841. Le bail doit être alors exécuté comme toute donation déguisée ou mélangée d'un contrat à titre onéreux. Mais il est réductible s'il porte atteinte à la réserve des héritiers. La réduction s'opèrera au moyen de la mise par le preneur, dans la succession du bailleur, d'une somme représentant l'avantage supérieur à la quotité disponible (1). Un autre mode de réduction a été proposé : le bail est réduit à une partie des immeubles correspondante au montant de la quotité disponible (la moitié des immeubles, s'ils composent tout le patrimoine du disposant et que ce dernier ne laisse qu'un enfant), sauf réduction proportionnelle du loyer (2). 842. Le bail dont le prix n'est pas sérieux ne donne jamais lieu au rapport successoral (3). 843. Dans les pays où (comme à Paris) le preneur a, après l'expiration de son bail ou du congé, un certain délai pour vider les lieux, aucun loyer n'est, à moins de clause contraire, dû pour la jouissance afférente à ce délai (*). Car le locataire est censé, non pas être encore en jouissance, mais remettre l'immeuble en état et prendre ses dispositions pour déména ger. Réciproquement, si le bailleur autorise le preneur à entrer en jouissance avant le terme fixé par la convention, il n'a droit à aucun loyer pour la période antérieure à ce terme. Peu importe même qu'il ait remboursé au précédent locataire le loyer de cette période (5). II. Nature que doit avoir le prix. 844. La nature que doit avoir le prix n'a pas été déterminée par la loi; cependant on s'accorde à dire que le prix doit con élant principalement une donation déguisée. Cass. req., 20 juill. 1893, S., 93. 1. 424. Riom, 4 juill. 1892, D., 93. 2. 340 (immeubles d'une valeur locative de 14,000 fr. loués pour 7,500 fr.). (1) Laurent, XII, n. 326. (*) Caen, 26 janv. 1880, S., 80. 2. 105, D., 82. 2. 49. S., 40. 2. 112, D., 40. 2. 99. (3) V. notre Tr. des succ., 3o éd., III, n. 2774. Angers, 29 janv. 1840. (*) Duranton, XVII, n. 9; Troplong, II, n. 421; Guillouard, II, n. 498. (5) Trib. paix Paris, 21 mars 1902, Gaz. Pal., 1902. 1. 659. sister en argent (). Rien ne justifie cette nécessité (2), qui cependant est édictée pour les biens de l'Etat et du domaine public (3); et d'ailleurs la loi elle-même range au nombre des baux le métayage, où le prix est payé en nature; l'autorité de Pothier (*), qui était en sens contraire, ne peut donc être invoquée. Ainsi le prix peut consister dans des constructions à faire par le preneur, ou, si le bail est fait en renouvellement, dans les constructions déjà faites par lui (5). De même, on a jugé que le prix de la concession de la jouissance d'un terrain à une commune pour ses foires peut consister, sans que le contrat perde son caractère de bail, dans les déjections des animaux parqués pendant les foires sur le terrain (*). 845. Nous n'insistons pas sur cette question, car elle n'offre aucun intérêt (7). Pothier déjà (*) faisait remarquer que le (1) Trib. paix Borgerhout (Belgique), 14 fév. 1896, Pand. pér. belg., 97. n. 1459. Duranton, XVII, n. 9; Troplong, I, n. 3; Marcadé, art. 1713, n. 3; Duvergier, I, n. 95 et 101; Aubry et Rau, IV, p. 465, § 363; Laurent, XXV, n. 58; Guillouard, I, n. 62 (V. cep. II, n. 614); Fuzier-Herman, art. 1709, n. 19. (2) Bastiné, I, n. 288. – Dès la plus haute antiquité, on voit des baux dont le prix consiste en denrées. V. pour le droit byzantin, Dareste, Les papyrus grécoégyptiens du musée de Berlin, Nouv. Rev. hist. du dr., 1894, p. 691. (3) L'art. 9 de la loi des 19 août-12 sept. 1791 dispose que le prix des baux stipulés jusqu'alors payables en denrées sera converti en argent, sauf les champarts, agriers, terrages et autres redevances en quotité de fruits qui se perçoivent en nature. De là il résulte que les charrois, paille, avoine, etc., ne peuvent être stipulés payables en nature. Mais cette disposition, édictée dans un intérêt de comptabilité, nous parait être purement réglementaire; nous croyons donc que la