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» Votre comité n'a pas cru que pour établir l'ordre il fût suffisant de vous proposer des mesures répressives, ni que sa mission se bornât à perfectionner la loi martiale: il s'est élevé à de plus hautes considérations; il a crú qu'il fallait moins décréter une loi contre les attroupés que des lois qui prévinssent les attroupemens; qu'il fallait moins rendre une loi sur les séditions qu'une suite de lois qui affermissent le pouvoir des autorités constituées, qui procurassent du travail à tous les bras, des salaires à tous les genres d'industrie, et qui pussent fixer dans le royaume les arts, le commerce et l'abondance; il a pensé que lorsque le peuple serait occupé on n'entendrait plus parler d'émeute.

>> Cette discussion sur les troubles tient à tout: ils ont leurs racines dans l'ancien régime, dans le nouveau, et dans la révolution qui a servi de passage de l'un à l'autre : ces racines ne sont pas sur la surface; il faut fouiller les entrailles de la terre pour les trouver.

» Votre comité a vu la plus ancienne et peut-être la plus active cause des troubles dans un despotisme de plusieurs siècles, qui a déposé sur une population malheureuse le germe de beaucoup de vices et l'aigreur de beaucoup de besoins; qui a préparé cette excessive inégalité de richesses, cause première de toute corruption sociale; qui entretenait l'ignorance, par le moyen de laquelle il conservait son funeste empire; qui offrait au peuple des jouets et de vains plaisirs pour le distraire du poids de ses maux et de la vue de ses chaînes; qui avait étouffé la pensée humaine, empoisonné les sources de la morale, et qui s'était coalisé avec le sacerdoce et la noblesse pour corrompre et tuer enfin l'homme et le citoyen. Il l'a vue ensuite dans les mouvemens de la révolution, dans les ressentimens qu'elle a allumés, dans l'effervescence qu'elle a fait naître, et qui, ayant remué tous ces fermens corrompus du despotisme, a produit ces explosions dont nous sommes les tristes témoins et les trop impuissans répresseurs.

» Enfin il l'a vue dans un gouvernement qui pendant plus de deux ans a persisté à ne pas changer lorsque tout changeait autour de lui; qui, tantôt faible et vacillant, jamais ami sincère de la liberté, s'obstinait à laisser et nos relations au dehors

et l'exécution des lois au dedans à nos plus mortels ennemis; à ses anciens agens, qui entravaient tout au lieu de tout seconder, et qui, après avoir prouvé toute l'impuissance d'une poignée de courtisans contre l'essor de la volonté nationale, sont cependant parvenus à retarder le cours de la révolution, qu'ils n'ont pu détruire, et à prolonger les troubles, qui leur plaisent et qui nous affligent. Ici des hommes libres faisaient la loi, et presque partout c'étaient les anciens esclaves du gouvernement qui la faisaient exécuter: comment les nobles conceptions de la liberté ne se seraient-elles pas dégradées en passant par des canaux empoisonnés de l'antique rouille du despotisme? En décrétant la réforme de tous ces agens le corps constituant eût accéléré la révolution et prévenu bien des maux.

>> Un nouveau ministère a succédé à l'ancien; nous attendrons que l'expérience nous permette de le juger: mais ce grand changement a déjà produit l'utile effet de faire cesser les défiances.

» Nos envoyés ont été changés; les bureaux ministériels ont été réforinés: espérons que ces reformes ne seront pas faites à demi; espérons que le gouvernement ne donnera pas longtemps à la France le scandale de voir ses anciens oppresseurs; ses anciens fermiers ou régisseurs, replacés sous d'autres titres, commander des forces considérables, diriger plus de vingt mille hommes; et n'est-ce pas outrager un peuple libre que de lui donner pour administrateurs ses anciens tyrans? La bonté du service se compose d'une confiance mutuelle entre les administrateurs et les administrés; mais quelle confiance peut jamais s'établir entre les sacrificateurs et les victimes?

» Une autre cause de trouble est dans l'insubordination d'un certain nombre de petites municipalités contre les administrations supérieures. Nous avons vu dans les départemens du Lot, de la Gironde, à Ourcamp, les municipalités à la tête des attroupemens qui taxaient les grains: quelques uns y ont été véritablement forcées; d'autres s'y sont prêtées volontairement.

» Ces magistrats ne voient que leurs clochers; ils n'aper çoivent pas la grande pyramide nationale, qui est la loi ; et à l'égard des graudes municipalités, produit immédiat du choix du peuple, en relation perpétuelle avec lui par ce pouvoir de police qui agit fortement sur les citoyens, ayant des gardes

nationales nombreuses à leurs ordres, se montrant toujours avec des décorations et un appareil imposant, quelques unes ne șe soumettent qu'avec peine à un directoire qui, dépoui lé de toutes ces forces accessoires, n'a de puissance, que dans les décrets. Je sais que quelques directoires sont accusés d'administrer dans des principes relâchés, mais dans mon opinion cette inertie tenait priucipalement à l'inertie de l'ancien ministère : si le nouveau va, comptez que les directoires iront. Dans toutes les pièces que votre comité a examinées les directoires lui ont paru les seuls conservateurs des principes constitutionnels, les seuls fils par lesquels il ait vu l'espoir de ramener partout l'ordre. Fortifions ces instrumens au lieu de les affaiblir.

» Il est certain que si l'on ne soumettait pas les municipalités aux corps administratifs elles offriraient bientôt l'informe agrégation de quarante mille go vernemens municipaux, qui formeraient un vrai chaos, et dont les mouvemens irréguliers et discordans nous conduiraient à une dissolution totale.

