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constitution des arbitres et de leur action, si les parties en litige consentent à soumettre leur différend à un jugement arbitral ».

Dans la cinquième conférence annuelle, tenue à Anvers dans les premiers jours de septembre 1877 (1), l'association a adopté à l'unanimité une résolution tendant à faire à l'avenir insérer dans tous les traités internationaux une clause recommandant aux divers États de substituer l'arbitrage de la raison et de la justice à l'arbitrage du glaive, et d'exercer toute l'influence possible auprès des hommes d'État de toutes les nations en vue de l'adoption de ce principe.

Comme nous l'avons vu, l'Institut de droit international a déjà rédigé un travail ayant le caractère qu'implique cette dernière résolution, et il est présumable que celui qui résultera des études de la commission nommée par l'association viendra consolider encore les assises du nouvel édifice.

S 1565. Il ne faut pas se faire illusion: cette édification est Conclusion. encore loin de se réaliser; elle ne saurait être la tâche d'un jour; elle est hérissée de difficultés qui nécessairement en retardent l'achèvement. Ne répugnera-t-il pas, par exemple, à certaines nations de prendre des engagements qui les lient non seulement pour le temps présent, mais encore pour l'avenir, et dans lesquels elles verraient une atteinte à leur liberté d'action, à leur indépendance?

Puis l'œuvre ne serait praticable et durable qu'à condition d'avoir pour base le consentement unanime de tous; or ce consentement, en présence des coutumes, des sentiments actuels des peuples, ne peut qu'être le fruit d'une transformation politique ou sociale progressive, mais lente; il faut attendre en effet que tous les doutes soient résolus, qu'il se forme une opinion dominante, acceptée par les maîtres de la science, par les hommes les plus compétents et recommandée par leur autorité au sentiment public, lequel, à son tour, l'imposera, moralement au moins, aux parlements et aux gouvernements, qui finissent toujours par subir sa puissante influence; alors sera établie une véritable opinion juridique internationale en harmonie avec les progrès et les exigences de l'époque.

Enfin subsiste la grande objection soulevée contre l'efficacité des sentences arbitrales en général : quelle sanction en garantit

(1) A cette époque l'association, dont les membres ne dépassaient pas le nombre de 90 en 1875, en comptait 530.

le respect, l'exécution? Cette opinion publique, dont on invoque la puissance, suffira-t-elle, appuyée même sur la bonne foi et l'amour-propre des nations, pour empêcher les infractions aux engagements? Par contre, l'emploi des moyens de coercition n'impliquerait-il pas une violation de la souveraineté des États, et n'y aurait-il pas à craindre de ce côté un danger plus grave que celui qu'on chercherait à prévenir? L'intervention de tous les gouvernements, ainsi érigée en règle, n'aurait-elle pas pour résultat de substituer les guerres générales aux guerres particulières?

Sans sortir des limites des choses pratiques quant à présent, espérons donc, et notre espoir se fonde sur ce qui se passe depuis cinquante ans, où « l'arbitrage est la règle et la guerre l'exception (1) », que le jour où l'opinion par sa pression croissante sera parvenue à imposer aux nations le recours à l'arbitrage, ce jour-là l'opinion, par la même pression, sera en mesure d'imposer également aux parties contestantes le respect des décisions arbitrales, comme cela du reste a eu constamment lieu, car il n'est point de cas qu'on puisse citer où des États, ayant remis leur dif rend au jugement d'arbitres, aient tenté même de se soustraire aux effets de la sentence prononcée contre eux*.

(1) Discours de M. Fréd. Passy à la séance du congrès de l'Alliance universelle du 4 juin 1872.

