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la patrie. Si nous étions forcés de détruire une feconde conftitution, nous deviendrions la rifée de l'univers ; on nous diroit que femblables aux ignorans architectes, nous faitons fans ceffe & défaifons notre propre ouvrage. Si au retour périodique de la canicule nous étions forcés de recourir à une nouvelle infurrection, ce remède violent pourroit amener enfin la diffolution de l'empire.

Mais pourrions nous nous flatter que nos réclamations ne feront point étouffées, fi nous laiffons, comme par le paffé, à nos légiflateurs le foin de vérifier eux-mêmes réciproquement leurs pouvoirs? Ce ne peut être, d'ail Icurs, un droit de la convention nationale, puifqu'elle ne peut préexifter à elle-même, & qu'elle n'exifte qu'autant que les pouvoirs de fes membres font reconnus.

Que ce droit foit délégué par les départemens à ce petit nombre de repréfentans fidèles indiqués par l'appel nominal de la trop fameufe féance où l'on eût l'impudeur d'abfoudre Lafayette: c'eft le creufet de la législature que le jugement épuratoire des élus à la conven tion nationale fe faffe avec pompe & folennité; qu'on rejette non-feulement ceux dont la miflion feroit légitimeinent contestée, mais encore celui qui feroit évidem ment reconnu pour nu! ou mauvais citoyen; qu'on ait le courage de dire, aux commettans: Vos électeurs ont trahi votre confiance.

La convention nationale ainfi purifiée dès fa naiffance, doit fe circonfcrire dans les bornes des fonctions auguftes de legislateurs. Que fa première opération foit done d'organifer un gouvernement provifoire, dont la marche foit également mefurée & rapide. Une commiffion légit lative, prife dans fon fein, composée d'un membre de chaque département, dont les fonctions feront de décré ter provifoirement, & pour la durée de la convention feulement, ce qu'elle jugeroit bon & expédient, soit pour la sûreté extérieure, foit pour l'adminiftration in térieure de l'empire, avec ce principe unique pour bafe de fes décifions: Le falut du peuple eft la fuprême loi. Cette efpèce de dictature feroit tempérée par la furveil lance de la convention nationale, à laquelle la commiffion législative, de concert avec le confeil exécutif provifoire feroit tenus de rendre un compte fommaire tous les huit jours, & qui feroit rendu public par la voie de impreffion. On pourroit encore atténuer les dangers

de cette même dictature, en renouvelant le quart de les membres tous les mois.

Le plan que nous propofons auroit d'abord l'avantage d'accélérer la confection d'une nouvelle conftitution, but fpécial de la convention. En effet, les législateurs n'étant plus diftraits & accablés par les détails multipliés de l'adminiftration, aborderoient de front les grands principes du droit public, ou, pour mieux dire, leur application à nos mœurs, à notre pofition, à nos rapports extérieurs & commerciaux. Dès-lors les féances ne feroient ni trop longues, ni précipitées; elles offriroient toujours un nouvel intérêt; les légiflateurs pourroient fe recueillir, méditer, & confulter les fages de tous les temps & de tous les lieux qui ont foupiré après la libération du genre humain. Dès- lots difparoîtroient ces comités, repaires ténébreux de la cabale, vrais foyers de corruption; ou du moins s'il exiftoit des comités, ce ne feroit que pour l'ordre du travail & pour imposer à chacun fa tâche..

Un fecond avantage du plan que nous propofons, est de prévenir l'oligarchie. Ceci mérite quelque explication.

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Lorfque dans une république une poignée de gens s'emparent du gouvernement, c'est l'oligarchie, gouvernement déteftable & auffi défaftreux, pour ne rien dire de plus que l'ariftocratie. Qu'importe, en effet, au peuple une fois dépouillé de l'exercice de fes droits, d'être la proie d'une cafte privilégiée ou d'une poignée d'intrigans & de factieux Les premiers le tiennent au pain & à l'eau dans les fers; les feconds le vendent à l'encan.