stipulation de prestations en nature doit être observée. V. cep. Déc. min. fin., 3 juin 1844, Rev. de l'enreg., n. 63, p. 214. A plus forte raison l'Etat doit-il, comme tout ayant cause, respecter les stipulations de ce genre qui se trouvent dans les baux d'immeubles qu'il acquiert, notamment par voie de déshérence. Contra Rev. de l'enreg., loc. cit., p. 213. - On est allé, dans l'opinion contraire, jusqu'à admettre que l'Etat n'a pas à respecter ces stipulations dans les baux d'immeubles appartenant à un condamné par coutumace. Rev. de l'enreg., loc. cit. Enfin nous ne pensons pas que la loi de 1791 interdise les baux à moitié fruits des biens de l'Etat. Contra Rev. de l'enreg., loc. cit. (*) N. 38. (*) Cons. d'Etat, 15 mars 1838, P. (déc. admin.) chr., D. Rép., vo Louage, n. 108 (constructions faites et à faire). Fuzier-Herman, art. 1709, n. 15. (*) Grenoble, 11 mars 1897, D., 98. 2. 428. (7) Colmet de Santerre, VII, n. 156 bis; Laurent, XXV, n. 58. Contra Guillouard, loc. cit. (*) Pothier, loc. cit. bail moyennant un prix ne consistant pas en argent est un «< contrat équipollent à louage et produit les mêmes obligations ». Cette solution est unanimement acceptée aujourd'hui (') et elle ne fait pas de doute. En effet, dans notre droit, tous les contrats sont de bonne foi et on observe l'intention des parties; or, elle est ici évidemment de faire un bail. D'un autre côté, il est de principe que les contrats innommés prennent les règles des contrats dont ils se rapprochent le plus. En vain a-t-on rappelé (2), pour donner à la question une importance, que la concession de la jouissance d'un immeuble moyennant une partie des loyers que le concessionnaire pourra en tirer n'est pas un bail; nous avons montré qu'en effet il n'y a pas, dans cette convention, un bail; mais précisément, les prestations à fournir au concédant y consistent en argent et, d'un autre côté, cet acte ne constitue pas davantage un contrat innommé. Le rapprochement est donc peu heureux. 846. L'art. 2 de la loi du 10 juillet 1889 porte : « Les fruits et produits se partagent par moitié, s'il n'y a stipula» tion ou usage contraire ». Ainsi on peut convenir que les fruits se partageront dans une proportion autre que la moitié, ou que certains produits seront attribués en totalité soit au propriétaire, soit au colon, ou que le propriétaire prélèvera avant partage une portion des fruits pour le paiement des impôts. Les usages contraires visés par la loi varient à l'infini suivant les localités. 847. Le prix consiste généralement dans une somme fixe. Cependant il peut consister dans une somme ou valeur proportionnelle aux produits ou aux bénéfices (3). Le métayage nous offre un exemple d'une semblable convention. La difficulté sera alors de distinguer le bail d'avec la société ('). (1) Trib. paix Borgerhout, 14 fév. 1896, précité. - Colmet de Santerre, Laurent, Guillouard, loc. cit. (2) Guillouard, loc. cit. (3) Trib. civ. Seine, 7 déc. 1898, Gaz. Trib., 29 janv. 1899. 4) V. infra, II, et notre Tr. de la soci té, du prêt, du dépôt. Disons cependant que le bailleur ne devient pas alors un associé, puisqu'il ne participe pas aux pertes ('). A plus forte raison le bailleur peut stipuler, outre une somme fixe, une part proportionnelle dans les bénéfices (2). Lorsque le bailleur a droit à une part de bénéfice, il peut exiger du preneur des comptes comme établissant le chiffre des bénéfices (3), mais il ne peut s'immiscer dans la gestion industrielle du preneur. 848. Il y aura société si le propriétaire de l'immeuble participe aux pertes comme aux bénéfices dans le cas contraire, il y aura bail. A plus forte raison y aura-t-il bail si le propriétaire touche une somme calculée sur les recettes brutes et non sur les bénéfices (*). 