*

Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, t. II, liv. 2, ch. 23, §8; t. III, liv. 3, ch. 20, § 48; Vattel, Le droit, liv. 2, ch. 18, § 329; Heffter, § 109; Phillimore, Com., vol. 3, §§ 3, 4, 5; Twiss, War, § 5; Klüber, Droit, § 318; Halleck, ch. 12, §§ 6, 7; Riquelme, lib. 1, tit. 1, cap. 8; Bello, pte. 1, cap. 11, §§ 1, 2; Puffendorf, De jure, lib. 5, cap. 13, §§ 4,6; Voet, Com. ad pand., lib 4, t. VIII; Bynkershoek, De foro, cap. 23; Wildman, vol. I, p. 186; Martens, Précis, § 176; Bluntschli, §§ 488 et seq.; Bielfeld, Inst. pol., t. II, p. 152; Rayneval, Inst., t. II, liv. 3, ch. 22; Burlamaqui, Droit de la nat., t. V, pte. 4; Réal, Science, t. V, ch. 3, sect. 8; A. Franck, Journal des Débats, du 5 décembre 1878; British and foreign State papers, 1826-1827, p. 1005; 1830-1831, p. 957; 1831-1832, p. 244; 1834-1835, p. 543; Mémorial diplomatique, 1863, pp. 53, 120; Carnazza Amari, Trattato sul diritto internazionale publico di pace, sezione 5, ch. 1, §§ 5, 6, 7; Augusto Pierantoni, Gli arbitrati internazionali, cap. 2 et 3; Lawrence's Wheaton, pte. 2, ch. 1, p. 133, note; pte. 3, ch. 2, pp. 495 et seq., note; T. D. Woolsey, Introduction to the study of international law, conclusion, § 205; P. Fiore, Nouveau droit international public, t. II, 2o part., liv. 1, ch. 7; S. Creasy, First platform of international law, ch. 10, $$ 405 et seq.; Mountague Bernard, A historical account of the neutrality of Great Britain during the american civil war, ch. 17, p. 494; E. de Laveleye, Des causes nouvelles de guerre en Europe et de l'arbitrage, 3a part., chs. 1, 4, 7, 9; Ch. Vergé, Notes au Précis de Martens, tit. II, § 176, p. 21; Scheldon Amos, Political and legal remedies for war, pp. 163-165; Ch. de Martens, Guide diplomatique, t. I, p. 177; Frederik Seebohm, De la réforme du droit des gens, chs. 2 et 3, introduction par Fréd. Passy, p. 23; Funk Brentano et Albert Sorel, Précis du droit des gens, con

SECTION IV. SOLUTIONS VIOLENTES.

REPRÉSAILLES.

RÉTORSION.

EMBARGO.

§ 1566. Lorsqu'on a fait en vain un sérieux appel aux moyens Rétorsion. de conciliation, lorsque tous les efforts amiables sont demeurés infructueux et qu'on ne veut cependant pas encore recourir au sort des armes, à une guerre ouverte pour vider le différend, il ne reste aux gouvernements qu'à se placer sur le terrain des voies de fait, parmi lesquelles se présente tout d'abord la rétorsion, qui est la moins violente.

La rétorsion se fonde sur la maxime: Quod quisque in alterum statuerit ut ipse eodem jure utatur (user soi-même du même droit que chacun a statué envers autrui). Elle consiste en ce qu'un pays pratique à l'égard d'un autre les mêmes procédés, les mêmes règles de droit dont celui-ci use envers lui. Souverains et absolument indépendants pour établir chez eux les lois et les usages qui conviennent le mieux à leurs intérêts, les États sont toutefois moralement tenus d'observer certains égards internationaux, et le droit strict dont ils usent sans réserve chez eux justifie réciproquement l'exercice du même droit illimité chez les autres.

Dans cet ordre d'idées, il est facile de concevoir quelles sont les circonstances qui légitiment l'emploi de la rétorsion, puisque ce moyen de contrainte ne s'applique qu'au non-accomplissement d'un devoir imparfait. Ainsi, quand un État cesse de respecter les usages établis, qu'il augmente démesurément les droits d'entrée

clusion, ch. 2, § 4; Rouard de Card, L'arbitrage international, ch. 3; Dudley Field, Draft, Outlines of an international code, part. IV, §§ 534, 535, 536; Pradier-Fodéré, Journal du droit international privé, 1874, p. 119; Revue de droit international et de législation comparée, année 1870, p. 480; 1873, pp. 667 et seq; 1874, pp. 117 et seq., 167 et seq., 343 et seq., 582 et seq.; 1875, pp. 57 et seq., 273 et seq., 307 et seq., 329 et seq.; Ch. Lucas, De la substitution de l'arbitrage à la voie des armes pour le réglement des conflits internationaux, Bulletin de la société des amis de la paix, mars et avril 1873, février 1876; H. Bellaire, Étude historique sur les arbitrages dans les conflits internationaux; G. Rolin-Jaequemyns, De l'étude et du développement de la science du droit international; Du rôle et de la mission des nations neutres ou secondaires dans le développement du droit international; Caleb Cushing, Le traité de Washington, p. 349 et seq., 375 et seq.; Goldschmidt, Revue de droit international, 1874-1875.

Saisie de l'objet du litige.

ou de transit sur les produits d'un autre État de manière à en diminuer injustement les débouchés naturels, le recours à la rétorsion se justifie de lui-même. Il en est de même lorsqu'une nation improvise des réglements fiscaux, consacre des mesures onéreuses pour le commerce ou la marine, en leur donnant un effet rétroactif, ou bien encore procède arbitrairement à la réforme de ses lois intérieures en vue de restreindre les avantages acquis aux sujets étrangers.