Nos premiers conftituans, après avoir abattu l'aristocratie des nobles robins, églifiers & financiers, s'empa rèrent de tous les pouvoirs; ce fut par conféquent une véritable oligarchie : ils s'efforcèrent de fe mantenir dans cet état, en nous berçant du doux efpoir d'une conftitution dont ils éternifoient le travail; c'étoit la toile de Pénélope; on défaifoit la nuit l'ouvrage du jour. Forcés

par l'opinion, leur feul appui, & dont ils avoient tant abuse, de fe défaifir d'une repréfentation néceffitée par des circonftances impérieufes, ils pactifèrent avec le tyran dont on n'avoit abattu que le donjon; le peuple fut vendu, livré par les prétendus libérateurs.

Inftruits par l'expérience du paffé & de quatre années

de révolution; ne laiffons point les pouvoirs fe cumu ler fur la tête des députés à la convention nationale. Il importe fur-tout qu'on leur rappele fonvent qu'ils font mandataires, légiflateurs, & non représentans (1). C'eft en effet en abufant de ces derniers noms que les députés à l'affemblée conftituante ont fubftitué leur volonté propre à celle de leurs commettans.

Que le peuple, pendant la durée de la convention nationale, fe réuniffe fouvent & périodiquement en affemblées primaires; qu'il s'inftruife de tout, qu'il furveille tout, qu'il rappele & frappe de tout le poids de fa colère les fonctionnaires publics, mandataires, &c. qui feroient tentés d'abufer de fa confiance; qu'il ne ratifie pas aveuglément tout ce qu'ils feront; il eft le juge le plus clair-voyant de fes propres intérêts; fur-tout point d'inviolabilité de droit ; ce titre ne feroit qu'un faule conduit accordé témérairement à des ennemis, à des traî tres; le défenfeur généreux & incorruptible des droits du citoyen fera toujours inviolable de fait.

Des électeurs & des élus.

Jadis, la plus mince affemblée ne fe mettoit en befogne qu'après avoir pieufement chanté le Veni creator."

(1) Le mandataire eft un fondé de pouvoir pour annoncer les intentions, la volonté de fes commettans; le légiflateur eft chargé de rédiger & propofer les loix, mais il ne peut leur donner force impérative; elles ne tiennent ce caractère que de la fanétion du peuple ; le repréfentant eft celui qui fe fubftitue individuellement à un tout collectif, veut, agit pour lui. C'eft en ce fens que Rouffeau a dit que là où il y a des représentans, il n'y a plus de liberté, ce qui eft très-vrai, mais n'exclut point le gouvernement repréfentatif. Ce gouvernement' fera libre, fi les députés à la convention ou à la légiflature n'excèdent point les pouvoirs des mandataires, & ne fubftituent point leur volonté particulière à ceile de leurs commettans. Le pas, il est vrai, eft très-gliffant, & la méprife affez naturelle; auffi cet état ne peut fubfifter ongtemps, fi le peuple ne s'éclaire & ne veille continuelle,

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Du moins les têtes vides de ce temps-là fentolent leurs befoins, & demandoient en haut des lumières qu'elles ne trouvoient point ici bas. Cependant nous ne voyons pas que la meile-rouge annuelle de la Saint-Martin ait inspiré à la grand'chambre beaucoup d'arrêtés dignes d'un corps de fénateurs placé entre la nation & le defpote.

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Nos électeurs moins dévots ont pris cette année une meture p us efficace; ils ont confacré leur première féance à s'éplucher eux-mêmes; & déjà ils ont chaffé d'entre eux trois ou quatre faux-frères dont les noms fe trouvoient fur le répertoire du club de la Sainte-Chapelle & des Feuillans, & au bas de certaines pétitions anti-civiques.