849. Le prix peut également varier suivant les époques. Par exemple il peut être plus élevé dans les dernières années que dans les premières, ou en temps de paix qu'en temps de guerre (5). III. Epoques du paiement du prix. 850. Le paiement du prix peut avoir, suivant la convention, lieu ou après l'échéance du terme auquel il s'applique ou d'avance (6). Il peut également avoir lieu dans le cours du terme. (1) V. à propos de l'employé intéressé, infra, II. (2) Orléans, 13 juill. 1892, S., 95. 2. 134, D., 93. 2. 329 (impl.). (3) Trib. civ. Seine, 7 déc. 1898, précité. Ce jugement décide avec raison que le preneur peut comprendre au débit du compte les intérêts des sommes engagées, par lui dans l'entreprise même si elles ont été prises sur son patrimoine personnel, intérêts des sommes versées pour la remise en état de l'immeuble et du matériel, intérêts du loyer payé d'avance, même non productif d'intérêts, coût de l'état des lieux, amortissement des frais de bail. (") Cependant il a été décidé qu'il y a association en participation et non bail dans la convention par laquelle un propriétaire loue son usine à un tiers en s'obligeant à lui fournir les outils et la force motrice, et à payer les salaires du mécanicien et du chauffeur et le charbon utilisé par la machine, moyennant une part des recettes de l'exploitation. - Paris, 25 mai 1897, Loi, 29 oct. 1897. — A notre avis, le contrat constitue plutôt la réunion d'un bail, d'un contrat d'entreprise et d'un marché de fournitures. (5) En ce sens, sur ce dernier point, Aix, 6 déc. 1816, S. chr. - Les juges décident si, à une époque déterminée, il y a paix ou guerre. Même arrêt. FuzierHerman, art. 1709, n. 27. (*) Guillouard, I, n. 216. Le paiement du prix est ordinairement périodique; cependant le prix peut être stipulé payable en une seule fois (1), par exemple lors de l'entrée en jouissance (2). 851. Le bailleur peut, nous l'avons dit, stipuler que le paiement des loyers aura lieu d'avance, notamment que le loyer afférent à chaque trimestre sera payé avant le commencement de ce trimestre. Cette clause est usitée à Paris pour les baux de boutiques. Elle est destinée uniquement, en apparence, à garantir le bailleur contre l'insolvabilité du preneur (3); en réalité, elle constitue aussi un moyen indirect d'augmenter, par la bonification des intérêts, le montant du loyer (*). En pareil cas, le loyer peut être exigé par tous les procédés d'exécution dès le lendemain du jour fixé pour le paiement, et sans qu'il y ait à attendre la fin de la période à laquelle il s'applique (5). Si le jour du paiement d'avance n'est pas exactement fixé, le paiement peut être demandé, pour chaque période, dès la veille du jour où elle commence (®). 852. Des propositions ont été faites à la Chambre des députés pour empêcher le propriétaire d'abuser des loyers payés d'avance (7). (3) Et aussi peut-être contre les responsabilités qui peuvent incomber au bailleur dans le cours du bail. Paris, 12 avril 1886, S., 88. 2. 39. (*) Aussi n'est-elle pas un nantissement, mais un paiement anticipé. Cass. req., 24 juil. 1905, Rép. pér. enreg., n. 11029. — Trib. com. Seine, 10 mai 1900, Droit, 22 juin 1900. (5) Ainsi il peut donner lieu à une saisie-gagerie. Trib. civ. Toulouse, 5 janv. 1899, Gaz. Trib., 6 avril 1899. — Trib. civ. Seine, 25 mars 1899, Droit, 30 mars 1899. - Trib. paix Autran, 6 mars 1900, Mon. jud. Lyon, 19 janv. 1901. - Mais seulement à partir du lendemain du jour fixé pour le paiement. Trib. civ. Toulouse, 5 janv. 1899, précité. (6) Trib. civ. Toulouse, 5 janv. 1899, précité. (7) Proposition Pétrot, déposée à la Chambre des députés le 8 février 1894, Journ. off., Doc. parl., n. 360, p. 136, Lois nouvelles, 1894, 4o p., 40. - Arl, 1er. Les cautionnements, dépôts de garantie et les sommes remises à titre de loyers d'avance par les locataires aux propriétaires devront être versés à la caisse des dépôts et consignations. Il sera délivré à chacun des intéressés un reçu sur lequel sera mentionné le taux d'intérêt fixé d'après les usages et règlements de ladite Caisse des dépôts et consignations. Art. 2. Dès le premier trimestre de chaque |