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pourrait beaucoup plus tôt prononcer l'abolition du cours forcé. Mais il déclara que le Gouvernement était de l'avis de M. Faucher quant à la nécessité d'étendre la circulation, et il annonça qu'il présenterait très-prochainement un projet (23 novembre).

Ce projet fut discuté le 21 décembre. Il tendait à élever de 452 à 525 millions le maximum d'émission des billets de la Banque de France. M. Savatier-Laroche attaqua ce projet comme devant être funeste aux intérêts du Trésor et à ceux de la Banque. Comment, répondit M. Fould, le crédit de la Banque pourrait-il être affecté par cet accroissement de circulation, dont elle aurait l'équivalent soit en bonnes valeurs dans son portefeuille, soit en numéraire et en lingots dans ses caves? Et quant au Trésor, qui avait emprunté 100 millions à la Banque, qui lui en emprunterait bientôt cent autres, où aurait-il pu trouver de l'argent, non pas à de meilleures, mais à d'aussi bonnes conditions? M. Sainte-Beuve traita la question à un autre point de vue, l'abolition du cours forcé. L'honorable orateur, qui voyait dans les billets de banque une simple variété des assignats, croyait que le moment était venu de rendre à ce grand établissement sa liberté d'action et de l'autoriser à reprendre ses paiements en numéraire. Mais cette question de l'abolition du cours forcé était intimement liée à celle du remboursement des 100 millions dus par le Trésor à la Banque; pour pouvoir la trancher comme l'aurait voulu l'orateur, il eût fallu que le Trésor pût se passer des cent autres millions qu'il se proposait de demander encore à la Banque. Or, l'État était-il en mesure de rembourser? Pouvaitil même se passer des 100 millions de 1850? Non, répondirent MM. Wolowski et Léon Faucher. Ce dernier orateur loua la sage hardiesse avec laquelle le Gouvernement provisoire avait établi le cours forcé des billets. Après un discours de M. Raudot qui voyait la banqueroute au bout de notre situation financière, tous les amendements proposés furent rejetés et le projet fut adopté à une très-grande majorité (22 décembre).

Nous n'insisterons pas longuement sur une autre question financière, l'impôt des boissons. Cette question se représentera dans le cours de l'année 1850. L'agitation dite vinicole, aussi ancienne que l'impôt lui-même, ne pouvait manquer d'être ex

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ploitée par l'esprit de parti. L'abolition, si imprudemment votée par la Constituante, avait été introduite à l'improviste et par voie d'amendement dans la loi de finances de 1849 et votée sans débat. La question était donc toute politique. L'intérêt des producteurs et des consommateurs, mis en avant comme machine de guerre, n'était pas sérieusement en jeu. Sur 65 conseils généraux qui avaient donné un avis, 54 s'étaient prononcés pour le maintien de l'impôt, 9 seulement contre. La discussion commença le 11 décembre. Combattu par MM. Anthony Thouret, Pradié et Frédéric Bastiat, l'impôt fut défendu par M. de Charencey au point de vue financier, par de Montalembert au point de vue politique. Puis vinrent MM. Grévy et Pascal Duprat contre la taxe, MM. Léon Faucher et Charles Dupin pour. M. Jules Favre et M. Mauguin, ce dernier représentant plus particulier de la question vinicole, eurent enfin pour adversaire M. Passy. Au milieu des longueurs de la discussion genérale incessamment renouvelée, une nécessité évidente faisait préjuger la question et ne laissait place qu'à un tournoi oratoire d'économistes et de politiques distingués. La responsabilité du Gouvernement était engagée encore quelques jours et le délai fixé par la Constituante allait expirer. Après une véritable hécatombe d'amendements, le projet fut donc adopté à la majorité de 173 voix, 418 contre 245 sur 663 votants (20 décembre). Au fond, la question restait tout entière. L'Assemblée avait cédé aux exigences de la situation financière : elle n'avait pas voulu décider que l'impôt ne laissait rien à désirer, qu'il n'y avait pas lieu d'en modifier l'assiette, la répartition, le mode de perception. Une enquête allait être ouverte qui devrait être terminée avant le 1er juillet 1850; elle porterait sur l'état de la production et de la consommation des vins et des esprits, sur l'influence exercée par la taxe en cette matière et sur toutes les modifications possibles. Nous attendrons les résultats de cette enquête pour exposer les arguments et les chiffres des deux opinions opposées.

Chemins de fer. — On a déjà vu plus haut que quelques lignes peu importantes avaient été inaugurées pendant l'année. Mais les grandes lignes interrompues par la crise de 1848 paraissaient devoir être encore pour longtemps ajournées. La plus importante

de toutes, celle qui doit relier les mers du Nord à la Méditerranée, était loin d'être achevée sur la partie commencée du parcours : une lacune considérable entre Lyon et Avignon n'était pas même entamée.

