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incurfions paffageres, mais des opérations combinées & réfléchies. Ils n'entreprenoient rien fans avoir difcuté les moyens & les obftacles. Ils ne mettoient point leur confiance dans leur nombre; mais c'étoit fur la capacité du général & la valeur du foldat qu'ils fondoient l'espoir de la victoire. Fermes & inébranlables dans leur pofte, leurs corps étoient des remparts qu'on pouvoit détruire plutôt que de les faire mouvoir. Leur intrépidité tranquille n'affrontoit jamais des périls fans fruit. Habiles à profiter de l'occafion, ils favoient encore la faire naître.

Lorsque les jeunes gens entroient dans l'âge de puberté, ils s'engageoient par ferment à laiffer croître leurs cheveux & leur barbe jufqu'à ce qu'ils euffent exterminé un ennemi; c'étoit fur le cadavre de celui qui étoit tombé fous leurs coups qu'ils jetoient ces viles dépouilles. Plufieurs, par un faste de vertu, fe paroient de chaînes, & fe regardoient comme des efclaves, parce que la liberté dont ils jouiffoient, n'étoit point encore l'ouvrage de leur valeur. Quelques-uns plus outrés, ne fe bornoient pas à tuer un feul ennemi; & quand ils avoient fatisfait à ce premier devoir, ils faifoient vœu d'en immoler un fecond. L'on en voyoit qui vieilliffoient chargés de fers, quoiqu'ils euffent tués plufieurs ennemis. C'étoit parmi ces patriotes fanatiques qu'on choififfoit les braves, qui formoient le front des batailles. La terre leur fembloit être le commun domaine des hom. mes prodigues de tout ce qu'ils poffédoient, ils s'approprioient fans remords les richeffes d'autrui. Religieux obfervateurs des droits facrés de l'hofpitalité, ils l'exigeoient dans tous les lieux où ils fe trouvoient, fans fe croire obligés à la reconnoiffance. Leur hiftoire militaire eft renfermée dans celle de Germanie.

Les Bructeres fe font immortalifés par leur haine contre les Romains, & par leur conftance généreuse à défendre leur liberté. Il eft impoffible de déterminer les limites de leur pays, parce que ces peuples errans & vagabonds adoptoient pour patrie la contrée où ils trouvoient des fubfiftances. Leurs bourgades n'étoient qu'un affemblage informe de cabanes de bois ou d'argile. Quelques-uns plus groffiers, dédaignoient ces cabanes comme des monumens de luxe, & au lieu de maifons, ils vivoient difperfés dans les forêts où ils fe creufoient des antres comme des bêtes fauvages. Ils refterent conftamment attachés à leurs ufages. Leurs mœurs n'éprouverent aucune révolution. Ces hommes , peu différens de la brute, furent les principaux inftrumens des victoires d'Arminius, de Civilis, & des autres héros Germaniques. Ils montrerent qu'une valeur ftupide qui ignore le danger, l'affronte avec plus d'audace qu'un courage éclairé.

Les Cauches, peuples de Germanie, ne nous font connus que par le tableau que Pline nous en a laiffé. L'océan, dit-il, fubmerge leurs habitations deux fois en vingt-quatre heures. Elles reftent un temps égal découvertes & cachées fous les eaux, de forte que cette alternative fait

douter fi ce pays appartient à la terre ou à la mer. Le peuple, dévoré de befoins, habite les terreins élevés, où l'expérience lui a appris que l'eau ne monta jamais. Lorfque les marées font hautes, leurs cabanes reffemblent à des vaiffeaux à la voile, & lorfqu'elles font baffes, on croit voir des navires échoués fur le rivage. La terre avare, ne produit ni arbres ni buiffons. Et comme il n'y a point de gibier, on n'y connoît point l'exercice de la chaffe. La boue, qui leur fert de bois, eft féchée au vent, parce que le foleil leur refufe fes rayons. Chaque cabane a fa citerne, qui feule fournit de l'eau douce. Il n'y croît que de mauvaises herbes, qui n'ont point la qualité d'engraiffer les pâturages. Ce font avec ces herbes & les joncs des marais qu'ils font des filets pour la pêche. Le poiffon eft l'aliment ordinaire dans un pays qui ne produit ni grains, ni légumes, ni fruit. La liberté dont on y jouit, dédommage des richeffes qu'on n'a pas. Un peuple auffi indigent, n'a pu tenter l'ambition & l'avarice des conquérans. Les Cauches, défendus par leur pauvreté, furent quelquefois vaincus par les Romains & jamais affervis.

