pour ce grand poëte, il conçut un violen defir de le voir & de le connoître: on le conduifit dans un café où fe rendoit ordinairement Dryden, alors extrêmement vieux; c'est là que Pope, âgé de douze ans, contempla avec la curiofité du génie cet homme dont il lifoit tous les jours les vers avec admiration, cherchant à reconnoître dans les traits de fon vifage quelque marque de ce talent fublime qui brilloit dans fes ouvrages. Dryden mourut avant qu'il fe fût formé aucune liaison entr'eux, & Pope tui appliqua dans une de fes lettres ce qu'Ovide dit de Virgile: Virgilium vidi tantum. Retiré avec fa famille dans la forêt de Vindfor, les charmes de cette folitude, les beautés champêtres répandues en foule autour du jeune poëte, échaufferent fon imagination, & lui firent produire à -feize ans fes éclogues, parmi lesquelles il faut compter fon poëme de la forêt de Vindfor. A vingt ans il composa fon effai fur la critique, mais plus févere qu'Horace, il le perfectionna pendant douze ans ; il dérida fon front dans le poëme de la Boucle enlevée, & la gravité du cenfeur fit place à d'aimables folies. Le Temple de la Renommée fit admirer de plus en plus les richeffes de fa verve. Il développa dans l'épître d'Héloïfe ce que le pathétique a de plus touchant, & une foule de petites pieces pleines d'efprit, d'élégance & d'enjouement, le firent regarder comme le poëte le plus ingénieux, le plus fécond & le plus agréable de l'Angleterre. Déja l'envie irritée de tant de fuccès fré miffoit autour de lui; fa fameufe traduction de l'Iliade & de l'Odyffee acheva d'aigrir fes rivaux, dont la fureur jalouse ne connut plus de bornes. Ils fe déchaînerent contre lui dans une fatyre fcandaleufe intitulée la Popiade, pleine de railleries indécentes & de calomnies atroces. Pope y fut traité d'ignorant, d'enragé de monftre, d'homicide, d'empoifonneur. Il eft triste pour l'humanité que parmi les ennemis de Pope on puiffe compter le fage Adiffon; mais les écrivains les plus eftimables fe laiffent quelquefois aveugler par l'amour-propre. L'au teur de Caton fut bleffé de la gloire du traduc teur d'Homere, il mit lui même en vers le premier livre de l'lliade qu'il fit paroître fous le nom d'un nommé Tickell; mais le génie d'Adiffon dédaigna de fervir fa baffe jaloufie. Ses vers dictés par la haine étoient bien infé rieurs à ceux de Pope. En vain le pere inconnu de cette verfion informe lui donna-t-il les plus grands éloges, il fut prefque le feul de fon avis, & le mauvais fuccès de certe intrigue fut un nouveau triomphe pour fon rival. Pendant que Pope faifoit lire Homere aux Anglois, Madame Dacier le faifoit adorer en France. Cette favante, après avoir prêché l'incrédule la Motte, en ftyle de commentateur; fit auffi éprouver les effets de fon zele au poëte Anglois qui avoit eu la témérité de trouver des défauts dans l'lliade. Pope eur plus d'égards pour le fexe de fon adversaire que pour Les raisons, & dans cette dispute il se montra auffi poli & auffi galant que la Morte. Heureux s'il eût pu conferver toujours la même modération; mais irrité, harcelé fans ceffe par de méprifables ennemis, il oublia qu'un grand écrivain s'avilit & fe dégrade, lorsqu'il prof titue à des injures & des fatyres groffieres ce génie fait pour orner la raifon & infpirer l'amour de la vertu. Séduit par le defir de la vengeance, il publia la Dunciade. Mais fi l'on en croit une relation qui parut alors, cette fatisfaction lui coûta cher; on prétend que les auteurs maltraités dans ce poëme firent effuyer au fatyrique une flagellation ignominieufe. Le récit de cet événement, avec toutes fes circonftances, fe répandit dans le public & couvrit de