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point à punir. L'innocent était délivré et porté en triomphe au milieu des cris de vive la nation! On conduisait auprès d'un criminel expirant ceux qui n'étaient que légèrement coupables, et le spectacle de terreur dont ils étaient témoins précédait le moment de leur délivrance.

M. Jouneau, député, réclamé par ses collègues, a été accompagné jusqu'à l'assemblée nationale; il avait le décret d'inviolabilité placé sur sa poitrine..

M. d'Affri a été sauvé et reconduit chez lui par le peuple.

Le lendemain, madame Lamballe a eu la tête coupée. Son corps a été traîné dans la ville, et plus particulièrement autour du Temple.

Madame Tourzelle et autres dames attachées à la femme du roi ont été sauvées par les commissaires de la Communie.

Madame Saint-Brice et mademoiselle de Tourzelle avaient été sauvées la veille par les soins de deux commissaires du conseil de la Commune, qui eux-mêmes ont manqué d'être victimes de leur zèle. Ces deux dames sont actuellement en sûreté.

L'abbé Salomon, ex-conseiller au parlement; Duveyrier, cidevant secrétaire du sceau; l'abbé Sicard, Guillaume, notaire, et plusieurs autres ont été sauvés.

M. Saint-Meart, accusé de travailler au journal de la cour et de la ville, a été épargné et reconduit chez un ami par son propre juge. Celui-ci a refusé de l'argent qui lui était offert dans un mouvement de joie et de reconnaissance: il n'a accepté qu'un verre d'eau-de-vie.

Il y a eu avant-hier quelque fermentation au Temple; mais un ruban marquant la limite que le peuple ne devait pas dépasser, a été respecté et a suffi pour le contenir.

Madame de Staël a obtenu un passeport, et est allée rejoindre M. Necker, à sa terre de Copet.] (Moniteur du 6 septembre.)

La narration du Moniteur est la plus longue de cel es que l'on trouve dans les journaux quotidiens, quand ils en confiendent une, c'est-à-dire quand ils contiennent plus qu'une simple annonce du fait lui-même. Prudhomme seul donne une relation as

sez étendue, et dans laquelle nous trouvons quelques détails intéressans.

D'abord il parle fort au long de la conspiration des prisons dans le même esprit que le Moniteur, et il approuve les massacres. Il parle du tribunal de sans-culottes qui avait été impro visé dans chaque prison. Il raconte la première visite à l'Abbaye d'une députation du corps législatif, et d'une députation de la municipalité, du discours fait au rassemblement. Alors ajoute-t-il, un homme sort de la foule et s'offre à eux, portant une lance de fer, de laquelle le sang coulait sur ses mains. Ce » sang, leur dit-il, est celui de Montmorin et compagnie; nous > sommes à notre poste, retournez au vôtre ; si tous ceux que › nous avons préposés à la justice eussent fait leur devoir, nous > ne serions pas ici; nous faisons leur besogne, et nous sommes › à notre tâche ; plus nous tuons de coupables, plus nous gagnons. Prudhomme loue la justice du peuple; it loue sa sévérité. Le peuple est humain, dit-il; mais il n'a point de fai blesse; partout où il sent le crime, il se jette dessus, sans égard pour l'âge, le sexe, la condition du coupable..... Juges! tout lo sang versé du 2 au 3 septembre doit retomber sur vous. Ce sont vos criminelles lenteurs qui portèrent le peuple à des extrémités dont vous seuls devez être responsables. Le peuple impatient vous arracha des mains le glaive de la justice trop long-temps oisif, et remplit vos fonctions..... Discite justiciam, moniti, et non temnere plebem. » Il cherche ensuite à justifier les indignités (telle est son expression) faites au cadavre de la Lamballe. « Oui, le peuple n'avait que trop de motifs de se livrer à cette fureur..... Le Bulletin de la guerre a appris au peuple que les houlans coupent les oreilles à chaque officier municipal qu'ils peuvent attraper, et les lui clouent impitoyablement sur le sommet de la tête..... Il voit encore que, dans plusieurs hôtels de Paris, ceux des aristocrates qui n'ont pu s'échapper depuis l'affaire du 10, tuent leur temps auprès d'une petite guillotine d'acajou, qu'on apporte sur la table au dessert on y fait passer successivement plusieurs poupées dont la tête, faite à la ressem

blance de nos meilleurs magistrats ou représentans, en tombant, laisse sortir du corps, qui est un flacon, une liqueur rouge comme du sang. Tous les assistans, les femmes surtout, se hâtent de tremper leur mouchoir dans ce sang qui se trouve être une eau ambrée très-agréable..... On a promené la tête de la Lamballe autour dr Temple; peut-être même que sans une bar. rière de rubans (1), posée par Pétion et Manuel, le peuple cût porté cette tête jusque sous les fenêtres de la salle à manger de l'ogre et de sa famille. Rien de plus naturel et de plus raisonnable que tout cela. Cet avertissement salutaire eût peut-être pro duit d'heureux effets..... >

Les habitans de Vaugirard voulurent prendre part au grand acte de justice qui s'exerçait à Paris. Ils allèrent droit au PalaisBourbon, s'emparèrent des Suisses, et sous bonne escorté les emmenèrent dans la ci-devant abbaye Saint-Germain. Le peuple donna en cette circonstance une nouvelle preuve de sa modération et de son équité. Il aurait pu se jeter sur ces deux cents et tant de soldats, dont la présence réveillait en lui l'horrible massacre de la Saint-Laurent (le 10 août); mais sachant que tous ces Suisses n'étaient pas coupables, que plusieurs d'entre eux avaient abandonné leurs armes aux citoyens sous le vestibule du château des Tuileries, il consentit à ce qu'il fût sursis à leur jugement. Le jeudi suivant, ils furent conduits à la maison commune, au nombre de deux cent cinquante. On assure qu'ils vont être incorporés dans les différens corps de l'armée (2). Mais il ne fut point miséricordieux pour les galériens détenus aux Bernardins... » Voici comment Prudhomme raconte ensuite l'affaire de Bicêtre.