Les Pictes, peuples de Germanie, furent obligés d'abandonner leur pays, où leur exceffive population ne leur permettoit plus de trouver des fubfiftances proportionnées à leurs befoins: ils équiperent une puiffante flotte, & débarquerent fur les ifles Hébrides habitées par des Ecoffois. Les anciens habitans, trop foibles pour réfifter à cette race de géans, expoferent que la ftérilité de leur fol ne leur fourniffoit point affez de fubfiftance à eux-mêmes, & pour donner plus de poids à leurs juftes représentations, ils offrirent leur fecours à leurs hôtes incommodes pour les aider à chercher des établissemens dans la partie feptentrionale d'Albion qui, malgré fa fécondité, manquoit d'habitans. Les Pictes fuivirent ce confeil, & ne trouverent point d'obftacles dans l'exécution; mais comme ils n'avoient point de femmes pour fe perpétuer, ils en demanderent aux Ecoffois, qui leur en fournirent à condition qu'elles feroient préférées dans la fucceffion au trône. Cette alliance rendit leurs intérêts communs, & ayant réuni leurs forces, ils chafferent de l'ifle les anciens habitans depuis la mer du nord jufqu'à la Thine. Les deux nations refterent quelque temps confondues; mais enfin la jaloufie du commandement les rendit rivales, & pour prévenir l'éclat d'une rupture, ils confentirent à fe féparer. Les Pictes fe fixerent dans les provinces orientales qui les rapprochoient de leur ancienne patrie, & les Ecoffois choifirent la partie occidentale de l'ifle qui étoit la plus voifine des Hébrides; ce fut ainfi que, féparés par la montagne de Grabain, ils conferverent chacun leurs loix, leurs mœurs & leurs ufages.

La Germanie avoit une infioité de peuples différens, dont l'histoire particuliere n'eft ni curieuse ni bien conftatée; tels furent les Cherufques, fi redoutables fous Arminius, les Tongres, les Betafiens, les Nerviens, les Bataves, les Cananifates & les Frifons, qui fignalerent leur valeur fous les

ordres de Civilis, & qui tous font célébres par leur haine contre les Romains. Je pafferai fous filence tous ces peuples pour ne faire mention que des Allemands, des Saxons & des Bourguignons, dont la valeur & les vertus fe font perpétuées dans leurs defcendans.

Les Allemands, qui, dans leur origine, n'étoient qu'un peuple particulier de la Germanie, donnerent dans la fuite leur nom à toute cette vafte région. C'étoit un affemblage de différentes nations Germaniques, qui conferverent les mœurs & les ufages de leur pays dans tous les lieux où ils fe transporterent. Les mots ali & man en langue germanique, fignifient mélange d'hommes. Leur premiere habitation fut au nord du Danube, & à l'orient du pays occupé par les Bourguignons. C'étoit le peuple qui infpiroit le plus d'effroi aux légions Romaines. Et l'on fait avec quelle fierté Ariovifte leur roi ou leur général, fe comporta envers Céfar. Ce fut fur la fin du troisieme fiecle qu'ils commencerent à fe rendre redoutables à l'empire Romain. Un effain de ces barbares traversa le Rhin & s'établit fur la rive gauche du fleuve, où fe trouvant trop refferrés, ils fe déborderent fur le territoire des Helvétiens, d'où ils fe répandirent fous le regne d'Honorius dans les contrées voifines du lac Lecman ou lac de Geneve. C'est de ce lac que quelques écrivains, trompés par la conformité du mot dérivent le mot Allemand. Ce peuple, opiniâtre dans fes fuperftitions, n'embraffa la loi évangélique qu'après que Clovis & fes fucceffeurs eurent fait la conquête de leur pays qui, malgré leur fiere résistance, fut encore plus facile à fubjuguer que leur foi.

