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au petit nombre de fots que la fuperftition s'eft confer vé au milieu des ruines du préjugé religieux. Lamourette fe met à l'ouvrage, d'après un canevas qu'on lui donne, il écrit fa motion, & ce n'eft pas un chef-d'œu vre; elle répond mal à la tradition qui le fait auteur du beau difcours prononcé par Mirabeau fur la conftitution civile du clergé. N'importe, le mouvement de la fin eft affez beau, & on ne s'y attend pas. C'est dom mage qu'il foit en parfaite contradiction avec le paffage du milieu auquel l'affemblée n'a pas prêté affez d'atten

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Jamais fciffion ne fut irrémédiable que celle qui » fubfifte entre le vice & la vertu; il n'y a que Phon» nête homme & l'homme méchant qu'il ne faille point » efpérer d'affortir ».

Pontife, defcends donc de la tribune, avant d'y conclure la réconciliation impoffible des patrices avec ceux qui ne le font pas. Que peut-il y avoir de commun entre eux, entre la liberté & l'efclavage, entre les défenfeurs généreux du peuple & les partifans falariés du defpote, entre les amis des droits de l'homme, de la fraternité, de l'égalité, &c. & les amis des deux chambres, de la lifte civile, &c.? Prêtre ! apprends que nous ne fommes plus au temps où tes prédéceffeurs adroits après avoir, fur l'autel de leur Dieu, rivé les fers de la nation à la couronne d'un maître, fe difoient avec orgueil & complaifance les médiateurs facrés entre le monarque & fon peuple.

Si c'eft de bonne foi que tu prêtes ton ministère à cette nouvelle iniquité de la cour, vois les fruits amers que produira cette réconciliation, pour peu qu'elle tienne. D'abord tu outrages les patriotes, en leur propofant de toucher dans la main de gens qui n'ont point de patrie. Et au contraire, tu rends un fervice fignalé aux traîtres repréfentans du peuple; tu éteins les charbons allumés fur leur tête; tu les fouftrais à l'indignation univerfelle: il s'enfuivra qu'on ne prendra plus la peine d'éclairer la marche des contre-révolutionnaires, & qu'on abandonnera la pourfuite des malveillans pris fur le fait.

Le méchant doit-il donc en être quitte pour donner un baifer perfide à ceux qu'il a bleffés ? Et de quelle autorité les repréfentans du peuple peuvent-ils faire grâce à ceux qui intriguent pour le remettre à la chaîne Dieu même

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n'a pas le droit de dire à l'innocence : Réconcilie-toi avec le vice; à la vertu réconcilie-toi avec le crime; au patriotisme réconcilie-toi avec l'ariftocratie. Il eft du devoir des véritables repréfentans de la nation d'être les ennemis irréconciliables d'un Ramond, d'un Dumas, d'un Vaublanc, d'un Girardin & de leurs pareils. L'intérêt de la patrie exige qu'il y ait une barrière incommenfurable entre eux. Le monde fut dans le chaos, tant que le froid & la chaleur, le jour & les ténèbres ne furent point féparés. L'ordre qu'on prêche tant au peuple n'existera jamais, fi les bons & les mauvais citoyens confentent à fe tenir embraffés. Le bon citoyen, confiant par caractère, ne foupçonne plus de mauvais deffeins dans celui qui vient de l'appeler fon frère; & le méchant, sous le manteau de la fraternité, cachera fon poignard, & n'en portera que des coups plus sûrs.

Peut-on appeler réconciliation l'à-propos adroitement faifi de demander en public que ceux qui veulent deux chambres restent affis (1) Tout le corps légiflatif fe leva fimultanément, & on devoit s'y attendre. On s'embraffa, M. Bazire s'y laiffa prendre le premier. L'évêque Fauchet pourtant & quelques autres députés fe refufèrent à l'accolade jéfuitique. De ce moment nos législateurs n'eurent plus de places marquées dans la falle, ce qui va devenir très-commode pour les tenans du côté du roi; auparavant, ils étoient trop en évidence; on les huoit, même avant d'ouvrir la bouche; ils étoient jugés aux premiers pas qu'ils faifoient en entrant, & cela chaque jour; les tribunes étoient inexorables. Il ne man-` qua à cette fcène que la préfence de Lafayette, & c'eft dommage qu'elle n'ait pas été jouée à la féance où le grand général vint propofer la pourfuite juridique des attentats du 20, & l'anéantiffement des jacobins.

