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étoit niellé, ou charbonné, ou chargé d'infectes, le confervateur féparera le beau & gros froment du petit, pour étuver à part ces différens Grains, & le nettoyement devra être fait avec d'autant plus de foin, qu'il n'y aura plus à y revenir quand une fois le froment aura été dépofé dans les greniers de confervation.

Lorfque le froment fera bien nettoyé, il le faut paffer à l'étuve pour cet effet, 10. on le jette à la pêle dans les trémies : 2-. quand l'étuve fera chargée, on defcendra le thermometre par l'ouverture qui eft au milieu de la voûte 3°. il fermera cette ouverture auffi-bien que celle des trémies, & il ouvrira le regiftre qui eft au tuyau de la cheminée : 4o. il allumera le poële & y fera grand feu: 5°. au bout de deux ou trois heures, il tirera le thermometre, pour connoître la chaleur de fon étuve: 6°. quand le thermometre marquera entre 40 & 50 degrés, il fermera les ouvertures du poële & en partie de la cheminée, pour entretenir pendant six heures le feu à un tel point que la liqueur du thermometre fe maintienne entre 40 & 50 degrés : 7°. alors il fermera très-exactement toutes les ouvertures du poële, & quand il ne verra plus fortir de la fumée de la cheminée, il fermera entiérement le regiftre; il laiffera l'étuve ainfi fermée pendant feize heures; après ce temps-là il ouvrira les trois ouvertures de la voûte, pour laiffer les vapeurs humides fe diffiper. Le froment ayant ainfi refté trente ou trente-fix heures dans l'étuve, on pourra le tirer pour le remonter dans le grenier de dépôt.

Ce qu'on vient de dire ne doit être regardé que comme une hypothefe, car il eft évident que les Grains fort humides, doivent refter plus longtemps à l'étuve que les autres, & que les premieres étuves exigent plus de feu & de temps, que celles qu'on fait lorfque le poële & l'étuve font fort échauffés. Ainfi le mieux fera de s'affurer du parfait defféchement du froment en caffant quelque Grain fous la dent; s'il rompt net comme un Grain de riz, il eft parfaitement fec; mais il ne faut faire cette épreuve que fur des Grains qu'on aura tirés de l'étuve pour les laiffer refroidir; car jusqu'au parfait refroidiffement, ils continuent à perdre de leur humidité.

Quand le froment étuvé fera remonté dans le grenier de dépôt, on le paffera encore une fois au crible à vent, pour le refroidir & emporter une pouffiere que la chaleur de l'étuve aura détachée du froment; alors il ne fera plus queftion que de le jeter dans les greniers de conservation, jufqu'à ce qu'ils foient pleins jufqu'aux folives.

Si nous fuppofons que les greniers font remplis, avec les précautions que nous venons d'indiquer, le devoir du confervateur fera de veiller à ce que fes moulins foient en bon état, de fe pourvoir de tout ce qui peut être néceffaire pour remplacer les pieces qui viendroient à manquer, de graiffer tous les endroits où il y aura des frottemens; il tiendra tout exaЯement fermé, & n'ouvrira de trappes & de regiftres que celles qui appartiendront au moulin qu'il éventera actuellement; il doit vifiter les

porte-vents, lorfque les moulins tourneront, pour s'affurer fi l'air ne fe perd pas; & fi cela étoit, il y remédieroit fur le champ avec des pieces de linge enduits de colle forte, dans laquelle on aura mêlé un peu de chaux vive en poudre.

Il profitera de tous les vents pour faire marcher fes moulins, les vents du nord frais & fecs font préférables aux vents du fud, ordinairement chauds & humides,

Il éventera fucceffivement tous les greniers; & s'il appercevoit que le Grain fût plus humide dans les uns que dans les autres, il les éventeroit plus fréquemment ou plus long-temps.

Quand on vuidera les greniers de confervation, on répandra dans le grenier de dépôt, ce qu'on en tirera pour le paffer au crible avant de l'envoyer au moulin où au marché. Cette opération eft néceffaire pour nettoyer le froment d'une pouffiere fine, qui fe détache toujours de fon écorce, & pour adoucir le froment qui eft toujours un peu rude à la main après avoir paffé par l'étuve.

