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<«< ici-bas une vie solide et utile au monde, et qui << puisse nous conduire à une autre plus durable et plus heureuse. Entre toutes ces lectures, je crois

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qu'il y a surtout trois points auxquels il faut s'appli« quer principalement : savoir, à la connoissance du <«< cœur humain, à celle des droits publics et à celle de l'histoire, qui sont, je crois, très-utiles dans le triste « rang où je suis, quoique j'eusse beaucoup plus de « goût pour d'autres études. Vous voyez que, pour <«< faire bien, il ne manque que la bonne volonté. « Voilà assez de morale; et je finis ma pancarte en <«< vous assurant, monsieur, de ma tendre amitié, qui «ne finira qu'avec ma vie. »

C'étoit une belle occasion, pour le maréchal, de donner à l'héritier du trône des conseils relatifs à sa destinée. Il lui dit (le 6 juin), après des complimens peu remarquables :

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<< Continuez, monseigneur, à faire de l'exercice : il vous est absolument nécessaire. Permettez même «< que je vous représente que si, dans l'âge où vous «< êtes, vous ne travaillez à surmonter le goût de la << vie sédentaire, votre santé en souffrira par la suite; «<et ce qui est de plus dangereux, c'est qu'une habi«<tude une fois contractée ne se change plus qu'avec << des peines infinies.

«Je ne conclurai pas de là, monseigneur, que vous << deviez passer votre vie dans les forêts : je pense que «< cette extrémité n'est pas à craindre pour vous. Mais <«< il y a un juste milieu dans lequel la raison a établi << son empire: il est, à la vérité, peu connu. On peut espérer qu'après la découverte des terres australes, << on en aura une plus parfaite connoissance. Ce juste

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milieu, souffrez, monseigneur, que je vous le dise, << doit être cependant l'objet principal qui doit servir « de règle pour la conduite de tout homme raison<<nable et s'il est nécessaire dans les particuliers,

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il devient indispensable dans les grands, et surtout << dans les princes que la Providence a donnés aux << hommes pour les gouverner, et dont l'exemple a «< tant de pouvoir sur les cœurs et sur les esprits.

<< Vous avez bien raison, monseigneur : la véritable << étude d'un prince est la connoissance du cœur hu«<main. Mais il ne faut pas se borner à le connoître << en philosophe, et d'une manière purement spécu<«<lative : il convient qu'un prince connoisse le génie

des nations, surtout de celles qui sont dans la proxi«mité de ses Etats, et avec lesquelles il doit avoir << une relation indispensable.

<< Mais le plus essentiel est de bien démêler et pé<< nétrer le caractère, l'esprit, les sentimens et les di<< vers talens de ceux qui, par leur naissance et leur <«< état, environnent les princes. Les hommes ne pa<< roissent le plus souvent devant eux qu'avec un « masque qui cache leurs intérêts et leurs vues par«ticulières; et il faut dissiper le nuage qui les couvre << aux yeux de celui qui doit les employer, selon les « différens genres auxquels ils sont le plus propres.

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« L'étude du droit public et de l'histoire est abso<«<lument indispensable pour un prince. Vous devez, monseigneur, remercier Dieu de ce qu'il vous donne « la force de résister à la tentation de vous appliquer « à d'autres sciences qui seroient plus de votre goût. «La raison doit toujours l'emporter sur vous, mon

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seigneur. Laissez aux dévotes de notre temps ce qu'elles qualifient de leur attrait : c'est une de «<leurs expressions favorites, à l'abri de laquelle elles << oublient souvent leurs devoirs, pour se livrer à << leur imagination et à leur goût.

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« Pour vous, monseigneur, surmontez vos pen«< chans, lorsque vous sentez qu'ils sont contraires à << l'état où la Providence vous a placé. Personne n'en jugera mieux que votre propre cœur : il est bon, il «<est juste, il est simple, il est droit suivez-en les << mouvemens; et si par hasard il venoit à se tromper « pour quelques instans, quelques réflexions le ra<< mèneroient bientôt dans le véritable chemin que <<< vous aurez à suivre.

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« C'est par là que vous remplirez vos hautes et << grandes destinées, que vous ferez le bonheur et la <«< gloire de la France, et que vous mériterez la vé<<nération de l'univers entier.

<< Pardon, monseigneur, de ma liberté, et de la «< longueur de cette épître, qui sent un peu le ser<< mon. Mais prenez-vous-en à vous-même : c'est vous << qui m'inspirez toute cette morale. Je me suis laissé « entraîner au même penchant philosophique que « j'ai connu en vous. Ainsi, monseigneur, mon ex<«< cuse doit se trouver dans l'envie que j'ai de vous plaire, et de vous faire ma cour. »

La France a pleuré ce prince, qui sembloit né pour la rendre heureuse; qui avoit approfondi les principes du gouvernement; qui vouloit réformer les abus par les moyens les plus efficaces; qui, éclairé par l'étude et la réflexion, saisissoit la vérité au milieu des 29

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450 [1746] MÉMOIRES DU DUC DE NOAILLES.

prestiges de l'erreur; qui joignoit la bravoure à la politique et aux vertus; en un mot, qui devoit régner en sage sur une nation flexible et courageuse, dont le souverain bien est d'avoir un roi digne de la gouverner.

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Paris, imprimerie de A. BELIN, rue des Mathurins S.-J., n°. 14.

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