Deux conféquences immédiates de cette réconciliation feront fans doute la destruction des fociétés populaires,

(1) Ce fut dans la forme négative que le prêtre La mourette propofa de mettre fa motion aux voix ; & cette remarque n'eft pas oifeufe. Dans tout le cours de cette motion, il règne un certain entortillage d'expreffions peu naturel à l'auteur, qui ordinairement écrit un peu mieux.

& les entraves mifes à la liberté de la preffe. Il n'y a plus de partis, dira-t-on, la nation va marcher d'ellemême & d'une feule pièce. Pourquoi fe ranger fous les drapeaux jacobites, feuillantins, monarchiques, &c..? Pourquoi rappeler des animofités dont les membres de l'affemblée ont fait le facrifice? On ajoutera : Eh! ceuxlà ne font-ils pas de vraies peftes publiques, dignes de toutes les févérités de la loi, qui, fe montrant plus difficiles à contenter que le corps législatif, s'avileront de foupçonner un piége dans une mefure qui a rapproché par un feul mouvement les deux premiers pouvoirs conftitués trop long-temps rivaux?

Et en effet, le roi fuivit de près la députation qui s'étoit hâtée d'aller lui apprendre la bonne nouvelle. Peu s'en fallut que Louis XVI n'embraffa lui-même auffi Condorcet & Briffot, Bazire & Vergniaud, Albite & Chabot, &c. Oh! pour le coup l'affemblée nationale fe fût attelée toute entière au timon de fon carroffe pour le traîner jufqu'au château. Heureufement pour la chofe publique, fa majefté ne fe familiarifa point jusque-là. Mais l'air déconcerté que Louis XVI a toujours quand il fe montre & parle en public, & que les vils flatreurs qualifient de douce émotion & de fenfibilité profonde, lui fit encore cette fois un honneur infini, Ainfi donc dix jours après avoir été traité par le peuple de monarque ingrat & parjure, il entendit les reprétentans de ce même peuple lui donner des vive le roi pendant un quart d'heure.

En récompenfe il ceffa de bouder, & ouvrit les portes de fon jardin à tout le monde; mais ce ne fut pas pour long-temps. Inftruit que ces vive le roi de l'affemblée nationale ne franchiffoient pas le feuil de la falle, & ne parvenoient pas jufque fous fes fenêtres, il fe vengea du public moins facile à émouvoir que les députés, en lui interdifant de nouveau l'entrée de fon jardin, dès le lendemain de la fameuse paix conclue entre l'affemblée & le roi.

En vérité tout cela eft encore plus affligeant que ridicule. Comment pourrions-nous espérer quelque tenue dans la conduite de nos législateurs, en les voyant fe fâcher & s'appaifer, fe chamailler et s'embrasser comme des enfans? Sans doute beaconp d'entre eux étoient de bonne foi; mais fincères ou non, quels hommes pour repréfenter

un grand peuple, l'exemple de la terre, que tous ces députés fe levant à la fois comme des pièces de méca nique remuées par le même fil, battant des mains, ou vrant les bras, agitant leurs chapeaux en l'air, changeant de places réciproquement, pouffant des cris confus, & fe promettant l'un à l'autre, quels que foient leurs fentimens & leurs principes, de vivre déformais en frères; & tout cela, à la voix d'un prêtre qui, dans un enthoufiafme préparé depuis trois jours, vient férieufement propofer aux aiftocrates & aux patriotes de l'affemblée de fe pardonner & de ne faire plus qu'un. Pourquoi l'évêque Fauchet, par exemple, qui s'eft défendu dans un journal d'avoir embraffé Ramond, n'at-il pas répliqué à la motion de l'évêque Lamourette par ces vers d'Alceste:

1

Laiffez-moi, je vous prie!
Je ne veux nulle place en des cœurs corrompus....
Je conferve pour eux ces haines vigoureufes

Que doit donner le vice aux ames vertueuses.

