Nous avons déposé dans votre sein une grande douleur. Nous avons ouvert nos cours ulcérés depuis long-temps. Nous espérons que le dernier cri que nous vous adressons se fera sentir au votte. Le peuple eft là ; il attend dans le silence une réponse digne de fa souveraineté. Législateurs , nous demandons la permanence de nos armes jusqu'à ce que la conftitution loit exécutée. Cette pétition n'est pas seulement des habitans du faubourg SaintAntoine , mais de toutes les sections de la capitale & des environs de Paris. Après la lecture Santerre offrit un drapeau au nom de toute la députation , qui sortit au bruit de l'air ça ira , traversa les Tuileries, & se rendit à la place du Carrousel ; elle ressembloit en ce moment à une place de guerre , ainsi que la place de Louis XV; & l'on remarquera que ces deux camps étoient composés en partie des signataires de la pétition des huit mille. Une double haie de gendarmes à cheval, & plusieurs bataillons de gardes nationaux, avec du canon, étoient là pour défendre l'entrée des portes du château. On se permit même plusieurs évolutions menaçantes ; il y eut des pour-parlers , où il fut question de résistance : tout ce mal-entendu pouvoit amener les scènes les plus fâcheuses , graces au département, qui , fidèle à son fyftême, ora bien, comme en juin 1791, invoquer le lecours de la loi *martiale. Les piques , suivies de leurs canons , fe présentèrent à la principale porte de la cour royale : elle étoit fermée ; & dans l'intérieur il se pasfoit une autre tactique. Deux cents gendarmes à pied, avec une centaine de gardes suisses , y étoient postés sous les ordres du sieur V... commandant-général des troupes de ligne du département de Paris. Cet homme est tout à la cour ; il avoit commencé par faire charger les fusils , & par recommander aux suisses de faire leur devoir. Pour réponse, la plupart des suisses jetèrent leurs amorces, & alors le commandant les fit retirer, Personne n'entroit dans les cours ; c'étoit la consigne , excepté pourtant qu'on y reconnut se promenant une centaine d'individus de la ci-devant nouvelle garde du roi. Ces messieurs étoient reconnoissables à leur cocarde où se trouvoit un certain ligne de ralliment, & à la poche de leurs gilets, garnis de pistolets & de poignards ; ces metsieurs alloient & venoient , s'abouchant avec le commandant-général de la troupe de ligne. Un gendarme , que le besoin conduisit aux latrines du château, un quart d'heure après l'entrée des piques, piques, surprit Y.::: & deux ou trois de ces chevac Lers du poignard se dire en confidence : Notre coup eft encore manqué. Et c'est ce qui arrivera toutes les fois que le peuple, sans distinctions d'habits & d'armes, marchera dans un parfait accord. Les gendarmes à cheval, au-dehors , s'écartèrent pour laisser passer le peuple , qui entra en foule avec ses canons, jusqu'à la grille du vestibule du château. Il y eut un peu plus de résistance aux portes des premiers appartenens ; mais la présence d'un canon que les fans-culottes y montèrent sur leurs épaules, leva tous les obstacles. On donna un coup de hache à la porte d'une autre pièce, que Louis XVI fit ouvrir luimême, en criant vive la nation & en brandissant son chapeau. Le roi étoit alors avec des prêtres (1), dont plufieurs habillés de blanc; ils disparurent à la première vue du peuple. Il alla ensuite s'asseoir sur une banquette haute , dans l'embrâsure d'une fenêtre donnant sur la grand cour , entouré de cinq à fix gardes nationales. Il faudroit ici un Tenières ou un Calot, pour peindre au naturel ce qui s'y passa. En un clin-d'æil, le sallon fut plein de peuple armé de piques, de faulx , de fourches, de croissans , de bâtons garnis de couteaux, de scies, &c. Au milieu de tout cet appareil , furent placées les tables des droits de l'homme, face à face du roi, peu accoutu mé encore à un pareil spectacle. Les citoyens se pressoient devant lui. Sanctionnez les décrets, lui crioiton de toutes parts; rappelez les ministres patriores ; chafsą vos prêtres ; choisissez entre Coblentz & Paris. Le roi tendoit la main aux uns , agitoit son chapeau pour satisfaire les autres; mais l'agitation & le bruit ne permettoient pas de l'entendre. Ayant apperçu un bonnet rouge dans les mains d'un de ceux qui l'entouroient, il le demanda & s'en couvrit. On ne peut rendre l'effet que produifit sur tous les spectateurs la vue de ce bonnet sur la tête du roi. On ne tardera pas sans doute à répandre dans toute l'Europe une caricature qui représentera Louis XVI au gros ventre plastroné de son (1) Depuis six mois Louis XVI a dans la poche une bulle du pape , qui l'absout d'avance des parjures qu'il se propose de faire contre la constitution. N. 154. Tome 12. E crachar, coiffe du bonnet rouge , & buvant à même une bouteille , à la santé des sans-culottes , criant : Le roi boil, le roi a bu.... Il a le bonnet de la liberté sur la tête; s'il pouvoit l'avoir dans le cæur! C'est alors qu'arrivèrent plusieurs députations de l'afsemblée nationale, qui toutes reçurent à leur passage les témoignages les plus marqués du respect & de la confiance publique ; ils trouvèrent le roi entouré comme nous l'avons dit. MM. Isnard & Vergniaud parlèrent successivement au peuple, en l'engageant à se retirer ; ils témoignèrent au roi la sollicitude de l'assemblée nationale ; à quoi il répondit, qu'il étoit au milieu du peuple & qu'il etoit tranquille ; puis prenant la main d'un garde national, qu'il ait sur ton cæur : Voyez, lui dit-il, s'il palpite & si j'ai de la frayeur. M. Pétion arriva ensuie, il harangua aussi le peuple , qu'il invita de même à se retirer. Le roi fit alors ouvrir ses appartemens , & demanda que le peuple défilât devant lui ; ce qui se fit dans le plus grand ordre. A dix heures du soir, il n'y avoit plus personne dans les Tuileries ni au château , & l'on ne voyoit pas un seul groupe dans les rues de la capitale. Ainsi s'est passée cette journée mémorable, que les aristocrates & les feuillantins n'ont pas manqué d'appeler une journée de deuil & d'abominations; ils affectent de répandre que la nation a été outragée dans son reprétentant hérédi-. taire; que le chef du pouvoir exécutif a été infulté, avili; qu'il a dû craindre pour la vie ; il mettent tout en æuyre pour armer la garde nationale contre le peuple ; ils lui insinuent que la journée du 20 eft pour elle un jour de honte , qu'elle doit en tirer vengeance & qu'elle ne peut laver lon injure que dans le sang. Mais c'est surtout contre le maire de Paris & la municipalité que s'exhale toute leur rage : déjà les feuilles qui se dilent conflitutionnelles traitent le respectable Pétion de brigand, de dróle ; pour allumer plus vîte la guerre civile, déjà on répand que le directoire vient de le suspendre ; déjà même des hommes en uniforme l'ont insulté dans les Tuileries , & ont frappé violemment M. Sergent , officier municipal (1). Mais ils seront trompés dans leur (1) L'assassin a été arrêté sur le champ. Le directoire du département a donné ordre de le poursuivre. |