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Lundi (c'est à dire le 3 septembre), vers les trois heures,

(1) Cette barrière de ruban était faite à l'imitation de celle qui avait été établie sur la terrasse des Feuillans. On y lisait cette inscription: « Citoyens, respectez >>> cette barrière; elle est nécessaire à la responsabilité de vos magistrats. (Note des auteurs.)

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(4) Le procès-verbal de la Commune, du 6 septembre, constate ce fait. Ils prêtèrent le serment civique sur la place de Grève; ils furent confiés à l'hospita lité des sections, puis dirigés sur l'armée, (Note des auteurs.)

on se transporta à Bicêtre avec sept pièces de canon, parce que le bruit courait qu'il y avait des armes, ce qui ne se vérifia point... On procéda à l'apurement de cette maison de force, avec le même ordre qu'on avait observé dans celles de Paris; on y trouva une fabrique de faux assignats; on en tua, sans rémission, tous les complices. Les prisonniers pour dettes, ou par jugement de la po'ice correctionnelle, furent élargis et s'en allèrent sains et saufs. Le fameux Lamotte, mari de la comtesse de Valois, se nomma; le peuple le prit sous sa sauvegarde. Beaucoup de citoyens que la misère avait relegués là, ne coururent aucun danger; mais tout le reste tomba sous les coups de sabre, de piques, de massues du peuple-Hercule nettoyant les étables du roi Augias. Il y eut beaucoup de monde de tué.» (Révolutions de Paris, n. 165.)

Les autres journaux, le Patriote Français, les Annales Patriotiques, la Chronique de Paris, etc., dirent à peine quelques mots froids et indifférens sur les journées de septembre. Ils ont l'apparence d'être uniquement préoccupés et de ce qui se passe aux frontières, et de ce que l'on fait en France pour opérer une résistance efficace. Le Courrier des départemens promet également, de jour en jour, des détails; et n'en donne pas. Mais il ne tarit pas en phrases approbatives. Qu'ils périssent! dit-il le 3. Périr par leurs mains ou qu'ils périssent par les nôtres, telle est la cruelle alternative!... Il appelle cet événement, la justice terrible mais nécessaire du peuple. Nous insistons ainsi sur l'opinion du Courrier des départemens, parce que son rédacteur, Gorsas, devint plus tard un des accusateurs les plus ardens des hommes de septembre.

La proscription de ces journées menaça d'ailleurs un instant d'autres personnages que les royalistes; elle fut sur le point d'atteindre quelques-uns des Girondins qui s'étaient compromis avant le 10 août, par leurs intrigues avec la cour. On fit, le 3 septembre, par ordre du comité de surveillance une descente chez Brissot. Il s'en plaignit en ces termes dans le Patriote Français du 4.

J.-P. Brissot, député, à ses concitoyens.

Je croyais avoir donné des preuves assez fortes et assez constantes de mon patriotisme, pour être au-dessus des soupçons ; mais la calomnie ne respecte rien.

› Hier dimanche, on m'a dénoncé à la Commune de Paris, ainsi que partie des députés de la Gironde, et d'autres hommes aussi vertueux. On nous accusait de vouloir livrer la France au duc de Brunswick, d'en avoir reçu des millions, et de nous être concertés pour nous sauver en Angleterre. Moi, l'éternel ennemi des rois, et qui n'ai pas attendu 1789 pour manifester ma haine à leur égard; moi! le partisan d'un duc! plutôt périr mille fois, que de reconnaître jamais un despote! Citoyens, on me dénonçait à dix heures du soir, et à cette heure ou égorgeait dans les prisons! Une pareille dénonciation était bien propre à exciter l'indiguation du peuple contre moi, et elle l'excitait déjà. Des ames honnêtes, qui pensent qu'avant de croire et de punir, il faut convaincre, demandèrent que visite fût faite de mes papiers; et, en conséquence, ce matin, sur les sept heures, tro's commissaires de la Commune se sont présentés chez moi. J'aurais pu réclamer, comme député, contre une pareille recherche; mais, dans le danger de la patrie, tout citoyen, quel qu'il soit, doit, à la première réquisition de la loi, se montrer à nu. Les commissaires ont examiné pendant trois heures, avec tout le soin possible, tous mes papiers; je les leur ai livrés avec l'abandon d'un homme qui a la conscience la plus irréprochable. Je n'avais qu'un regret; c'est que le peuple, ce peuple auprès duquel on me calomnie, et que je ne cesse de défendre; c'est que ce peuple entier ne fût pas témoin de l'examen.

> En voici le résultat; il sert de réponse à mes calomniateurs ; les momens sont trop précieux, les circonstances sont trop critiques, pour que je descende à les réfuter, et tels sont encore les motifs qui m'ont engagé à ne pas présenter ces faits à l'assemblée nationale. Il faut d'abord, et avant tout, battre nos ennemis, et

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