MOLIERE.

Que Louis XVI ait dit: mon vœu eft enfin accompli, la nation & le roi ne feront plus qu'un.... La joie » que je goûte eft délicieufe». Ces paroles royales que le corps législatif a eu la lâcheté d'applaudir à chaque fyllabe, n'étonnent point. C'eft tout fimple, Louis XVI fait fon métier, il nous amufe par des gambades. Mais tout un aréopage fe laiffer aller, dans les circonstances où nous nous trouvons, à un mouvement aufli défordonné, auffi immoral qu'il eft impolitique! Les pères du peuple confentir à ne faire qu'un avec les amis, les protégés, les confeillers des miniftres qui font ou qui devroient être dans les prifons d'Orléans, avec les commenfaux, les confidens d'une cour scélérate dont il faudra inceffammentpurger le fol de la liberté! Qu'attendre d'une réunion de parties auffi hétérogènes?....... En deux mots: fi la réconciliation du famedi 7 n'eft point funulée, quel cas faire de la partie faine du corps légiflatif, qui montre auffi peu de prudence que de caractère? Si elle n'est que feinte, pourquoi s'y eft-elle prêtée, & quel bien s'enfuivra-t-il nous le demandons aux députés fidèles à leurs devoirs. Connoiffent-ils affez peu le coeur humain pour

croire qu'un Quatremer, un Ramond, qu'un Dumas, ua Vaublanc fe défifteront de leurs principes machiavéliques auffi vite, aussi complètement qu'un ferpent change de peau? Eft-il naturel de le penfer? & l'expérience de quatre années de révolution ne devroit-elle pas fuffire pour apprécier les avances d'un homme qui, du fervice d'un cardinal de Rohan, paffe à celui d'un marquis Lafayette?

De quelque côté qu'on envisage cette réconciliation fubite, méditée à loifir, elle ne donne aucun point de vue fatisfaifant; c'eft une jonglerie de la part des uns, & une mortification pour les autres. Membres eftimables du corps législatif, à préfent que vous êtes plus raffis, avouez qu'on a furpris un moment votre bonne foi: que diriez-vous fi Bouillé ou Bender, ou François lui-même, fur nos frontières, venoit propofer à nos troupes de ligne & à nos volontaires de ne faire qu'un avec les foldats Autrichiens & les hulans, les pruffiens & les pandours? Que diriez-vous fi nos trois ou quatre armées, par un beau mouvement tout femblable au vôtre du famedi 7 juillet, fe précipitoient les bras ouverts dans les rangs des deux ou trois cent mille esclaves foudoyés contre nous ? Ne vous récriez pas tant, vous avez fait la même chofe; car de même que nos bataillons de patriotes, à présent fur la frontière ont en vous leurs repréfentans, les phalanges ennemies qui s'avancent à grandes journées pour nous forcer à reconnoître deux chambres, ou bien la féance du 23 juin 1789, ont auffi leurs repréfentans au fein de l'affemblée nationale. La tribune eft le champ de bataille où les Girardin, Ramond & compagnie s'efcriment contre vous autres bonnes gens qui vous en tenez · à la déclaration des droits de l'homme. Eh bien! c'est avec eux que vous avez eu la bonhomie de vous confondre, & de ne faire qu'un tout indivisible. C'est ainsi que Carthage avoit fes meilleurs amis dans le fénat de Rome.

Réparez au plutôt cette petite rufe de guerre, cette efpèce de trève perfide qui vous mèneroient droit à une amniftie en faveur des grands coupables. Législateurs patriotes, retournez à vos places; reprenez votre attitude, & abjurez de fots embraffemens, ce bailer (1) de paix que

(1) On a dit de la réconciliation du 7, que ce n'étois

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