J'abrege extrêmement mon auteur: mon but eft fimplement de donner à la généralité des lecteurs, une idée des manœuvres recommandées par Mr. du Hamel, & des machines qu'il a heureufement imaginées pour en faciliter l'exécution: c'eft, je penfe, tout ce que l'on cherchera ici, & c'eft à quoi je me fuis appliqué. Si quelqu'un vouloit faire des établiffemens femblables à ceux qui font décrits dans l'ouvrage de M. du Hamel, il ne doit pas héfiter de fe procurer fon ouvrage, qui pourra lui fuffire, s'il entend la matiere; finon, il doit vifiter, accompagné de quelque ouvrier intelligent, des établiffemens de ce genre, qui foient actuellement faits,

Il n'eft point d'occafion où le bled demande plus de précaution, que quand on veut le transporter par mer dans des lieux fort éloignés, ou quand on en reçoit arrivé de loin par la même voie. Il n'eft point de vaiffeau qui ne faffe quelque peu d'eau, & cette eau le remplit de vapeurs humides; elle fe corrompt & répand une odeur infecte, fur-tout dans la cale où l'air ne fe renouvelle pas. C'eft pourtant dans la cale qu'il faut loger le Grain, c'eft là auffi où l'on place les vivres, les falaifons, les fromages. De ce mélange s'exhalent des vapeurs qui contribuent à l'altération de l'air renfermé dans la cale, qui le rendent chaud & humide. Il eft impoffible que le froment y refte long-temps, fans contracter une altération confidérable. L'humidité le fait renfler, la chaleur peut le faire germer, la mauvaise odeur fe communique au pain qu'on en fait; c'eft ce qu'une facheufe expérience apprend tous les jours, & qui eft plus ou moins fenfible en raifon de la longueur du trajet. Mr. du Hamel voudroit, pour prévenir le mal, qu'on établit dans les cales des petits greniers ou caiffes, faits avec les mêmes précautions que ceux dont a parlé ci-deffus, & que de plus on eût foin de les brayer & calfater au-dehors, pour empêcher l'humidité d'y pénétrer; qu'on eût foin de deffécher par le moyen de l'étuve, tout le bied

