rétributions nationales. Un batelier vint à l'appui du dernier, et dit : Nous sommes tous passagers dans le vaisseau de l'Etat; il faut noyer celui qui ne veut pas contribuer à son entretien. Le bonhomme Richard, appuyant sur la porte sa tête à cheveux blancs, écoutoit immobile. On l'aperçut, on l'entoura, on le press de dire son avis. On savoit qu'il pensoit toujours d'après lui, et qu'il parloit en style sentencieux et proverbial, et l'on aimoit son langage ainsi que sa franchise. Il s'assit au milieu de l'assemblée qui s'étoit formée en cercle autour de lui, et tint le discours suivant, qu'il remplit, à son ordinaire, de sagesse et de proverbes. Mes chers amis et bons voisins, il est certain que "les impositions sont lourdes, mais il est certain aussi "que nous aggravons le fardeau au lieu de l'adoucir; et si le gouvernement nous taxe un peu fort, nous "nous taxons nous-mêmes d'une manière plus onėreuse encore. Nous doublons, nous triplons, nous quadruplons la charge. Vous témoignez de la surprise: je vais m'expliquer, et je dis, que notre paresse "nous prend deux fois autant que le gouvernement; " notre vanité, trois fois; et notre imprudence, quatre. " fois davantage. Ces taxes-là sont d'une telle nature, " qu'il n'est pas possible aux lois de nous en délivrer, " ni aux commissaires de nous en faire grace. Nous "seuls pouvons diminuer leur poids, en réglant notre " conduite Dieu dit à l'homme, aide-toi, je t'aiderai. : "On regarderoit comme un gouvernement bien dur " celui qui taxeroit les peuples à la dixième partie de "leur temps pour l'employer à des corvées publi"ques. Or notre fainéantise nous dérobe plus de "temps encore qu'elle consume dans l'ennui ou " qu'elle perd dans la dissipation : L'oisiveté ressemble " à la rouille, elle use beaucoup plus que le travail : la " clef dont on se sert est toujours claire, et ouvre faci"lement. ,, Combien de temps ne donnons-nous pas au som, meil, au delà de ce que demande la nature ? Nous "oublions que le renard qui dort ne prend point de "poules, et que nous aurons long-temps à dormir dans " le tombeau. ,, Si nous aimons la vie, ne perdons pas le temps, " car c'est l'étoffe dont la vie est faite. Courage donc, et agissons pendant que nous le pouvons. L'activité "rend tout facile, 'l'indolence rend tout difficultueux : » Celui qui se lève tard commence à peine ses affaires qu'il est " déjà nuit. Voyez marcher la nonchalance: Elle va si "lentement que la pauvreté l'attrape tout de suite. Se coucher , de bonne heure, et se lever matin, sont les deux seuls moyens de conserver sa santé, sa fortune et son jugement. Mais un meilleur temps viendra, disent les pares"seux. Vaine et ridicule attente! C'est à nous de rendre " le temps meilleur, en le mieux employant. L'indus"trie n'a pas besoin de souhaits chimériques; elle est " certaine d'un profit réel, et d'un succès journalier. Au défaut de propriété et de terre, elle fait valoir ,, ses mains et son génie: Celui qui a un métier, a une ferme, " et celui qui a un talent, a une mine d'or. Quiconque est "laborieux n'a point à craindre la disette: La faim re garde à la porte de l'homme qui travaille, mais elle n'ose |