Les Bourguignons, avant leur invafion dans les Gaules, occupoient le pays qui eft à la droite du Rhin, entre l'embouchure du Necre, & la ville de Bâle cette nation nombreufe & célébre par fon courage, fut la terreur de ses voifins. Orofe, qui leur donne une origine romaine, les fait defcendre des foldats que Drufus & Tibere laifferent en Germanie pour contenir dans l'obéiffance les peuples nouvellement fubjugués. On dérive leur nom du mot bourg, qui, dans leur langue, fignifioit lieu fortifié, parce que tous leurs camps étoient paliffadés. Il eft certain qu'ils fe regardoient comme des rameaux fortis d'une tige romaine, puifqu'étant follicités par l'empereur Valentinien de marcher à fon fecours, ils répondirent qu'il pouvoit d'autant plus compter fur leur fidélité, qu'ils n'avoient pas oublié que leurs ancêtres étoient Romains. Ammien Marcelin affure que quatre vingt mille Bourguignons pafferent le Rhin pour protéger les provinces de l'empire. Ce nombre paroîtra exagéré, fi l'on oublie que les nations Germaniques devenoient plus nombreuses à mesure qu'elles étoient dans la profpérité. Le peuple triomphant, recevoit de prompts accroiffemens par la jonction des autres barbares qui vouloient participer à l'honneur de fes victoires. Mais il ne lui falloit qu'un revers pour le voir abandonné de fes propres enfans, qui alloient chercher une meilleure fortune chez leurs voifins. Les Bourguignons étoient les feuls barbares qui n'attachoient point

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une espece d'opprobre à l'exercice des arts méchaniques qu'ils regardoient comme une fuite de l'efclavage, & que les peuples policés méprifent davantage à mesure qu'ils font plus utiles. La plupart étoient charpentiers ou forgerons : ils fe répandoient dans les Gaules, où ils fubfiftoient du produit de leur travail. Cet aviliffement, loin de flétrir leur courage, & d'étouffer leurs inclinations belliqueufes, les endurciffoit contre les intempéries des faifons; ils étoient divifés en tribus, dont chacune avoit fon chef qui, quoiqu'indépendant des autres nations, n'étoit que l'exécuteur des ordres de fa tribu. Cette dignité n'étoit point héréditaire, & même elle étoit amovible; & lorfque ce chef abufoit de fon pouvoir, il étoit condamné à rentrer dans l'ordre de fimple citoyen.

Les Germains, connus fous le nom de Saxons, occupoient tout le pays depuis l'Ems jufqu'à l'Eiden. Quelques-uns prétendent qu'ils s'étendoient jufqu'au nord de ce dernier fleuve, qui fert aujourd'hui de bornes à l'empire Germanique; ils confinoient du côté de l'orient aux Thuringiens, mais l'on ne peut déterminer les bornes qui féparoient ces deux peuples. Ils étoient encore maîtres de plufieurs ifles fituées à l'embouchure de l'Elbe dans l'océan feptentrional. C'étoit dans les mouillages de ces ifles que ce peuple de pirates fe raffembloit pour aller exercer fes brigandages sur les côtes des Gaules. La conftruction de leurs vaiffeaux facilitoit les moyens de les transporter par terre, d'un lieu dans un autre fur des chariots. La quille, & toute la partie qui plongeoit dans l'eau, étoient d'un bois fort léger, & la partie qui furnageoit, n'étoit qu'un tiffu d'ofier couvert de cuir. Ainfi, lorfqu'on croyoit leur flotte fubmergée, on la voyoit reparoître fur les côtes, dont on la préfumoit éloignée. Les Gaules furent fans ceffe infeftées de leurs pirateries. Ils remontoient les fleuves jufqu'à plus de quarante lieues de leur embouchure. Tandis que leurs armées de terre affiégeoient les places & pilloient les provinces, l'Océan, dit Sidonius, n'offroit ni d'écueils, ni de tempêtes qui puffent rebuter leur intrépidité. Familiarifés avec cet élément, leurs rameurs étoient fi confommés dans la navigation, que le plus ignorant étoit en état de commander un vaiffeau. Ce qui n'étoit que périlleux, ne leur paroiffoit que difficile, & plus la mer étoit orageufe, plus ils fe félicitoient d'avoir un temps qui entretenoit la fécurité du pays où ils méditoient de faire une defcente. Les ravages qu'ils commirent pendant le cinquieme fiecle dans les Gaules, fut un exemple que les Normands fuivirent dans le neuvieme. Quelques écrivains confondent ces deux peuples, & fous le regne des premiers empereurs, ils envoyerent une colonie dans la feconde Lyonnoife, où ils fe firent connoître fous le nom de Saxons Beffins, parce que Bayeux étoit la capitale du pays où ils avoient leurs habitations.