qu'on veut y renfermer; qu'on plaçât dans l'entrepont un grand foufflet dont le porte-vent traverse le pont, pour aller s'ouvrir au-deffous des greniers, en faisant deux coudes, & qu'on eût foin, pendant la traversée, de le faire jouer tous les jours plus ou moins long-temps; après l'arrivée y faire tout ce qu'on fait fur terre au bled, que l'on veut conferver: & ceci eft furtout néceffaire à celui qu'on reçoit du dehors, car on ne peut favoir fi on l'a embarqué avec les précautions convenables, pour en prévenir l'altération quelque foin qu'on fe donne, il en fouffre toujours plus ou moins. Sans avoir vu pratiquer cette méthode, fans avoir eu occafion d'examiner la conftruction des étuves, des greniers de conftruction, des foufflets ou ventilateurs, inventés par l'auteur, il me femble que j'oferois répondre du fuccès & de l'utilité des confeils qu'il donne. Tout ce, fur quoi il pourroit me refter du doute, c'eft fi on ne pourroit pas fe paffer d'une partie des foins & des frais que cette méthode exige. Il doit en coûter pour la fuivre; la dépenfe effraie: ceux fur-tout qui n'ont qu'à peu-près le néceffaire, ne peuvent s'y réfoudre. M. du Hamel répond à cela plufieurs choses; elles reviennent à-peu-près à ceci. Il eft certain que le bled fouffre du décher, en paffant par le crible, on ne peut le nier; mais une partie de ce qui en fort, ne vaut rien du tout : c'eft gagner que de le perdre; ce qui eft bon, comme les menus Grains de froment, ne font pas perdus; ils valent moins que les gros Grains, on ne le nie pas; ils doivent donner plus de fon & moins de farine; mais fi on le vend moins, on doit vendre plus le Grain, dont on l'a féparé; il eft bon, pour femer, & je fais par expérience qu'il peut très-bien réuffir. Quelques economes prétendent même qu'il vaut mieux que l'autre; fi cela eft, j'avoue que je n'en puis deviner la raison. L'étuve doit refferrer le Grain, & n'eft-ce pas une autre perte? Elle n'eft qu'apparente; un Grain humide nourrit moins; nous l'avons éprouvé depuis peu, ce fuc aqueux dont le Grain eft rempli, n'eft pas ce qui le rend propre à nourrir. Quand il en eft dépouillé, il rend plus de farine; elle est meilleure, il se vend mieux, il peut être gardé jufques à ce que le bled fe vende cherement; par-là on fera dédommagé abondamment du déchet qu'il a fouffert, c'eft en quelque forte un mal néceffaire. Pour conserver le vin, il faut le tirer au clair, & il n'eft pas en état d'être gardé, qu'il n'ait fouffert beaucoup de déchet; un propriétaire fur-tout, s'il eft un peu novice, voit cette diminution avec chagrin; les ouvriers qu'il emploie, le confolent en lui difant: le vin ne croit qu'à la vigne; on peut en dire autant à ceux qui voient avec tant de regret la diminution de leur tas de bled. On doit être préparé à ce mal, en fe déterminant à le garder. Celui qui en a une quantité confidérable, fera bientôt payé de toutes fes dépenfes, & de la perte apparente qu'il fait; avec un peu de patience, il n'aura pas lieu de fe repentir d'avoir adopté la méthode que l'auteur lui confeille. Ceux qui en ont moins, peuvent en prendre une partie, & laiffer ce qui leur paroîtra trop difpendieux. Tous en général peuvent profiter jufques à un certain point de fes judicieufes leçons.

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S. I I.

Du commerce des Grains.

JE me propofe d'examiner fi la liberté entiere, indéfinie & parfaite du

commerce des Grains eft avantageufe à l'Etat..

Si j'entendois par la liberté le droit de vendre & d'acheter telle marchandise qu'il plaît à chacun; fans être gêné, ni par des reglemens, ni par des vilitations, ni par des longueurs; ce feroit, je crois, la définition qui feroit le plus au goût de ceux qui crient contre la gêne.

Si je ne me trompe, il y a deux fortes de vendeurs. Les uns qui débitent & fe débarrafient du fuperflu; les autres qui trafiquent en ufuriers de la derniere fubfiftauce & des befoins preffans du peuple.

Si j'entends par liberté du commerce celle de vendre le fuperflu à fa fantailie, ce fera une définition jufte. Cette liberté n'a nul inconvénient; car fi je ne fais que faire de mon abondance, fi perfonne n'en a un befoin extrême chez moi, je ne vois pas pourquoi je devrois la garder.

Si j'entends, au contraire, par liberté du cominerce, celle d'acheter une denrée déjà devenue chere pour la revendre avec ufure, je vois dans l'hiftoire par mille exemples, que ce commerce mene à de grands défordres, & à des révolutions défaftreuses.

Il eft donc clair que la liberté du commerce roule fur l'abondance; car il eft de la derniere abfurdité de vendre ce dont on a befoin foi-même. Un Etat qui exporteroit fon bled dans la difette, reffembleroit à ces fauvages, qui vendent leur hamac le matin, & s'en repentent le foir.

Puifque l'abondance eft la bafe de la liberté du commerce, il faut donc, avant toutes chofes, fonger aux moyens de la faire naître. Les moyens font différens le premier & le plus efficace, c'eft l'agriculture, le défrichement des lieux incultes; le fecond, eft l'importation des denrées étrangeres; le troifieme, c'eft le magafinage, ou les provifions.