Il eft des gens qui, fans être aufli coupables en apparence, n'en doivent pas moins être écartés de la convention. Par exemple, ceux dont le patriotifme n'a été qu'une fièvre intermittente; ces écrivains pufillanimes qui, dans le cours de la révolution, ont changé vingt fois de principes & de patrons; ou bien ceux à qui le maffacre du 17 juillet, au champ de Mars plume, ceux encore qui fe font bien gardés de mettre a fait quitter la le pied dans aucunes fociétés populaires, & de s'afficher fur aucune lifte, mais qu'on vus faire anti-chambre & piquer la table chez Lafayette; ces gens de lettres qui ont attendu que la révolution ait pris une certaine confiftance pour fe déclarer en fa faveur ; ces faux amis de la liberté, qui difparoîtront au premier revers de la nation, & qui peut-être fe mettroient contre elle fi l'ennemi avoit le deffus.

Si le fyftême monarchique des deux chambres eût prévalu, des efprits ordinaires, mais déliés, des hommes comme il y en a tant, euffent fuffi à la convention. Mais aujourd'hui que toute la nation fe lève le ferment de ne plus fouffrir de roi à fa tête, pour faire faut prendre des fentimens analogues à cette difpofition énergique. Il nous faut des caractères prononcés, ames fortes, des genies mufculeux & athlétiques.

il nous

des

Un célèbre antiquaire difoit que toutes les fois qu'il paffoit devant la ftatue d'Hercule, il fe croyoit grandi de plufieurs pieds. Tous fes membres fe roidiffoient; fon pas. devenoit plus grave, plus fûr, fa voix plus mâle, le mouvement de toutes fes artères plus fenfible.

No. 165. Tome 13.

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!

Voilà de quelle trempe doivent être nos législateurs. Il n'eft pas furprenant que jadis nous priffions, ma gré nous ou à notre infu, toutes les allures balles des etclaves, quand nous permettions à un de nos femblables de s'affeoir au-deffus de nous: mais aujourd'hui que la Liberté feule eft notre fouveraine, fi en la contemplant au milieu de nous, fon image fainte n'agite point notre fang, n'anime point notre regard, ne nous échauffe point jufqu'aa délire; fi nous ne fentons pas notre cœur battre au récit des vertus républicaines, nous ne fommes pas nés pour être libres; retournons à la royauté, redemandons nos anciens fers à Louis XVI.

Des hommes, mais en très-petit nombre, fe font déjà montrés à nous tels, à plufieurs égards, que nous défirons tous nos députés à la convention nationale. Danton a fourni fes preuves dans plus d'une occafion, & Marat dans quelques-unes de fes feuilles. Nous fommes fâchés que ce dernier, toujours trop plein de lui, laifle déborder des fentimens qui s'accordent mal avec la moralité d'un légiflateur patriote. Les liftes de profcription qu'il lâche de temps à autre dans le public, n'offrent pas toujours ce caractère d'impartialité & de juftice, fi néceflaire à des mefures auffi violentes. Quelquefois Marat s'oublie au point de laiffer croire qu'il porte fes vues ju qu'à la dictature; heureufement que fon ftyle fert d'antidote à la virulence de fes foupçons & de fes confeils. Il femble que les autres patriotes qui partagent avec lui la confiance publique, le gênent. Pour fe permettre de faire des reproches de la nature de ceux qu'il vient de hafarder contre Gorfas, il faut être foi-même d'un civisme irréprochable. Or, Marat eft loin d'avoir manifefté dans fa conduite autant de courage qu'il a montré d'audace dans fes pamphlets. Il s'eft te u fi exactement fous le voile, qu'on l'a cru long-temps expatrié ou mort. C'eft compromettre la vérité que d'en rendre les oracles du fond d'une cave; c'eft à l'impofture facerdotale à fe retrancher dans les ténèbres. D'autres que Marat ont dit autant de vérités & d'auffi fortes, fans fe cacher. Gorfas & quelques autres encore n'ont point fufpendu leurs travaux un feul jour : ils ont écrit au fort même de l'orage, & n'ont point eu peur. Marat s'eft tu plufieurs fois & long-temps. Comme les Parthes, il n'a combattu qu'en fuyant loin du champ de bataille.

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