» Le secret de faire cesser les troubles c'est d'attacher les citoyens à leurs municipalités, les municipalités aux corps administratifs, les corps administratifs au gouvernement et au corps législatif, et tous à la Constitution et à la loi : si cette chaîne vient à se rompre, si cette harmonie de mouvement vient à se troubler, nous verrons toujours des pillages et des insubordinations. Nous sentons tous qu'il faut un gouvernement: la société fut le résultat des besoins et des vertus des hommes, le gouvernement fut celui de leurs besoins et de leurs vices. Si la voix du devoir retentissait au fond de tous les cœurs, si la France comptait dans son sein vingt-quatre millions d'Aristides, si elle ne contenait ni traîtres, ni brigands, ni contre-révolutionnaires, il est certain que l'image sacrée de la loi, sans l'appui d'aucune force publique, y maintiendrait seule la subordination: mais au milieu de tant de passions irritées, de l'aigreur de tant de besoins, de conspirations toujours avortées et toujours renaissantes, nous avons besoin d'un gouvernement qui soit environné de cette puissance d'opinion qui commande impérieusement l'obéissance, qui puisse faire tomber le poignard de la main des Cethegus, le masque de la figure des Cromwell, et descendre jusque dans l'âme des

Sylla pour y étouffer l'espoir dont ils se repaissent de paraître un jour précédés de licteurs et suivis de conjurés au milieu de la conflagration générale. La masse générale du peuple est essentiellement saine et bonne; c'est pour le défendre contre ses ennemis, c'est pour démasquer ses faux amis que nous implorons toute l'énergie d'un gouvernement constitutionnel et tutélaire.

»Nous ne sommes plus au siècle d'or; examinons les temps, les personnes et les circonstances Des défiances très fondées nous avaient mis en garde contre le précédent ministère : confions-nous au nouveau : au milieu de tant de lumières il ne pourrait pas se flatter de nous tromper longtemps. Le peuple, longtemps léger, examine et surveille depuis qu'il existe pour lui une patrie. Unissons-nous donc avec le gouvernement comme nous sommes unis avec le peuple; nous n'avons pas trop de toutes nos forces pour comprimer l'anarchie et nous sauver tous : dans les grandes crises tout est perdu lorsqu'une confiance réciproque ne réunit pas tous les efforts. C'est ici, c'est aujourd'hui que nous scellerons ce traité d'une utile union! Oui, messieurs, c'est ici qu'est le salut public, c'est sous ces voûtes augustes, témoins de tant d'actions généreuses, qui virent consacrer plus d'utiles principes, rétablir plus de droits, faire plus pour la perfectibilité et le bonheur de l'espèce humaine que tous les palais des rois depuis qu'il en existe! Nous ne souffrirons pas que jamais on agite dans ce sanctuaire les brandons de la discorde, qu'on y sème le poison de la défiance, qu'on y avilisse les autorités constituées ; ce serait saper la Constitution par ses bases, et couper l'arbre de la liberté par le pied, Comment en effet l'administration publique pourrait-elle marcher lorsqu'à la face des premiers magistrats du peuple ses premiers agens seraient avilis et discrédités ? Comment, flétris par une censure imposante et publique, pourraient-ils obtenir obéissance en parlant même au nom de la loi? Oui, messieurs, le salut public est ici; veuillons fortement et constamment l'ordre; faisons que le gouvernement le veuille, et l'ordre s'établira!

>> Votre comité a considéré comme une mesure propre à rétablir la marche régulière de l'administration de renvoyer à vos comités les dénonciations qui seraient faites tant contre le gouvernement que contre les administrations supérieures, afin

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que vous puissiez les juger sur leur rapport avec plus de lumières et de maturité, et frapper ou absoudre sans que des dénonciations publiques et destructives de toute autorité l'aient précédée : il a vu dans cette mesure un utile exemple à donner aux citoyens, qui cesseront d'entraver, de fatiguer des administrateurs fidèles à leurs devoirs.

» Ici un nouvel ordre de choses se présente, et nous ne nous consolons de la nécessité où nous sommes de vous entretenir de cultes et de prêtres que par l'espoir que les mesures que vous allez prendre vous mettront dans le cas de ne plus en entendre parler.

Le sentiment des premiers hommes fut d'admirer l'ordre sublime de la nature, et l'un de leurs premiers besoins de rendre hommage à son inconcevable auteur: tant qu'ils se livrèrent à ces inspirations naturelles, tant qu'ils se bornèrent à élever au milieu des champs des autels couronnés de feuillages, et que, paisibles ministres d'un Dieu bienfaisant, leur inoncentes mains offrirent de simples fruits à la Divinité, la paix régna sur la terre. Mais bientôt il s'éleva des hommes qui leur dirent:Le grand Etre s'est montré à nous et il nous a dit que c'est de ce côté que vous devez tourner vos autels, que vous devez lui présenter telle offrande et observer telle cérémonie. D'autres hommes non moins ambitieux s'écrièrent : Ne croyez pas ces imposteurs; nous seuls communiquons avec le grand Etre; il nous a ordonné de vous dire que vous devez ne consumer que nos parfums, ne pratiquer que notre culte ; tout autre est abominable. Alors les hommes, au lieu de laisser la dispute se vider entre ces divers prophètes, y prirent euxmêmes une part d'autant plus ardente qu'elle offrait à l'imagination humaine, au milieu des ténèbres où ils ne pouvaient rien saisir ni concevoir, la perspective des biens et de maux infinis, et la terre fut rougie du sang humain.

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Depuis l'origine des cultes le culte respectable des chrétiens est un de ceux qui aient eu le plus à se plaindre de ses ministres lorsque, voisins encore de son berceau, ils furent pénétrés de son esprit primitif, ils adoucirent, éclairèrent et affranchirent les hommes; mais bientôt on les vit tenant le glaive, allumant des bûchers, usurpant les biens, asservissant

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