Chaque pays est naturellement maitre de régler, suivant les circonstances qui les provoquent, pour les personnes comme pour les choses, les conditions générales, les limites et la durée de la rétorsion. L'histoire de la révolution française de 1789 en fournit de nombreux exemples. Nous mentionnerons entre autres le décret de la Convention du 16 août 1795, qui confisqua les biens des sujets espagnols en France, pour répondre aux mesures semblables décrétées par le roi Charles IV par rapport aux propriétés des Français en Espagne. Le célèbre décret de Berlin du 21 novembre 1806, par lequel Napoléon Ier proclama à titre général le blocus de toutes les côtes du Royaume Uni et la confiscation de toutes les marchandises et de toutes les propriétés anglaises rencontrées en mer ou sur le continent, n'était, dans son origine comme dans son but, qu'une application exagérée du principe de rétorsion *. 1567. La saisie à titre de représailles de la chose objet du différend constitue sans doute un acte d'hostilité, mais n'entraine pas nécessairement déclaration de guerre; tant que subsiste l'espoir d'un accommodement, les sujets des États en présence ne sauraient se considérer comme ennemis. Au milieu des débats suscités en 1859 entre l'Angleterre et les États-Unis au sujet des frontières du nord-ouest, le gouvernement de Washington fit occuper militairement l'ile de San Juan, dans la baie de Nootka; ce procédé, quoiqu'il fût peu conforme aux saines notions du droit et même aux convenances internationales, fut de part et

'Heffter, § 111; Vattel, Le droit, liv. 2, ch. 18, § 341; Martens, Précis, § 254; Twiss, War, § 10; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 1, § 1; Phillimore, Com, vol. I, § 16; vol. II, § 8; vol. III, § 7; Wolff, Jus gentium; § 582; Bluntschli, § 505; Bello, pte. 1, cap. 11, § 3; Riquelme, lib. 1, tit. 1, cap. 8; Manning, p. 105; Halleck, ch. 12, § 9; Garden, Traité, t. II, pp. 221, 222; Klüber, Droit, § 234; Ortolan, Règles, t. I, ch. 16, p. 347; Rayneval, Inst., liv. 2, ch. 12, § 2; Mittermaier, Deutsches privatr., § 110; Massé, Le droit com., t. I, § 143, p. 120; Vergé, Précis de Martens, t. II, pp. 186, 187; Pinheiro Ferreira, Vattel, liv. 2, ch. 18, § 341; Pradier-Fodéré, Vattel, t. II, pp. 319, 320.

d'autre considéré non comme un acte de guerre, mais comme la simple saisie d'un gage*.

§ 1568. Il se produit parfois dans les rapports internationaux Représailles. des actes qu'une simple mesure de rétorsion ne saurait combattre efficacement, ou qui ne comportent même pas ce mode de redressement indirect. Par exemple, il peut arriver qu'une nation, méconnaissant les devoirs moraux qui incombent aux États comme aux particuliers, s'empare indûment de ce qui appartient à une autre, dénie le paiement d'une dette reconnue, suspende sans motifl'exécution d'un engagement conventionnel, refuse la réparation d'une injure ou d'un déni de justice évident, ou une indemnité équitable pour les pertes causées par sa faute, lorsque sa responsabilité se trouve directement engagée. Dans toutes ces circonstances, après avoir épuisé les moyens de conciliation pour se faire rendre justice, le pays offensé ou lésé a le droit incontestable, avant d'en appeler aux armes, de recourir à des mesures de contrainte plus ou moins rigoureuses, plus ou moins étendues, généralement désignées sous le nom de représailles. User de représailles, le mot l'indique assez, c'est reprendre son bien partout où il se trouve, s'emparer d'un gage pour sauvegarder ses droits, imposer par la force ce que le sentiment de l'équité n'a pas suffi à conquérir, en d'autres termes se faire justice soi-même.

Le droit des gens qui a dominé dans le monde jusqu'à la fin du siècle dernier et qui se reflète, légèrement tempéré, dans les écrits des publicistes du temps, Grotius, Bynkershoek, etc., avait en matière de représailles consacré des principes que la civilisation du XIXe siècle réprouve et que le droit international moderne désavoue hautement. Ainsi ç'a été longtemps la règle qu'un particulier lésé au dehors dans ses droits ou dans ses biens était fondé à tirer seul et directement vengeance du tort qui lui avait été causé non seulement de son offenseur, mais encore de toute autre personne privée ou publique appartenant à la même nation. Il est vrai que pour régulariser ce mode de justice sommaire, le gouvernement de l'offensé devait lui délivrer des lettres de représailles, qui l'autorisaient en pleine paix à agir hostilement contre la personne et les biens tant de son agresseur que des compatriotes de celui-ci transformés en complices moraux de ses méfaits. L'injure

*Halleck, ch. 12, § 14; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 1, § 1; Vattel, Le droit, liv. 2, ch. 18, § 337; Klüber, Droit, § 234; Riquelme, lib. 1, tit. 2, cap. 8; Polson, sect. 6.

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