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petit souper de Trianon et était demoiselle d'honneur de la reine Marie-Antoinette. Elle était plus belle encore, car elle était femme complète, femme superbe et brillante. Sa voix était vibrante, son œil plein d'éclat, sa bouche fraîche et pleine, on eût dit que la Révolution que l'on traversait et qui était fatale à tous les gens de sa classe, était son élément et qu'elle y puisait la force, la santé et la vie.

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Vous paraissez étonné de me voir, René? fit-elle.

De vous voir, oui, mais de vous rencontrer si belle et si rayonnante surtout.

Pourquoi ?

Mais... tout répond à mon étonnement, quand ce ne serait que l'endroit où nous nous trouvons.

En effet, dit-elle, je conçois votre étonnement, mais je vais bien plus vous étonner encore. D'abord, asseyons-nous, nous avons des chaises, la République fait bien les choses.

En effet, dit René qui se rappela comment la veille il lui avait été permis de voir une dernière fois sa femme et son fils, et qui vit deux chaises auprès de lui, asseyons-nous.

René, reprit Caroline de Noverre, je vais aller droit au but, vous vous rappelez la scène du château de Versailles dans la salle des Gardes, alors que vous refusâtes de jurer de venger...

Il l'arrêta.

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- Est-ce ainsi, fit-il, que vous allez droit à un but que j'ignore? Cette scène que vous rappelez est loin, nous étions jeunes alors, j'étais jeune, veux-je dire, car,

si je juge par les heures qu'il me reste à vivre, je suis un vieillard.

- Et, comme tous les hommes arrivés au déclin de la vie, vous déplorez les fautes de votre jeunesse.

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Elle rapprocha sa chaise de la sienne.
-De l'outrage que tu m'as fait.

Il passa sa main sur son front.

J'ai toujours déploré cette scène, dit-il; jamais je n'y ai pensé qu'avez regret et qu'avec douleur, car elle a été la conséquence de grands malheurs, mais quant à blâmer la conduite que j'ai tenue alors, je n'y ai pas songé.

--

Tant pis, dit Caroline de Noverre avec une certaine sécheresse dans la voix, j'aurais espéré qu'éclairé par les événements, victime des principes invoqués alors, instrument d'hommes ambitieux et sanguinaires, vous seriez revenu, René, à des idées plus saines et plus nobles.

René se souleva sur sa chaise et le visage comme transfiguré.

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Caroline, dit-il d'une voix profondément accentuée, souvenez-vous de ceci, afin de vous le redire un jour, si, comme tout semble le faire prévoir, vous vivez longtemps après moi, à la veille de porter ma tête sur l'échafaud, condamné à mort par des Républicains, je ne renie rien de mon passé, et je suis prêt à refaire tout ce que j'ai fait.

- Mais c'est de la folie.

Il sourit.

Voyez, reprit-elle, récapitulez tout ce que vous avez donné à la Révolution, et ce que vous avez reçu en échange, votre titre, votre fortune, votre grade, l'affection de votre famille, votre... honneur.

Il l'arrêta.

Pardonnez-moi le mot... et enfin... et enfin pour votre dévouement vous qui êtes en prison, et demain... - Et demain à l'échafaud, n'est-ce pas... voilà la vérité... Eh bien! après, je suis une victime... il en faut beaucoup pour cimenter la liberté, je me glorifie d'en être une.

-Allons, dit la belle Caroline de Noverre, je vois que vous êtes fanatisé, je n'essaierai pas de vous combattre... René, vous m'avez outragée et j'ai oublié que vous m'aviez sauvé la vie, car j'ai essayé plusieurs fois de me venger.

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Vous avez eu tort.

Oui, mais aujourd'hui je me souviens que vous m'avez une seconde fois arrachée à la mort.

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Je vous dois aussi la vie de mon père, qui, grâce à vous, est aujourd'hui à l'étranger et vit tranquille à l'abri des orages révolutionnaires.

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A mon tour, je viens vous sauver et vous arracher de cette prison.

Elle s'attendait à une explosion de joie et à un cri de remercîment.

René resta froid et calme.

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Comment la fille du duc de Noverre peut-elle être assez puissante, dit-il, pour apporter la liberté à un prisonnier de la République?

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Non, il doit y avoir en vous une autre femme que je ne connais pas.

-Eh bien, vous avez raison, dit la jeune femme avec assurance, et telle que vous me voyez, René, vous avez devant vous une républicaine superbe, j'ai tout pouvoir, je suis la maîtresse d'un de vos maîtres, du plus terrible, parce qu'il est le plus audacieux et le plus sanguinaire. Cette main fière et blanche que je vous offre, tous les matins signe un arrêt de mort ou de liberté.

René recula comme saisi d'épouvante.

Et vous osez faire un tel aveu?

- Oui, et à vous je le ferai complet. Vous avez fait, vous, le sacrifice de votre honneur à la liberté.

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Moi, je l'ai fait aux mànes de mon frère, de mes oncles, de mes amis, de tous les miens, moins mon père sauvé par vous, et voilà pourquoi je vous épargne, je hais la révolution et les révolutionnaires, la république et les républicains, et je veux venger ma famille et mon roi, la monarchie décapitée et le long supplice de la

reine... alors j'ai crié : Vive la République! plus haut que toi, René, que l'on guillotine comme trop modéré, je me suis fait la compagne d'un de ses séïdes et j'ai mis ainsi ta tête à l'abri.

- C'est de la lâcheté, cela.

Oui, mais ce qui n'est pas de la lâcheté, c'est l'œuvre que j'accomplis tous les jours, je poursuis le malheureux qui croit à mon amour et saura un jour toute ma haine au meurtre et au crime. Tous les jours j'efface dix noms sur la liste et j'en ajoute vingt. D'une main je sauve les royalistes et je fais assassiner les républicains. Elle se décapite elle-même ta République, et le jour où le dernier républicain aura vécu, nous reparaîtrons, nous, et nous redeviendrons les maîtres.

René était atterré.

Sois avec moi, René, dit Caroline de Noverre qui était belle de passion et de haine.

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- Laissez-moi mourir en paix, madame, dit-il.

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Ah!... c'est ainsi.

Oui.

Ne sais-tu donc pas que c'est grâce à moi que tu vis encore, que voilà trois fois que j'efface ton nom et que demain je peux le laisser?

- C'est la dernière grâce que j'implore de vous, Caroline, dit René vivement affecté, et qui se leva comme pour la congédier.

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-Ne la tues pas celle-là, répondit René avec calme,

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