M. le ministre des Travaux publics demanda, le 8 avril, une somme de 7 millions, dont la presque totalité devait être affectée aux travaux de la section de Châlons-sur-Saône à Lyon; le reste, soit 1 million, aurait servi à grossir l'allocation de 34 millions, déjà inscrite au budget de 1849 pour la section de Tonnerre à Dijon. La commission, s'autorisant de ce que les travaux de terrassement n'étaient pas même commencés dans la section de Châlons-sur-Saône à Lyon, et objectant avec raison que, dans la situation actuelle de nos finances, il convenait de se refuser à toute dépense qui ne serait pas immédiatement ou prochainement profitable, proposait d'écarter le projet du ministre, de réduire le crédit à 3 millions, et de l'appliquer exclusivement aux travaux en cours d'exécution entre Paris et Châlons-sur-Saône. Les conclusions du Gouvernement furent repoussées par 510 voix contre 44, au bénéfice de celles qu'avait proposées la commission. Quant à M. Morellet, partisan décidé de l'exploitation par l'État, M. le ministre des Travaux publics lui avait répondu d'avance, en déposant, presque au début de la séance, un projet de loi tendant à concéder directement à une compagnie le chemin de fer de Paris à Lyon et à Avignon. L'examen de ce projet fut renvoyé à la commission permanente du budget. Cependant une compagnie offrait de se charger de l'exécution du chemin de fer de Paris à Avignon. La véritable question devenait celle-ci. Avec un budget en déficit et des finances pour longtemps obérées, l'État ne devait-il pas accepter avec empressement toute offre sérieuse? C'est ce que pensa M. le ministre des Travaux publics. Un projet fut done tracé, qui n'imposait au Gouvernement que 114 millions à débourser en faveur de la compagnie concessionnaire. En voici le détail :

L'État abandonnait à la compagnie les travaux faits ou à faire sur la ligne de Paris à Lyon, d'ici à la fin de décembre 1849. Or, ces travaux avaient coûté à l'État : Rachat du chemin aux actionnaires de l'ancienne compagnie de Lyon. Ce rachat avait eu lieu

au prix de 7 fr. 60 c. de rente 5 pour 100 par action, en vertu d'un décret de l'Assemblée constituante, en date du 7 août 1848, ce qui représentait 109 fr. par action; soit pour 400,000 actions. .

Crédits ouverts en 1848 et 1849 pour la continuation des travaux au compte de l'État...

A quoi il fallait ajouter:

Coût de la traversée de Lyon, mise à la charge de l'État par le projet de loi..

Subvention accordée en sus à la compagnie..

Total.

44,000,000 fr.

54,000,000

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24,000,000

Mais l'État avait reçu des anciennes compagnies tombées en déchéance (notamment de l'ancienne compagnie de Lyon à Avignon) 23,500,000 fr., montant de leurs cautionnements. L'État ne voulait pas bénéficier de cet argent. Sices compagnies avaient encouru la déchéance, elles n'avaient pas plus mérité les rigueurs du fisc que les souscripteurs de l'emprunt de 1847, auxquels M. Goudchaux avait restitué leurs cautionnements en les appelant à souscrire un nouvel emprunt qu'il avait négocié. Le projet de loi de M. Lacrosse consacrait justement une restitution analogue. Il voulait que les cautionnements. des compagnies frappées de déchéance fussent rendus, et il chargeait de cette restitution la compagnie de Paris à Avignon; ce qui imposait à celle-ci une charge de 25 millions 500,000 fr., qu'il fallait par conséquent déduire du chiffre de la subvention accordée.

Restait.

15,500,000

137,500,000 fr.

23,500,000

114,000,000 fr.

En retour de cette subvention, la compagnie s'engageait à dé

penser 240 millions.

Tel était le projet sur lequel l'Assemblée nationale aurait à décider en 1850. Sur la partie comprise entre Marseille et Avignon, il ne s'agissait que de venir en aide à la compagnie concessionnaire du chemin, et de garantir jusqu'à concurrence de 6 114 pour 100 pendant toute la durée de la concession, soit pendant trente-trois ans, les intérêts de l'amortissement de l'emprunt de 30 millions, que cette compagnie se proposait de contracter pour l'achèvement de ses travaux et l'acquittement de ses dettes. Un membre, M. de Mouchy, émit l'opinion que ces conditions ne suffisaient pas à relever la compagnie du chemin de fer d'Avignon à Marseille de la situation fâcheuse que lui avaient créée les événements politiques et les erreurs commises dans les devis primitifs; il proposa d'étendre à quatre-vingt-dix-neuf ans la durée de la concession, et de garantir, au nom de l'État, à la compagnie l'intérêt à 5 pour 100, et l'amortissement pour quatrevingt-dix-neuf ans de l'emprunt de 30 millions.

C'est sur cet amendement, appuyé par M. Sainte-Beuve, combattu par MM. Morellet et Lherbette, que s'établit le débat. Le nouveau ministre des Travaux publics exposa le système qu'il se proposait de suivre à l'égard des compagnies de chemins de fer. Ce système ne consistait pas à accorder aux compagnies conces sionnaires des avantages à titre gratuit, comme le proposait M. de Mouchy; il s'appuyait sur le principe de la réciprocité. L'État avait jusqu'à présent donné aux entreprises de chemins de fer beaucoup d'argent et peu de temps; il devrait, à l'avenir, selon M. Bineau, leur donner peu d'argent et beaucoup de temps. Son intérêt était de s'entendre à l'amiable avec elles, de prolonger la durée de leurs concessions, et d'obtenir en retour des conditions nouvelles. Ces conditions seraient de diverses natures; ce serait, pour les chemins de fer non terminés, l'exonération des charges qu'impose à l'État la loi du 11 juin 1842; pour les chemins ter minés, mais qui se seraient obligés à ouvrir des embranchements, la construction de ces embranchements; pour les lignes complétement achevées enfin, l'abaissement de certains tarifs exagérés et la modification de telle ou telle clause des cahiers des charges. M. le ministre se promettait les plus heureux effets de ce système qui, tout en allégeant les dépenses du Trésor, devait, à

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