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distance qu'il pouvait parcourir sans violer la constitution. Là, il eût trouvé un détachement de troupes sûres ainsi que la garde nationale locale, et par une proclamation faite en toute liberté, il aurait recouvré la confiance publique.« Il sauverait le Roi, disaient les courtisans, mais non la royauté, » car pour les courtisans la royauté constitutionnelle n'était rien. La Reine répondit : « que ce serait trop de devoir encore une >> fois la vie à M. de Lafayette. » On a su depuis par les Mémoires de M. Hue, premier valet de chambre de Louis XVI, imprimés à l'imprimerie royale, en 1814, que le refus qu'on attribuait seulement aux conseils intérieurs et aux répugnances de la cour pour les patriotes, était spécialement dû « à une » lettre du duc de Brunswick, écrite du quartier gé» néral de Coblentz. » Le Roi y était conjuré d'attendre « à Paris que les troupes coalisées et les émi» grés vinssent l'y chercher. » Lafayette, repoussé dans tous ses efforts pour garantir les jours du Roi et de sa famille, n'eut qu'à poursuivre sa route vers la frontière de Sédan.

Le 8 août, l'assemblée nationale délibéra sur la dénonciation portée contre Lafayette. Il fut décidé, après de vifs débats, et à la majorité de 407 voix contre 224, qu'il n'y avait pas lieu à accusation. Le lendemain 9, un grand nombre de députés qui avaient voté pour lui, eurent à se plaindre d'outrages et de violences exercés contre eux. La très-grande partie de l'assemblée se leva (voyez le logographe), en criant: « Nous le déclarons tous, nous ne sommes

» pas libres!» On sait ce qui se passa le 10 août. Lafayette crut devoir résister; il fut courageusement secondé par la municipalité de Sédan et le département des Ardennes. Les nouveaux ministres lui écrivirent des lettres flatteuses. Les commissaires du parti vainqueur, arrêtés par cette vertueuse municipalité de Sédan, égorgée depuis sur l'échafaud de la terreur, lui firent proposer d'accéder à une révolution, qui, en le débarrassant du roi, le placerait à la tête du nouvel ordre de choses; il s'obstina à ne pas reconnaître la violation des lois jurées. On sait avec quel inflexible dévouement il persista, jusqu'au dernier moment, dans une opposition de plus en plus désespérée. De soixante-quinze départemens qui avaient adhéré à sa lettre du 16 juin, il ne lui restait que celui des Ardennes. Diétrich et ses amis succombainet dans leur résistance à Strasbourg. Les membres de la majorité de l'assemblée ne se faisaient plus entendre; les troupes, les généraux, les commandans de ses propres divisions, après s'être, pour la plupart, déclarés en sa faveur, fléchirent et ne tardèrent pas à céder de tous côtés. Tous les moyens furent employés pour lui enlever l'appui du corps qui l'entourait à Sédan; et, dès le 19 août, il ne lui restait de ressource que dans une rétractation honteuse, une mort sans gloire et sans fruit, ou la chance d'une retraite en pays neutre.

Dans la récente publication des Écrits de Jefferson on trouve une lettre très-curieuse écrite à Lafayette en 1815. Cet illustre chef de la démocratie républi

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caine rappelle à son ami comment, à l'époque du serment du Jeu-de-Paume, il lui conseilla de s'en tenir aux propositions du roi jusqu'à ce que la nation française fût plus avancée dans son éducation politique. « Vous fûtes d'un autre avis, ajoute-t-il, » et j'ai reconnu que vous aviez eu raison, car votre » pays était au niveau de la constitution de Mais 91. lorsqu'en 92 des politiques de cabinet, étrangers >> à la connaissance des hommes, eurent l'imprudence >> de compromettre ce qu'on avait gagné sous le nom >> de monarchie limitée, pour l'incertitude de quel» que chose de plus, sous le nom de république, >> vous vous opposàtes à eux, vous voulûtes vous >> arrêter à la constitution de l'assemblée consti>> tuante; là encore vous avez eu raison, l'expérience » l'a prouvé, et de cette fatale erreur de ceux des >> républicains qui se séparèrent alors de vous, sont >> venus les souffrances et les crimes de la nation d'anar>> française. Les étrangers eurent le moyen >> chiser par la corruption ceux qu'ils ne pouvaient » pas vaincre par les armes, d'étouffer les vrais >> républicains dans le fraternel embrassement des >> exagérés et des traîtres, et d'amener deux tyran› nies sans principes, celle de Robespierre et celle >> de Bonaparte. » La conduite de Lafayette, voulant, en 89, aller jusqu'à la constitution de 91, et s'y arrêter en 92, ne présente-t-elle pas une frappante conformité avec son programme de l'Hôtel-de-Ville : un trône populaire entouré d'institutions républicaines.