D

Que l'agriculture foit le plus efficace des moyens & la bafe du commerce, c'eft ce que perfonne ne contefte. Mais on veut auffi nous perfuader que le commerce eft l'ame de l'agriculture: on nous dit, que pour encourager les cultivateurs, il faut bien payer leur befogne, & leur faire trouver du profit. Cela eft vrai dans le principe, mais faux par la conféquence qu'on en tire. On cherche ce profit dans le haut prix du bled. Ceux qui raifonnent ainfi, n'entendent guere le véritable intérêt des cultivateurs, & nous allons faire voir qu'ils n'ont pas bien vu les objets.

Le cultivateur vendra du bled, lorfqu'il en aura du fuperflu; il na vendra que l'excédent de fes befoins. Mais quand il confomunera luimême fes produits, il ne vendra rien du tout.

Suppofez maintenant, & c'eft le cas de tous les cultivateurs, que cet excédent foit auffi grand ou auffi petit que vous voudrez, vous trouverez

toujours des pauvres qui ne cultivent qu'un, deux ou trois arpens en bled; vous trouverez des grand propriétaires, qui en cultivent des mas de dix, vingt, trente arpens, & même plus. Ces différences font variables à l'infini. Dans les mauvaises années, le pauvre n'aura aucun excédent, mais le riche en aura toujours, à caufe de la quantité d'arpens qu'il a eu foin de mettre en bled. C'eft donc ce dernier qui, dans les mauvaises années, pourra vendre feul.

Dans les années d'abondance, le riche & le pauvre auront prefque tous quelque excédent, ainfi ils feront tous vendeurs, & feront en concurrence les uns avec les autres, les uns plus, les autres moins.

Si donc vous voulez encourager le riche propriétaire dans les mauvaises années, lui qui eft feul maître du prix, il le vendra cher, parce qu'il n'a point ou peu de concurrens. Il vendra cher même aux pauvres cultivateurs. Vous n'encouragez ainfi que les propriétaires riches, qui ne font pas dans le befoin; le pauvre qui n'a point d'excédent à vendre, en eft découragé, parce que tout le poids de la cherté tombe fur lui. Or les grands & riches propriétaires compofent le plus petit nombre des habitans. Vous n'encouragez donc que très-peu de perfonnes. Ces gens vendant à haut prix un excédent, n'auront garde de le multiplier trop, de peur de faire baiffer le prix. C'est ainsi que tout monopoleur raifonne, mais ses fophifmes même font contre fon propre intérêt. Car je vais vous démontrer, que ce n'eft point le haut prix des denrées, qui eft avantageux aux cultivateurs dans les mauvaifes années. Je dis, dans les mauvaises années : il faut bien remarquer cela.

Premiérement. Si le grand cultivateur hauffe le prix du petit excédent qu'il vend aux autres, les travailleurs pour fubfifter, voudront hauffer aussi leur falaire. Or plus la main-d'œuvre devient chere, moins on trouvera de profit dans la culture des terres. Voyez l'hiftoire; comparez les fiecles antérieurs au nôtre; vous verrez clairement, que les hauffemens du prix de la main-d'œuvre a toujours fuivi celui des denrées.

Secondement. Si par exemple, la culture d'un arpent coûte 20 écus, à 25 batz l'écu valeur de Suiffe, & qu'il rapporte 25 mefures de froment, il faut vendre la mefure 20 batz pour recouvrer vos dépenses: or en Suiffe un arpent coûte pour le moins 20 écus, & même davantage en frais de culture. Le froment à 20 batz eft cenfé un prix exceffif, & néanmoins le cultivateur n'y trouve pas fon compte.

Suppofons que cet arpent rapporte so mefures, vendu feulement à raison de 10 batz; cet arpent vous rapportera vos frais. Vendu à 10! batz, vous aurez 5 écus de bénéfice; à 15 batz, vous en aurez c. Le véritable profit du caltivateur doit donc fe trouver dans la grande quantité de fes récoltes, jamais dans le haut prix, qui n'eft qu'une fuite de l'indigence. Troifiémement. Le produit net d'un arpent ne pouvant pas paffer une certaine borne de fertilité, que la nature a donnée à chaque fol, c'est un

grand

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