Les Saxons avoient des rois, ou plutôt des chefs particuliers, qui n'exécutoient que ce qui étoit décidé par la nation. Ils favoient obéir, mais ils auroient puni le tyran qui eut ofé les traiter en efclaves, Les tribus Tome XX.

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indépendantes formoient une république fédérative, toujours prête à s'armer contre l'oppreffeur commun. Leur tempérament vigoureux les familiarifoit avec les périls de la guerre, & c'étoit de tous les barbares les feuls pour qui les expéditions militaires n'étoient que des jeux & des amufemens. Dès les temps les plus reculés, ils eurent des guerres fanglantes à foutenir contre les Danois, qui les affujettirent à payer un tribut annuel. Mais trop fiers pour être long-temps efclaves, ils reprirent les armes, & après bien des combats, on en vint à la négociation. Les députés Danois furent invités à un feftin par Stuerling, général des Saxons; & au milieu du feftin la falle fut réduite en cendres. Stuerling, fatisfait d'avoir vengé fon pays, fe jeta lui-même au milieu des flammes, pour ne pas furvivre à la honte d'avoir employé la trahison pour affranchir fa patrie. La plupart des Germains n'avoient qu'un ordre de citoyens. Chez les Saxons l'ordre de la nobleffe engloutiffoit tous les privileges. Le refte de la nation, quoique exclus des dignités, n'avoit aucune tache de l'efclavage. Ils perfévérerent avec opiniâtreté dans les erreurs du paganisme; & dans leurs fuperftitions barbares, ils immoloient une partie de leurs prifonniers dans l'efpoir d'obtenir du ciel de nouvelles victoires. Charlemagne, qui fubjugua leur pays, éprouva qu'il étoit plus facile de les vaincre que de les éclairer. La loi évangélique eut befoin du fecours du temps pour adoucir leur férocité naturelle, dont il ne refte aucune trace dans leurs defcendans humains & polis.

Ces peuples donnerent leur nom à deux contrées dont ils firent la conquête l'une s'appelloit le rivage faxònique dans la Grande-Bretagne, & l'autre dans la feconde Lyonnoife. On appelloit Saxons-Beffins les habitans de cette partie de la Normandie dont Bayeux étoit la capitale : nos anciennes hiftoires font fouvent mention de ces Saxons, & plufieurs affurent ou plutôt préfument que Robert-le-Fort d'où defcendent nos rois de la troifieme race, étoit d'origine Saxone; la manie des flatteurs eft de faire venir de bien loin les chefs des maifons dont ils vantent la fplendeur. Eftil plus glorieux d'avoir pour ancêtres des aventuriers, brigands heureux qui ravagerent les provinces, que de defcendre de ces anciens Gaulois qui affiégerent Rome. La Normandie aura toujours droit de fe glorifier d'avoir été le berceau des ancêtres de fes rois.

On ne peut déterminer avec précision dans quel fiecle les GermainsSaxons s'établirent dans la Grande-Bretagne & dans le Beffin. Il eft à préfumer qu'ils s'y rendirent fort puiffans, puifqu'ils donnerent leur nom au pays qu'ils occuperent. On fait que Probus dans le 3me, fiecle marcha contre plufieurs nations Germaniques, qui avoient envahi les plus belles provinces des Gaules; il fit fur elles un fi grand nombre de prifonniers qu'il s'en trouva furchargé, ne trouvant point à les vendre, au plus modique prix. Ce fut pour s'en débarraffer qu'il enrôla les plus jeunes & les plus vigoureux; les autres furent envoyés dans la Grande-Bretagne où ils

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