« Ma position est vraiment étrange, » écrivait-ilde

sa prison de Magdebourg au chevalier d'Archenholz, dans une lettre alors secrète, mais imprimée depuis; j'avais sacrifié des inclinations républicaines >> aux circonstances et à la volonté de la nation; je » servais sa souveraineté dans la constitution qui >> en était émanée; ma popularité était grande; le >> corps législatif me défendait mieux le 8 août qu'il >> ne s'est défendu lui-même le 10; mais j'avais déplu >> aux jacobins, en blàmant leur aristocratie usurpa>>trice des pouvoirs légitimes; aux prêtres de toutes >> les classes, en réclamant contre eux tous la liberté » religieuse; aux anarchistes, en les réprimant; aux >> conspirateurs, en repoussant leurs offres. Voilà >> quels ennemis s'unirent à ceux que les puissances » étrangères, les anti-révolutionnaires, la cour >> même soudoyaient contre moi. Rappelez-vous, >> monsieur, l'aggression préméditée du 10 août, les >> forces requises au nom de la loi, égorgées >> du peuple; les citoyens sans distinction d'âge ni » de sexe, massacrés dans les rues, jetés dans des >> brasiers, dans des prisons pour y être assassinés » de sang-froid; le Roi ne sauvant alors sa vie que » par une suspension illégale ; la garde nationale dé» sarmée, les plus anciens et les plus fidèles amis de >> la liberté et de l'égalité, un La Rochefoucauld en>> fin, désigné aux meurtriers; l'acte constitutionnel >> devenu un signe de proscription; la presse enchaî

née, les opinions punies de mort, les lettres violées » et falsifiées, les jurés remplacés par des coupe» têtes, et le ministère de la justice donné à leur

» chef; les corps administratifs et municipaux de » Paris cassés, recréés par une émeute; l'assemblée >> nationale forcée, le poignard sous la gorge, à >> sanctionner ces fureurs; en un mot, la liberté » naturelle, civile, religieuse et politique étouffée >> dans le sang. Que dut penser, que dut faire l'homme >> qui, n'ayant jamais respiré que pour la liberté, avait >> le premier, en Europe, proclamé la déclaration des >> droits; qui avait, sur l'autel de la fédération, pro» noncé, au nom du peuple français, le serment >> civique, et regardait alors la constitution, malgré >> ses défauts, comme le meilleur point de ralliement >> contre ses ennemis! Quoique la souveraineté na» tionale fût violée dans les représentans comme >> dans les nouvelles délégations de pouvoirs, je ne >> voulus point que la force armée cessât d'être obéis>> sante; et c'est aux autorités civiles à portée du >>> camp que je demandai des ordres. Sans doute je >> souhaitais vivement qu'une réclamation générale >> rétablit la liberté publique, celle des pouvoirs >> constitués; et si, assurant l'indépendance des >> élections et des délibérations, la nation avait voulu >> revoir l'acte constitutionnel, m'en serais-je plaint, » moi, le premier, le plus opiniâtre défenseur des >> conventions? Sans doute, j'étais trop loin de m'as>>>socier aux crimes commis, et à ceux que je pré» voyais, pour ne pas encourager cette résistance à » l'oppression, que je regardais comme un devoir; >> mais j'ose dire que ma conduite, quelque diffi» cile qu'elle fût, est à l'abri du plus sévère examen.

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