ridicule l'auteur de la Dunciade. Voici quelques endroits de cette piece, très-plaisante par le ton férieux & la naïveté du style. Relation véritable & remarquable de l'horrible barbare flagellation qui vient d'être commife fur le corps de maître Alexandre Pope, poëte, pendant qu'il fe promenoit innocemment à Hamwalks, fur le bord de la Tamife, méditant des vers pour le bien public, flagellation faite, à ce qu'on dit, par deux hommes mal-intentionnés, en dépit & vengeance de quelques chanfons fans malice que ledit poëte avoit faites contr'eux. La relation commence par de pieuses réflexions fur la charité. On affecte de plaindre Pope & de condamner la vengeance peu chrétienne que fes ennemis ont exercée fur lui. On paffe de-là aux circonstances du fair. Ce fut ainfi que s'exécuta cette punition corporelle. » Le jeudi du préfent mois de juin vers le » foir, lorfqu'il faifoit beau, M. Pope, grand » poëte, à ce que nous avons appris, se pro» menoit à Hamwalks, méditant des vers pour » le bien public: deux hommes qui ne nous » font pas affez connus pour pouvoir les nom » mer, vinrent à lui; ils le reconnurent, tant » à fon visage qu'à fon dos, & ils le pro » menerent quelques tems avec lui. Puis étant » entrés en converfation, à ce qu'on nous a dit, fur la Dunciade, un joli poëme dudit » Pope, un de ces meffieurs prit tout-à-coup » le pauvre maître Pope, poëte, & le mit fur fon dos, tandis que l'autre tira de deffous » fon habit un long trousseau de verges de bou»leau qu'ils avoient arrachées, à ce qu'on nous » e dit, d'un gros balai d'écurie; & il frappa » avec le même trouffeau de verges, avec tant » de violence, & d'un bras fi peu charitable, » maître Pope, poëte, sur son postérieur nud, » qu'il en fit fortir une grande quantité d'ê» chor, ou fang qui étoit jaune, ce qui a fait » affurer au docteur Arbuthnot, fon médecin, que cette couleur venoit de beaucoup de bile » qui étoit mêlée à ce fang. « Auffi-tôt après cette inhumaine flagellation; les deux hommes s'en allerent & laifferent le pauvre maître Pope fur la place, fe roulang dans fon fang jaune, quand mademoiselle Blount, perfonne fort charitable, & proche voifine de maître Pope à Twikenham, paffant auprès de là par hafard hafard, prit ce petit homme dans fon tablier, remit fa culotte, le porta au bord de la riviere, & fit venir un bateau pour le tranf porter chez lui. Pope fut déconcerté de cette plaifanterie ; il y répondit férieufement par un avis au public conçu en ces termes : » Comme on a vu » dans une relation scandaleufe criée dans les » rues de Londres, que j'ai été fouetté à Ham» walks jeudi dernier, je donne avis au public » que je n'ai point forti de ma maison de Twi »kenham ce jour-là. « Ce n'est pas fans deffein que l'auteur de la relation amene fur la scene mademoiselle Blount. Le public n'ignoroit pas les fentimens de Pope pour cette demoiselle, qui joignoit à une rare beauté les qualités plus rares de l'efprit & du cœur, & un goût particulier pour les arts. Nous avons une lettre de Pope où il lui fait cette déclaration d'amour à l'angloife. » Permettez-moi de vous affurer que je » n'ai jamais été auffi ardemment épris que je » le fuis de vous, & qu'il y a beaucoup de » femmes dans le monde à qui je ne pourrois » pas me réfoudre d'en dire autant, quand elles » me tiendroient le poignard fur la gorge. « Mademoiselle Blount ne dédaigna point l'hommage d'un poëte célebre, très-capable de flatter fa vanité, mais tout fe réduifit de part & d'autre à un commerce réciproque de galanterie métaphyfique. La figure & la fanté de Pope ne lui permettoient d'afpirer qu'à l'union des ames; il étoit petit, bossu, infirme & dégoû |